J’aimerais, avec cette lettre, encourager les entreprises québécoises à prendre leurs responsabilités, à investir dans leur collectivité et à consacrer une partie plus importante de leurs dépenses publicitaires aux médias locaux, que ce soit des journaux ou des magazines, papiers ou numériques. [Photo : 123RF]
Un texte d'Estelle Métayer, présidente fondatrice, Competia
Courrier des lecteurs — En juin dernier, les chiffres des Amis de la radiodiffusion et un rapport de l'Université de Carleton nous apprenaient que Google, Facebook, Twitter et autres sites web étrangers généraient plus de revenus avec la publicité en ligne au Canada que tous les revenus de tous les quotidiens et journaux communautaires au Canada.
On savait déjà que la part du marché numérique canadien de Google représentait environ 10 fois celle du secteur de la presse quotidienne et 60 fois celle des journaux communautaires. Le résultat ? Des journaux exsangues, des suppressions dans les équipes de journalistes et des compressions budgétaires, un contenu original de plus en plus rare, une presse canadienne et québécoise qui en souffre.
Celle-ci déploie des efforts phénoménaux pour réinventer son modèle d'affaires, en particulier ses revenus provenant du numérique. Mais dans cette lutte inégale, nos journaux et magazines ont peu de chances de réussir. En juillet dernier, PowerCorp explorait une nouvelle voie et annonçait que La Presse serait dorénavant un trust, financé par un acte philanthropique de 50 millions de dollars.
Et s'il y avait une autre voie ?
Cette piste a été ouverte en octobre dernier lorsque Desjardins a annoncé que l'entreprise revoyait sa démarche publicitaire numérique au bénéfice des médias québécois et canadiens «dans le but de s'assurer entre autres de maintenir un écosystème médiatique local dynamique et en santé». De plus, l'objectif est de redonner davantage aux créateurs de contenu en éliminant les agences, ces intermédiaires qui captent une partie de la valeur créée.
J'aimerais, avec cette lettre, encourager les entreprises québécoises à suivre cette décision exemplaire pour les trois raisons suivantes :
Les entreprises québécoises ont largement bénéficié depuis des années de la couverture médiatique que les médias locaux leur ont fournie, partageant leurs bons coups, mettant en avant leurs dirigeants, partageant leur vision de l'avenir. En les soutenant dans le futur en consacrant une partie de leurs budgets publicitaires aux médias imprimés (journaux ou magazines) ainsi que leurs propriétés numériques, elles s'assureraient que ces relais continuent d'exister.
Dans une ère où l'indépendance d'esprit des journalistes n'a jamais été si importante, on s'assurerait collectivement que, comme société, nous donnons les moyens à nos journaux et à nos magazines d'offrir un outil de communication et d'investigation nécessaires à notre démocratie et société. Une presse de qualité en santé et dynamique est garante de notre liberté d'expression.
Cela s'inscrit aussi dans une logique d'affaires. Depuis des années, les budgets publicitaires partent vers les GAFA (Google-Apple-Facebook- Amazon). Or, l'efficacité des investissements dans les GAFA est encore à prouver. Si on parle des médias imprimés, par exemple, une étude de Lumen, qui compare le «niveau d'attention» dans les différents formats de média, montre qu'une publicité imprimée a cinq fois plus de chances d'être vue que les meilleures publicités sur les plateformes numériques. Une autre étude de NewsMediaWork montre que 75 % de ceux qui sont les premiers à adopter de nouveaux produits sont aussi ceux qui lisent des journaux. Ces lecteurs ont 30 % plus de chance de discuter des produits avec leurs amis et leur famille et d'aller en ligne pour acheter selon un rapport publié par le magazine Admap.
J'aimerais donc lancer un appel aux Couche-Tard, Aldo, Agropur, IGA, Banque Laurentienne, Industrielle Alliance, Saputo, Financière Sun Life, Transat, Banque Nationale, Metro, Ivanhoe Cambrige, Air Canada, Jean Coutu et autres annonceurs (comme les gouvernements fédéraux et provinciaux) à prendre leurs responsabilités, à investir dans leur collectivité et à consacrer une partie plus importante de leurs dépenses publicitaires aux médias locaux, que ce soit des journaux ou des magazines, papiers ou numériques. Que vous soyez dirigeant d'entreprise, cadre responsable des budgets marketing, membre du conseil d'administration, il est de votre responsabilité collective de ne pas rester impassible. Parce que c'est une bonne chose pour notre société, parce que c'est une bonne chose pour l'entreprise et, surtout, parce que, en 2018, la communauté d'affaires a le devoir d'agir avant qu'il ne soit trop tard.
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