Si la croissance passe par l’innovation, cette dernière passe souvent par la « cannibalisation ». Une décision stratégique de première importance, qu’il faut savoir prendre au bon moment.
« La cannibalisation, c’est lancer un produit ou service qui vient concurrencer l’un de ses propres produits ou services », explique Sara Scheherazade Caron, PDG de la firme de consultant Tactic B.
Elle cite l’exemple courant d’une entreprise dont un produit sur le marché a des ventes correctes, sans fracasser des records. L’entreprise cannibalise les profits qu’il génère pour en développer et lancer un second, plus innovant. On peut aussi cannibaliser les clients du premier produit, en leur offrant rapidement la version plus innovante, avant qu’ils quittent pour un concurrent. Apple, en lançant le iPad, a volé des ventes au MacIntosh, mais a créé un tout nouveau marché.
La cannibalisation des canaux de vente est aussi très tendance. Avec l’arrivée de l’omnicanal, un entrepreneur peut constater qu’un canal de vente est plus performant. Il prendra donc l’argent généré par les autres canaux pour le concentrer sur celui qui donne de meilleurs résultats, afin d’en maximiser l’impact. La cannibalisation n’est donc pas qu’un simple remplacement de produit ou service. C’est une remise en question du modèle d’affaires.
Jouer défensif ou offensif ?
« La cannibalisation peut être neutre, c’est-à-dire que l’on remplace un produit en fin de vie, mais elle peut aussi être offensive ou défensive », explique Ramez Zalat, président de Manavue, une firme conseil.
Elle est défensive lorsqu’utilisée pour remplacer un produit qui n’est pas en fin de vie, mais menacé par l’arrivée imminente du produit innovant d’un concurrent.
Elle est offensive lorsqu’il s’agit de devancer le remplacement d’un produit qui n’est pas en fin de vie, afin d’attaquer les parts de marché d’un concurrent. Vers le milieu des années 1990, Sega cannibalise son produit en lançant une version beaucoup plus innovante, pour s’attaquer au leader, Nintendo. Ses parts de marché passent de 7 % à 50 %, alors que celles de Nintendo chutent de 90 % à 50 %.
« Cette décision hautement stratégique doit se baser sur une analyse fine de notre entreprise, du marché et des concurrents, prévient le consultant. Le plus important, et le plus difficile, est de prendre la décision au bon moment. »
Plusieurs entreprises ont payé cher leur hésitation à se cannibaliser elle-même. L’exemple classique, c’est Kodak. Elle a développé secrètement, pendant des années, l’appareil photo numérique. Elle aurait pu le lancer avant tout le monde et devenir la grande pionnière de cette innovation de rupture. Mais elle tirait à l’époque la grande majorité de ses produits de la vente de films pour appareils photo. Elle a trop attendu, hésitant à se cannibaliser, et s’est fait doubler par la concurrence. Le 19 janvier 2012, elle déposait son bilan et a mis du temps à se sortir de cette faillite.
« Il faut tenter de prévoir quel pourcentage des ventes proviendra de la cannibalisation de son produit, ajoute le consultant. Pour favoriser la croissance, il doit être le plus petit possible, car se sont les parts de marché de nos concurrents que l’on vise. »
L’instinct du cannibale