D.B. - Votre période de survie a duré deux ans. Que s'est-il passé ensuite ?
G.A. - À la fin de 2011, on m'a trouvé une place. Mon service avait été démantelé, morceau par morceau, mais j'étais toujours là. La direction a créé un nouveau poste pour moi au service des produits aux consommateurs. Je suis devenu, entre autres, le lien avec les agences de création externes. Je m'assure de la cohérence des marques.
D.B. - À quoi reconnaît-on que notre deuil est terminé ?
G.A. - Il faut du temps. Et ce n'est pas un processus linéaire. On croit qu'on y est, puis on rechute. Notre équipe nous manque. Le plus dur consiste à demeurer dans le même immeuble. Il devient hanté des fantômes de ceux qu'on côtoyait tous les jours. Ils apparaissent à la machine à café, dans la cuisine, la salle de réunion...
D.B. - Comment lutte-t-on contre la mélancolie ?
G.A. - Il faut changer ses habitudes. Bien que l'on conserve parfois le même titre, et ce qui semble le même poste dans le même lieu, il faut se dire que cet emploi n'existe plus. Faire comme si nous avions carrément changé d'entreprise. Il ne faut pas se laisser berner par les apparences, notre ancien poste n'existe plus.
D.B. - On survit à une acquisition en se «raisonnant» et en mettant un prix sur nos services. Expliquez-nous ce qu'il en est.
G.A. - Fusion ou pas, les services créatifs sont toujours les premiers à écoper. Les autres unités ne paient pas pour obtenir nos services, mais ceux-ci ont une valeur. Même s'il est difficile d'associer une valeur au design, il en existe une. J'ai toujours répertorié les mandats de mon équipe pour les clients internes en leur fixant un prix. Je faisais de même si le travail était réalisé à l'externe. Ce me fut bien utile lorsque Pfizer nous a acquis.
D.B. - De 2009 à 2011, vous avez survécu. De 2011 à 2013, vous avez atterri. Depuis 2013, vous commencez à fleurir. Racontez-nous où vous en êtes.
G.A. - Nous avons une équipe, nous pouvons établir des méthodes de travail et des processus. Bref, relier notre service au reste de l'organisation. Leur expliquer ce que nous pouvons faire pour eux, comment nous allons collaborer. Et pendant que notre groupe prend sa place, il faut que je trouve la mienne. Je gère à nouveau une équipe, mais elle n'a pas les mêmes fonctions que celle que je dirigeais chez Wyeth. Avant, je ne m'occupais pas d'emballage. Maintenant, je supervise les agences qui ont ce mandat. C'est nouveau pour moi.
D.B. - Vous souhaitez changer la culture du design chez Pfizer. Un défi qui démontre que vous allez mieux, non ?
G.A - Je vais mieux et c'est un beau défi. Avant la création de mon unité, les agences à qui Pfizer confiait l'image de ses marques faisaient la pluie et le beau temps. Il est temps de reprendre le contrôle de nos marques. Désormais, tout ce qui est lié à nos emballages doit être approuvé par notre service de design afin qu'une certaine cohérence puisse s'y retrouver. Nous avons fait savoir aux directeurs de chacune des marques consommateurs de Pfizer dans le monde qu'il y a un nouveau shérif en ville. Avant de parler à leurs agences, c'est à nous qu'ils doivent s'adresser. Nous allons établir, et entretenir, ensemble des lignes directrices pour chaque marque afin de s'assurer d'une cohérence.
D.B. - Qu'avez-vous perdu à la suite de l'acquisition de votre employeur ?
G.A. - J'ai perdu mon autonomie. Chez Wyeth, notre unité était une machine bien huilée. Nous étions intouchables. Chacun connaissait son rôle. Si je m'absentais, tout le monde savait quoi faire. Chez Pfizer, notre service est nouveau, nous avons tout à prouver. Et puis, chez Wyeth, j'appartenais au bureau de la direction. J'avais une vue d'ensemble de l'entreprise. Chez Pfizer, je travaille pour un service parmi d'autres. Pour comprendre l'entreprise, je dois travailler plus fort.
D.B. - Qu'avez-vous gagné ?
G.A. - J'ai appris que je ne peux pas stopper les tempêtes, mais je sais danser sous la pluie.