Les femmes immigrantes souffrent davantage du chômage: en 2021 à Montréal, il touchait 12,1% des femmes immigrantes contre 9,7% des hommes. (Photo: 123RF)
PÉNURIE DE TALENTS. Au Québec, les femmes représentent 50,3% de l’immigration. Leur intégration à l’emploi continue toutefois d’être plus difficile que pour leurs homologues masculins. Pourtant, elles arrivent majoritairement la valise pleine de talents et d’expérience et n’attendent qu’à être reconnues et embauchées.
Elle était dentiste dans son pays, mais elle a dû tout quitter pour sa sécurité et celle de ses enfants. Elle immigre au Canada où on lui promet monts et merveilles, un plein emploi et un accueil sans condition. Malgré tout, elle doit recommencer toutes ses études si elle veut exercer sa profession. Avec le prix des études et des enfants à charge, c’est impossible. Faute de pouvoir faire reconnaître ni ses diplômes ni ses compétences, elle doit changer de secteur et se «déqualifier».
Cette situation est celle de nombreuses femmes qui ont immigré au Québec. Michelle Hangnilo, coordonnatrice de projets et adjointe à la direction du Réseau d’action pour l’égalité des femmes immigrantes du Québec (RAFIQ), les connaît bien. «Généralement, les femmes qui arrivent au Québec relèvent de l’immigration économique. Elles ont été sélectionnées pour leurs compétences et leurs diplômes, mais on ne les reconnaît pas», explique-t-elle.
Dans l’intérêt du pays
C’est ce décalage qui revient systématiquement et qui entraîne plusieurs conséquences. La désillusion, la perte de confiance en soi, la précarité à devoir recommencer des études et ainsi s’endetter, mais aussi la déqualification.
«Livrer les gens à eux-mêmes pousse à la dépression, surtout après avoir fui un conflit ou une guerre. Et cela affecte la famille et les enfants, dans leur intégration et le sentiment d’appartenance», explique Nahid Aboumansour, cofondatrice et directrice générale de Petites-Mains, ayant elle-même immigré au Québec depuis le Liban il y a plus de 30 ans.
Les femmes immigrantes souffrent davantage du chômage: en 2021 à Montréal, il touchait 12,1% des femmes immigrantes contre 9,7% des hommes. Ce chiffre tombe à 5,4% pour les femmes nées au Canada et 7,4% pour les hommes nés ici, selon le Bulletin de l’immigration.
Pour Michelle Hangnilo, cette situation est déplorable pour les femmes, mais aussi pour la province. «C’est dans l’intérêt du pays, de l’économie et des employeurs ! On parle de pénurie de main-d’œuvre, alors embauchons les personnes qui sont là pour travailler ! On réduirait le chômage avec ces femmes», défend Michelle Hangnilo.
Le nerf de la guerre
Ces problèmes ont plusieurs causes. D’abord, la reconnaissance des acquis et des compétences (RAC) est un dédale complexe pour les nouveaux arrivants. «C’est le nerf de la guerre», regrette la directrice générale d’Action Travail des Femmes, Katia Atif. D’autant qu’elle n’est pas toujours mise en œuvre. Katia Atif se désole que les universités n’appliquent pas la Politique gouvernementale d’éducation des adultes et de formation continue.
Et puis, il y a aussi les discriminations de genre, liées à la grossesse ou à la maternité, qui sont pourtant encadrées par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ). «Elles continuent d’arriver aux femmes immigrantes», explique Michelle Hangnilo. Sans oublier les discriminations au logement, pire pour les femmes immigrantes, plus vulnérables par leur statut et la méconnaissance de leurs droits.
Quant aux mères de famille, c’est aussi leur apprentissage du français qui en pâtit, à défaut de pouvoir faire garder leurs enfants pendant les cours. En août 2023, le gouvernement du Québec investissait 675 000$ pour soutenir l’apprentissage du français des personnes immigrantes et surtout des mères, dont la participation aux cours de francisations est plus faible. L’idée est de réduire l’isolement social, les difficultés d’insertion socioprofessionnelle, etc.
Des solutions à plusieurs niveaux
Devant ces défis, le RAFIQ a opté pour la sensibilisation aux employeurs par des ateliers. «On voulait mettre en valeur le potentiel de ces femmes aux employeurs privés et publics, leur expliquer que c’est dans leur intérêt», explique Michelle Hangnilo. L’idée était de leur montrer les diplômes et qualifications gâchées par des barrières systémiques.
«On leur explique les possibilités qui s’offrent à eux pour embaucher des femmes immigrées et racisées», poursuit-elle. Il existe par exemple le Programme d’accès à l’égalité en emploi, que certaines structures ont mis en place. Elles seront montrées «comme témoin pour prouver que c’est faisable», poursuit-elle.
Comme le RAFIQ, Action Travail des Femmes propose de s’attaquer aux problèmes systémiques surtout. Au printemps 2023, les deux organismes élevaient la voix pour que les pouvoirs publics agissent sur les problématiques de discriminations en emploi des femmes immigrantes. Résultat, ATF publiait un long rapport étayant 27 recommandations au gouvernement, mais aussi aux universités aux ordres professionnels ou à la CDPDJ.
Parmi elles, la lutte contre la déqualification, l’amélioration des aides à l’emploi et pour la RAC. «On souhaiterait que le ministère de l’Immigration applique une analyse différentielle selon le genre», demande Katia Atif. Selon elle, les politiques actuelles ne prennent pas en compte les différences de parcours entre hommes et femmes et surtout les discriminations basées sur le genre.
Surtout, ce que les femmes immigrées demandent c’est une première chance, afin de briser la difficulté à obtenir la fameuse expérience québécoise requise dans de nombreuses offres d’emploi. «Il faut que les employeurs leur donnent la chance!», demande Michelle Hangnilo.