(Photo: 123RF)
BLOGUE INVITÉ. Ce n'est un secret pour personne, j’entretiens une relation amour haine avec le télétravail. Autant, j’en reconnais les bénéfices, autant ce simple mot me donne l’urticaire.
Il y a quelques semaines, je vous partageais ici même, en toute transparence, mon expérience chaotique dans cet univers. Certes, en plein confinement, au milieu d’une pandémie, avec deux jeunes enfants à la maison et une compagnie à diriger à distance, disons que l’environnement extérieur n’était pas des plus favorables.
Pour tout vous dire, cette expérience m’a tellement marqué qu’il fallait que je creuse un peu plus sur le sujet afin de mieux comprendre cette nouvelle réalité incontournable qui, tel un tsunami, est apparue de nulle part envahir notre quotidien.
De plus, en tant qu’entrepreneur, ce changement drastique et encore inconnu, tant il est nouveau, m’inquiète. En effet, qui aurait cru que cette transition «temporaire» allait finalement devenir notre quotidien pendant 12, 18 ou 24 mois, voire plus.
Depuis maintenant six mois, des centaines de milliers de Québécois travaillent de chez eux. Salon, sous-sol, cuisine, sofa, balcon... Bref, chacun a dû rapidement s’inventer un coin travail afin de «Zoomer, Teamer, Skyper» et tout le reste. Pour une des rares fois dans le monde des affaires, tant les plus grandes multinationales que les plus petites entreprises n’ont pas eu un mot à dire. La transformation était obligatoire et c’est bien connu, quand tu n’as aucun autre choix, et bien tu acceptes ton sort.
Étant extrêmement impliqué dans le monde des affaires, j’entends de plus en plus d’employés, de gestionnaires et de dirigeants s’inquiéter pour le futur, inquiétude que je partage. Certes, pour les répercussions envers ma propre personne ainsi que mon entreprise, mais aussi pour l’incidence qu’aura cette nouvelle manière de faire sur l’économie en général. De plus, pour ceux qui connaissent mon esprit d’équipe, je suis inquiet pour mes collègues.
Le télétravail a vu le jour au début des années 70. L’essor de la mondialisation combiné aux avancées technologiques tel que l’ordinateur personnel ont révolutionné la mobilité au travail. Désormais, nous n’étions plus obligés d’être toujours derrière le même bureau, au même endroit afin de travailler.
Il fallut cependant attendre les années 90 et l’explosion des technologies de l’information afin de voir le mouvement véritablement prendre forme et s’installer comme une réelle option. En vérité, cette pandémie a fait en sorte que le télétravail passe d’une option assez marginale, en nombre absolu, à la normalité... en 24h!
L’homme est un animal qui déteste le changement, mais qui, lorsqu’obligé, arrive à s’adapter. Les premières journées nous firent découvrir un monde qui, bien en sécurité dans le confort de notre foyer, nous semblait idéal.
En effet, certains avantages étaient indéniables. Quel bonheur de ne pas être bloqué des heures dans le trafic, de ne pas avoir à faire semblant de rire aux mauvaises blagues de ce collègue à l’humour douteux, de ne pas avoir à courir par peur d’être en retard à un lunch d’affaires ou à une réunion, d’attendre interminablement les ascenseurs ou de ne pas porter le même pantalon deux fois dans la même semaine par tendance ou soucis de coquetterie.
S’adapter pour quelques mois est une chose, l’adopter pour plus longtemps en est une autre. Je considère ces 6 premiers mois comme une pratique. Aujourd’hui, nous entrons dans la deuxième phase du marathon. Une phase où, après les 21 premiers kilomètres où tout semblait bien aller, les bobos commencent à ressortir. La solitude se fait ressentir, l’esprit d’équipe commence à s’effriter, la motivation et la concentration deviennent des denrées rares et le mur est beaucoup plus proche que l’on pense.
