Même la jeune recrue écolo de notre équipe m’a considéré comme un objet de curiosité quand elle a su que je n’avais jamais mis les pieds dans un magasin Costco. «Oh my Goood!» a-t-elle réagi, fidèle au code de sa génération.
Ça manque à ma culture, on me le fait souvent sentir. En effet, on ne tarit pas de bons mots à propos du prix du filet de porc, chez Costco, ou encore de celui du parmesan qu’on peut se procurer pour le restant d’une vie en une seule visite. «Elle n’est pas chère, la meule de Reggiano! Ça se congèle tout de même bien. La texture change un peu, mais le goût reste intact. » C’est ce qu’on dit. Quand on a vu un documentaire sur la fabrication du parmesan, on s’en veut presque de ne pas pouvoir acquérir sa meule pour terminer le travail de l’artisan italien en laissant vieillir le fromage un autre 36 mois à côté de la boîte de pogos, dans le congélateur.
Bref, je suis vierge de Costco et ça me fait une drôle de réputation, comme si j’avais du mal à intégrer le monde adulte. Cette résistance de ma part nourrit aussi l’image du Montréalais bien-pensant qu’on acquiert du seul fait d’habiter près d’une station de métro, sans posséder de bagnole.
La vérité, c’est que je suis trop pingre pour profiter de ces belles économies; ce privilège n’est accessible qu’au prix d’une auto et de tous les frais qui l’accompagnent, comme payer des pneus neufs, ma hantise. Je suis aussi un peu misanthrope, je dois le reconnaître, particulièrement quand la psychologie des foules est à l’oeuvre. Je ne répondrais sans doute plus de mes actes dans la cohue d’un Costco du samedi matin avec tous ces consommateurs qui, avec leur gros chariot, défendent leur trajectoire comme ils le font avec leur VUS sur la route.
Je préfère Amazon Prime, pour vous dire comment je ne suis pas placé pour faire la morale à qui que ce soit en matière de consommation. Quand on adhère à Amazon Prime, on est vite étiqueté de suppôt des GAFA et accusé de soutenir les multinationales au détriment du petit commerçant local qui paie ses impôts. Sans compter que les produits nous parviennent parfois outrageusement suremballés.
On n’achète pas chez Amazon par principe, c’est vrai, ni pour trouver du bon parmesan ou des aubaines. À défaut d’épargner sur les prix, on ménage ses efforts en plus d’éviter la marée humaine. On y déniche sans peine des trucs qu’on ne pourrait dégoter autrement qu’en faisant le tour de tous les magasins de la ville, comme ce Molkky, par exemple, un jeu de jardin pour lequel je me suis découvert un fort potentiel l’été dernier.
Qui croyez-vous que les gens du bureau viennent voir lorsqu’ils convoitent un objet inusité ou qui doit être livré prestement? L’abonnée d’Amazon Prime. À la fin de l’année dernière, un collègue m’a demandé de lui commander un chandail de Noël (c’est la mode), le genre dont on pourrait s’offusquer autant pour son mauvais goût que pour les ressources qu’il a mobilisées pour sa fabrication. La cochonnerie ne sera utilisée que deux ou trois fois avant de se retrouver aux vidanges ou convertie en torchons.
Acheter sur Amazon ne facilite pas seulement la satisfaction de nos plus insignifiantes pulsions de consommateur, cela donne aussi l’occasion de mesurer tout le progrès de l’intelligence artificielle, vous savez celle qui vous propose des produits en fonction de vos achats antérieurs. Le service que j’ai rendu à mon collègue m’a valu d’être bombardé durant des semaines d’offres de gilets imprimés à l’effigie de poitrine velue de père Noël. Voilà où en sont les algorithmes prédictifs, ceux d’Amazon du moins: il suffit d’un chandail humoristique hideux pour qu’ils concluent que vous avez adopté un nouveau style vestimentaire pour aller travailler.
On nous vend n’importe quoi, je vous dis, même quand on n’en veut pas. Encore, il y a quelques semaines, j’ai accédé sans hésiter à la demande de ma boss. En vue d’un événement, il nous fallait une petite caméra, un chargeur de piles et la trousse pour transporter le matériel. Puisque le besoin était pressant, elle s’est tournée vers moi. Comme abonné de Prime, Amazon me garantit une livraison gratuite en deux jours sur une large sélection de produits.
Commandé le jeudi en fin de journée, le paquet atterrit sur mon bureau le lundi matin. Je suis ébahi par l’efficacité et pas peu fier d’avoir contribué à résoudre un enjeu logistique pour mon organisation. Seulement la boîte ne contient rien de ce que j’ai commandé, s’y trouve plutôt un objet dont j'ignorais franchement l'existence, une lampe UV pour durcir le vernis à ongles. La chose a l’air plutôt bon marché, je lui prédis un destin semblable au chandail du père Noël poilu, le dépotoir plus tôt que tard.
Voilà ce qui arrive quand des humains interviennent dans une chaîne d’approvisionnement hi-tech, il se produit des erreurs humaines. Ç’a été tout un fiasco, je ne vous dis pas. La caméra a finalement été livrée en retard, le chargeur de pile s’est perdu dans la livraison et la trousse n’est jamais arrivée. Au bout de trois semaines, tout est à peu près rentré dans l’ordre, jusqu’à hier quand le prix de la caméra a été débité une 2e fois de ma carte de crédit.
On peut perdre son calme même en faisant ses emplettes à partir du confort de son foyer. Il reste cependant un avantage aux achats en ligne, on ne risque pas de blesser quelqu’un en sortant de ses gonds. C’est toujours ça.
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