Le ministre de l'Énergie et le PDG d'Hydro-Québec. (Photomontage/Twitter)
Avec son casting élitiste des sociétés blockchain, le gouvernement Couillard va enrôler de gros acteurs mais pas nécessairement bons joueurs. Les entrepreneurs québécois de ce secteur craignent de se retrouver dans l’ombre d’un «géant étranger» qui s’amusera de la réglementation. Québec possède la formule magique pour se frayer un chemin dans l’industrie du futur et créer son propre «Alibaba de la crypto». Espérons dès lors que le politique n'accorde pas son sésame à des voleurs.
Un miracle. Parmi la centaine d’entreprises québécoises récemment lancées dans l’industrie crypto, certaines viennent enfin d’obtenir la bénédiction d’Hydro-Québec pour leurs projets de «mines». Après une trop longue attente, qualifiée de «pire que pour consulter un médecin» et de «grande source d’inquiétudes» pour de fragiles modèles d’affaires dans la région.
«C'est sûr que tous ces délais ont fait mal, en plus dans un marché baissier, ça n’a pas aidé», nous confie un responsable de l’une de ces sociétés œuvrant à bâtir l’internet de l’argent.
Heureuse coïncidence puisque le ministre québécois de l’Énergie et des Ressources naturelles s’apprête à dévoiler officiellement de toutes nouvelles conditions d’approvisionnement pour ces centres de calculs produisant des cryptomonnaies.
Par cet encadrement, Pierre Moreau veut s’assurer que les acteurs blockchain «qui s’implanteront au Québec ont les meilleures technologies, le plus de retombées économiques et un potentiel de création d’emplois. La technologie est intéressante puisqu’elle peut être utilisée à beaucoup d’autres choses que strictement les bitcoins.»
Le ministre libéral a présenté mercredi à ses homologues réunis en Conseil un décret qui établit les tant attendues règles du jeu que les participants devront suivre religieusement, notamment en termes de délestage. Car si Hydro-Québec a de l’énergie à revendre, la puissance peut lui manquer à certaines périodes.
Bref, le gouvernement Couillard va donc lever son «moratoire inavoué», comme l’annonce en fanfare la twittosphère anglophone.
À une nuance près étant donné que le politique impose désormais des tarifs moins favorables (c’est de saison) que ceux accordés à d’autres industries plus matures et vraisemblablement plus faciles à cerner pour nos dirigeants, comme les pâtes à papier, l’aluminium ou l’extraction de minerais.
Le désavantage des avantages
Avant d’aborder plus en détail l’impact de ces barrières réglementaires sur les acteurs locaux, particuliers ou industriels, plantons le décor avec précision pour le débat public. Car la gouvernance adoptée dans ce dossier semble accumuler les incohérences.
Depuis plus d’une dizaine d’années, rappelons qu’Hydro-Québec construit de nouvelles centrales mais également des parcs éoliens. Étoffant ainsi sa capacité de production, avec un ajout global d’environ 25 TWh .
Mais il se fait que les Québécois ne consomment pas plus d'énergie depuis tout ce temps.
«On consomme 170 TWh depuis dix ans, ni plus ni moins. Alors, le défi auquel fait face Hydro-Québec aujourd'hui, c'est de commercialiser cette énergie-là», a récemment argumenté le PDG Éric Martel en Commission parlementaire de l’Énergie.
Le secteur des cryptomonnaies taxé de boulimie énergétique permettrait dans ce contexte d’évacuer ce trop-plein directement sur le territoire, avec une gestion ainsi contrôlée d’un point de vue infrastructurel et intégrée à l’éventail des postes de consommation. Cependant, la priorité des gestionnaires d’Hydro-Québec, politiques ou institutionnels, se concentre sur les exportations.
Cette approche conservatrice axée sur le transport d’électricité leur réussit financièrement. Il suffit pour s’en convaincre d’observer que 17 % de cette production comptent pour 27% des profits de la société d’État.
« Le Québec ne peut pas héberger tout le monde »
«On n'est pas contre, c'est une industrie qui apporte, hein? C'est de la mathématique, le blockchain, il y a des choses extrêmement intéressantes, des algorithmes qui permettent d'innover sur certaines pratiques. Mais en même temps le Québec ne peut pas héberger tout le monde», avait tenté de nuancer face aux députés le PDG de l’énergéticien.
En tout cas, le ministre de l’Énergie s’était senti obligé de préciser que le gouvernement ne voulait surtout pas que «l'avantage des tarifs très bas d'énergie du Québec devienne un désavantage, où ceux qui sont mis à la porte ailleurs viennent s'approvisionner ici».
Et Pierre Moreau assénait alors l’argument massue des «apports économiques divers» de ces mines de devises numériques. Il en tenait pour preuve l'analyse livrée en février par la firme d’audit KPMG, dont les estmations limitaient déjà entre 0,4 et 2,3 emploi(s) par mégawattheure la création en fonction du type d’installations. Contre 27 emplois pour les mines dignes de ce nom ou 21 pour les sites des groupes pétroliers ou chimistes.
Dans sa plus récente évaluation de la valeur économique, soulignons-le, KPMG ne tient pas compte des revenus nets ou des profits générés par ces activités sur le Québec, alors que les «fermes de bitcoins» réalisent des centaines de milliers de dollars par jour susceptibles d’alimenter des services techniques ou encore de pôles d’innovation.
Interpellée par plusieurs intervenants, la direction d'Hydro-Québec a tout de même décidé de publier cette étude il y a une semaine, comme pour justifier le pilotage du gouvernement.
Le ministre Moreau a lui-même insisté sur le «niveau d’indépendance» tout relatif dont jouissait la société d’État à l’égard de «ce type d'entreprises-là» puisque certaines cryptomines ont parfois «un container prêt à partir la nuit» vers des cieux plus cléments.