J'espère que mes patrons ne se pencheront pas sur cette chronique, car je vous suggère d'arrêter de me lire. Oui, d'arrêter de me lire.
J'essaie, au meilleur de mes connaissances, de vous guider à travers la tempête boursière qui sévit depuis la fin de l'été dernier. Je cherche les angles les plus pratiques, je m'efforce de tempérer vos craintes, je tente de vous aider à comprendre certains phénomènes et je vous rappelle d'oublier les fluctuations quotidiennes pour vous concentrer sur la quête des meilleurs placements dans une optique à long terme.
Mais si vous me donnez le mandat de prévoir ce qui se passera en Bourse la semaine prochaine ou dans les mois à venir, j'admets humblement être incapable de le remplir. Les indices chuteront-ils de 20 % encore ? Le pétrole touchera-t-il bientôt son creux ? Je n'en sais rien.
Si vous cherchez une piste pour connaître le moment d'investir votre nouvelle cotisation REER, je ne suis pas non plus l'homme de la situation.
En fait, même les «experts» n'ont aucune idée de ce qui attend la Bourse au cours des prochains mois. Pas parce qu'il n'y a pas de financiers brillants qui suivent les marchés. Mais parce que personne ne possède de boule de cristal.
Je me ravise. Les analystes techniques, eux, ont le don de prédire ce qui arrivera. Ils savent quand le marché se remettra à monter, quand il faudra vendre tel titre ou acheter tel autre et, j'allais oublier, quand le Canadien de Montréal recommencera à gagner.
J'exagère un peu, mais mon but est d'insister sur un des principes fondamentaux du placement : nul ne peut deviner le comportement futur des actions.
En sachant cela, plutôt que de perdre votre précieux temps à essayer de prévoir la Bourse, agissez de la même façon qu'un propriétaire d'entreprise : concentrez-vous sur la valeur des actifs. Votre titre a reculé de 20 % sans motif valable et commande une évaluation raisonnable ? Voilà peut-être l'occasion d'accroître votre participation dans celui-ci. La même démarche vaut pour un nouveau placement que vous envisagez.
Peut-être achèterez-vous un titre et que la Bourse continuera de reculer dans les prochains mois. Souvenez-vous toutefois que le placement que vous acquérez et son prix constituent des facteurs de réussite à long terme bien plus importants que le moment où vous l'achetez.
L'illusion de l'encaisse
Un investisseur m'a récemment dit qu'il était heureux d'avoir suivi la recommandation que son conseiller lui a faite il y a quelques mois, soit de conserver une bonne partie de son portefeuille en encaisse, étant donné l'incertitude qui prévalait sur les marchés. Comme nous avons connu le pire début d'année de l'histoire en Bourse, cette recommandation paraît brillante.
Non seulement notre investisseur a évité une grosse perte de valeur, mais il peut profiter des aubaines qui se sont présentées. Tout cela n'est toutefois qu'illusoire. En fait, cet investisseur a été chanceux. Point. Mais il ne le sera pas toujours. Le vent peut tourner à tout moment et, pour une raison banale, les investisseurs trouveront d'autres raisons de se lancer dans la chasse aux aubaines.
C'est ce qui s'est produit en mars 2009. Le pire semblait s'annoncer sur le plan économique, et les manchettes alarmistes sur les perspectives boursières se bousculaient à la Une des journaux.
Le 9 mars, reconnu comme le premier jour du précédent marché haussier, on pouvait lire le titre suivant dans le Wall Street Journal, après un quatrième recul hebdomadaire consécutif de l'indice Dow Jones : «Jusqu'où les actions peuvent-elles baisser ?»
Or, il se trouve que la Bourse américaine a changé de direction le même jour pour connaître sa plus longue séquence haussière de l'histoire.
Les Bourses peuvent bondir fortement et engranger une bonne partie du rendement de l'année en un court laps de temps. Néanmoins, notre investisseur qui fait du market timing, c'est-à-dire qui tente de vendre avant que les marchés ne baissent et d'acheter avant un rebond, risque de passer à côté de gains qui ont une importance capitale sur son rendement.
Plusieurs études le prouvent. Celle de Columbia Threadneedle Investments, publiée il y a quelques mois, montre que de 1985 à 2015 la stratégie d'acheter pour conserver a rapporté en moyenne 8,4 % par an. L'investisseur qui a raté les cinq séances les plus payantes a vu son rendement annuel fléchir à 6,69 % au cours de cette période. Celui qui n'a pas profité des 10 meilleures séances a obtenu un rendement annuel de 5,61 %, tandis que le rendement de celui qui n'a pas participé aux 25 journées les plus lucratives est tombé à 3,06 % par an.
Trop d'investisseurs commettent pourtant l'erreur de conserver beaucoup d'encaisse, comme l'illustre une analyse publiée par UBS il y a quelques jours. Le sondage mené par la banque suisse auprès de 2 638 investisseurs fortunés révèle que ceux-ci maintiennent en moyenne 20 % de leur portefeuille en encaisse. Ils sont 89 % à avoir augmenté ou maintenu le niveau de liquidités depuis la crise financière. Pourtant, plus de la moitié d'entre eux admet que c'est une mauvaise idée de garder autant d'argent qui dort, à cause de l'inflation et des faibles taux d'intérêt.
Les jeunes de la génération Y (de 21 à 29 ans) engrangent deux fois plus de liquidités que les autres générations. C'est le monde à l'envers. Ils sont ceux qui croient le moins à la façon acheter pour conserver et le plus au market timing.
Bref, si je n'ai pas réussi à vous convaincre de l'inutilité d'essayer d'anticiper les marchés à court terme et surtout du coût énorme que cette démarche peut avoir sur votre enrichissement, je n'ai d'autre choix que de vous dire : arrêtez de me lire.
Suivez Yannick Clérouin sur Twitter @Clerouin_Inc