Journal Les Affaires - Votre programme est axé sur ce que vous appelez la "présence attentive". De quoi s'agit-il ?
Mario Cayer - Notre programme s'inspire des travaux effectués par le Dr Jon Kabat-Zinn du Center for Mindfulness in Medecine, Health Care and Society de l'Université du Massachusetts. Il a mis au point un programme de gestion du stress basé sur la pratique de la présence attentive, qui est une forme de méditation qui consiste à porter son attention sur ce qu'on est en train de vivre sans porter de jugement de valeur.
Dans notre programme, d'une durée de 17 jours répartis sur un an, nous demandons aux gestionnaires participants de pratiquer cette discipline à raison de six jours sur sept, pendant 25 minutes. Notre postulat est que la pratique de la présence attentive, en plus de tous les bienfaits démontrés par les neurosciences, favorise le passage à un état de conscience dite postconventionnelle, dans lequel la façon de percevoir et de donner un sens aux événements change. Ceux qui la pratiquent intègrent mieux des informations complexes et paradoxales et prennent des décisions empreintes d'une plus grande sagesse. De fait, nous croyons que les exigences du monde du travail d'aujourd'hui ne demandent pas de nouvelles habiletés de gestion, mais plutôt l'atteinte d'un nouveau seuil de conscience.
JLA - Est-il prouvé scientifiquement que la pratique de la présence attentive mène à ce niveau de conscience ?
M.C. - Chaque année, nous évaluons les participants avant et après la formation. Ce que nous avons pu voir, c'est qu'il y a effectivement un mouvement vers le stade de conscience postconventionnelle. Il faudrait toutefois mieux circonscrire ce qui relève, d'une part, de la pratique de la présence attentive et, d'autre part, de la contribution des 17 jours de contenu de la formation.
JLA - Qui sont ces gestionnaires qui participent à votre formation-recherche ?
M.C. - Ce sont des cadres à la recherche d'équilibre et de sens. Malgré le succès dans leur carrière, ils veulent pouvoir gérer en cohérence avec leurs valeurs et atteindre une plus grande sérénité. Leur principal problème, c'est le rythme infernal qui leur est imposé. La présence attentive ne peut pas changer cet état de fait, mais en donnant au gestionnaire une plus grande présence à soi, elle lui permet de changer son rapport à ce rythme infernal.
JLA - Est-ce que cela change leur style de leadership ?
M.C. - Voici une anecdote : j'ai eu à me rendre sur le lieu de travail d'un des participants, directeur des services professionnels dans un centre hospitalier, après sa formation. Un de ses collègues m'a demandé : "Qu'est-ce que vous lui avez fait ? Il n'est plus le même. Avant, quand on entrait dans son bureau, on avait toujours l'impression de le déranger. Maintenant, il écoute vraiment."
D'autres témoignent de leur façon différente de dénouer les conflits, de prendre des décisions, de gérer leur carrière. La présence attentive mène vers un style de leadership transformationnel, c'est-à-dire un leadership qui amène les gens à faire appel au meilleur d'eux-mêmes et à vouloir contribuer au bien commun. Notre société en a bien besoin.
Cet article a été publié dans le journal Les Affaires le 20 décembre 2008.