J’ai beaucoup lu dernièrement sur les incidences que peut avoir le télétravail (à moyen et long terme) sur l’être humain. Ce que j’ai lu ne m’a pas rassuré. Attention, je ne suis pas contre le télétravail, bien au contraire. Je veux cependant que l’on sache dans quoi on s’embarque afin de donner à tous une chance de réussite. Personne ne signerait un contrat sans l’avoir lu, nous devrions tous faire de même envers nos conditions de travail.
Autant pour l’employeur que pour l’employé, de saines habitudes au bureau, peu importe où il se trouve, sont la clé du succès. Par conséquent. Il est donc de mon devoir d’employeur de m’informer au maximum des avantages et des risques que comporte cette nouvelle manière de faire afin de pouvoir adapter nos méthodes et notre savoir-faire.
De graves problèmes peuvent nous guetter
En ne prenant pas cette transition au sérieux, de graves problèmes peuvent nous guetter. En voici quelques exemples.
- Isolement, on ne vit pas tous en couple, ou avec des colocataires. Nous sommes des êtres sociaux qui avons besoin de contact humain. Un sourire, un regard, une discussion, un commentaire, nous avons tous besoin de de nourrir nos liens sociaux.
- Hyperconnexion, beaucoup ont de la difficulté à tracer une ligne entre leur vie privée et professionnelle et n’arrivent pas à se mettre des limites.
- Incapacité du gestionnaire à s’adapter, car très rares sont les gestionnaires qui ont suivi un cours au préalable sur le télétravail, en plus de ceux qui n’arrivent pas à s’y faire eux-mêmes. Leur rôle en télétravail est complètement différent que leur rôle au bureau ce qui représente un immense défi pour toutes organisations.
- Problématique d’espace, tous n’ont pas le luxe d’avoir un espace bureau bien aménagé et confortable afin de se sentir efficaces et concentrés. Disons que travailler sur un tabouret sur un coin de comptoir pendant des heures n’est pas recommandé par l’Association professionnelle des ergonomes du Québec!
Plusieurs professionnels de la communauté médicale commencent d’ailleurs aussi à sonner l’alarme. Épuisement, insomnie, angoisse, perte de motivation ou d’appétit, maux de dos, de cou, bref, personne n’est à l’abri de sombrer dans un piège ou l’autre d’une transition mal préparée ou mal exécutée.
La définition de l'épuisement professionnel (burnout) que donne le philosophe belge Pascal Chabot dans son livre «Global Burn-out» publié en 2013 est presque prémonitoire des dangers inhérents d’une mauvaise pratique du télétravail.
«Le burnout est une pathologie de civilisation. Il n'est pas seulement un trouble individuel qui affecte certaines personnes mal adaptées au système, ou trop dévouées, ou ne sachant pas (ou ne pouvant pas) mettre des limites à leur investissement professionnel. Il est aussi un trouble miroir où se reflètent certaines valeurs excessives de notre société: son culte du plus, du trop, de la performance, de la maximisation, tout cela démultiplié par des technologies qui imposent souvent leur temporalité à l'Homme.»
En tant qu’entrepreneur qui souhaite depuis longtemps réinventer plusieurs notions de gestion des relations humaines et du «savoir-vivre en affaires», je veux m'attaquer à ce défi titanesque. En quelques heures, la vie professionnelle de centaines de milliers d’entre nous a été totalement bouleversée. La pire erreur que nous pourrions faire est de croire que nous nous sommes tous adaptés parfaitement à cette nouvelle réalité et que nous avons tous les outils, le savoir et les connaissances pour relever ce défi.
Personnellement, je souhaite développer, avec mon équipe, une charte interne de télétravail qui viendrait répondre, du moins je l’espère, à ces nouvelles problématiques. Mieux vaut prévenir que guérir, mieux vaut trop en faire que pas assez!
Que l’on aime ou pas l’option du télétravail, nous sommes obligés de nous adapter sous craintes d’être exposés à ces risques que nous voulons tous éviter pour nous et pour nos organisations. Le Général de Gaulle disait «La vie n’est pas le travail. Travailler sans cesse rend fou.» Je ne peux que lui donner raison.