Qu’est-ce qu’on a l’air d’une bande de perdants avec nos actions d’Apple! Ils sont là à nous narguer avec leurs bitcoins dont la valeur s’est multipliée par plus de 10 000. Ils l’ont compris l’affaire, eux.
Ils ont raison. C’est vrai que je ne comprends rien à ce qui se passe en ce moment.
J’imagine Marcel qui ne pige pas plus que moi, ce qui ne l’empêche pas de s’enquérir auprès de son courtier: «Au fait, j’espère que vous avez mis des bitcoins dans mon portefeuille…» C’est son genre de placement, Marcel. Il affectionne tout particulièrement ceux qui alimentent les conversations sur les parvis après qu’ils aient gagné 1000 %.
Si seulement il pouvait garnir un peu son CELI de cryptomonnaie. Mais il ne peut pas, pas plus que son REER. Mais pourquoi donc vouloir mettre des bitcoins dans un abri fiscal, demandez-vous? Les bitcoins, ça ne s’échange pas de manière tout à fait anonyme dans un recoin du Web?
Oui, mais ça ne dispense pas une personne de déclarer au fisc les profits réalisés sur les transactions de bitcoins. Un contribuable fautif d’évasion fiscal risque la prison, où il pourra agrémenter la galerie en racontant ses exploits financiers. Mais le plus souvent, il recevra un avis de cotisation du fisc assortie d’une jolie amende.
Évidemment, les divers intermédiaires qui donnent accès au marché des cryptomonnaies ne vous enverront pas de feuillet fiscal, ni n'alerteront l’Agence du revenu du Canada (ARC) si vous réalisez des profits en négociant des bitcoins. Mais il ne faut pas compter là-dessus pour s’en tirer. Vous vous imaginez bien que les fonctionnaires de l’ARC lisent les journaux eux aussi.
Aux États-Unis, l’IRS, l’équivalent de notre agence de revenu, a exigé de Coinbase, le principal fournisseur de services de portefeuille de cryptomonnaies, de lui transmettre les informations sur les détenteurs de tous les comptes sur lesquels ont transité plus de 20 000 dollars en une année entre 2013 et 2015. Coinbase administre six millions de comptes. Seulement 1000 contribuables américains auraient déclaré des transactions sur les cryptomonnaies durant ces trois années-là, rapporte cet article de The Verge. Selon Audry Larocque, directeur général en technologies chez PwC Canada, l’ARC ne tardera pas à imiter son pendant américain.
«Les prochaines versions du blockchain [la technologie commune à toutes les cryptomonnaies] relieront les entités virtuelles aux personnelles réelles. On pourra alors associer les transactions aux personnes qui les ont réalisées, incluant les transactions passées», affirme le spécialiste.
Comme l’une des principales caractéristiques du blockchain repose sur la traçabilité inaltérable des transactions, il sera inutile de tenter de se cacher.
Bref, il est risqué de faire fructifier ses économies grâce aux cryptomonnaies sans en informer le fisc. Quant à ceux qui sont devenus millionnaires avec le bitcoin, j’appellerais un fiscaliste au plus vite.
Mais comment déclare-t-on les gains? Il n’y a rien de révolutionnaire, les crypomonnaies sont considérés comme des biens, au même titre qu’un chalet ou une poche de blé. Un contribuable est tenu de déclarer le profit dans l’année de revente. La différence entre le coût d’achat et le prix de vente est considérée comme un gain en capital, à moins que vous passiez vos journées à négocier des cryptomonnaies. «Dans ce cas, cette activité génère des revenus d’entreprise, imposables à 100%», explique Éric Labelle, associé, leader des Services fiscaux pour le bureau de Montréal chez PwC.
Seulement la moitié du gain en capital est imposable. C’est le même principe que les gains réalisés à la revente de titres boursiers ou d’un immeuble. Aussi longtemps qu’on conserve le bien, il n’y rien à déclarer. Quelqu’un qui aurait acheté des bitcoins à la fin de 2014 et qui les vendrait aujourd’hui toucherait environ 45 fois sa mise. Il lui faudrait calculer la différence entre ce que qu’il a payé il y a trois ans et ce qu’il encaisse maintenant. La moitié (50%) de cette somme s’ajoutera à ses revenus de l’année (Annexe 3 et ligne 127 sur la déclaration fédérale; annexe G et ligne 139 sur la déclaration provinciale).
Si Marcel persiste à vouloir investir dans le bitcoin, il est probable qu’il essuie une perte. Il pourra conserver ses bitcoins aussi longtemps qu’il le voudra dans l’espoir de récupérer sa mise initiale, mais il pourrait plutôt être tenté de sortir de là en courant de crainte d’y perdre davantage.
Il se consolera en sachant qu’il pourrait soustraire ses pertes sur des gains en capital qu’il aurait pu réaliser jusqu’à trois ans auparavant ou indéfiniment sur des gains futurs, à condition que ces gains ne soient pas matérialisés dans un REER, ni dans un CELI.
Et pour ça, il faudra flairer la bonne affaire avant. Pas après.
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