Pierre Lussier s’est joint au gestionnaire de titres québécois Sipar à titre de vice-président exécutif en 2007, puis y a été promu président en 2011. Après le regroupement de Sipar et de Gestion de placements Eterna, en 2013, il est devenu président de sa division d’actions québécoises. Il cogère un portefeuille de 30 à 40 sociétés québécoises avec Philippe Côté. (Photo: courtoisie)
À PORTEFEUILLE OUVERT. Les Affaires – Comment avez-vous traversé cette année sans précédent dans votre univers de 115 titres québécois ?
Pierre Lussier – On a vécu le drame humain sans panique. Nous avions plus d’encaisse que de coutume avant la chute de mars parce que nos indicateurs signalaient beaucoup d’optimisme. Quand l’un de nos indicateurs de l’humeur du marché, l’indice de volatilité, a grimpé jusqu’à 50, nous avons réduit l’encaisse et réparti le capital dans plusieurs de nos placements. La Bourse a heureusement connu une reprise en V en misant sur une éventuelle solution médicale à la pandémie qui semble d’ailleurs se réaliser. L’effet de richesse a aussi joué sur les consommateurs puisque les actions, les obligations et les prix des maisons se sont appréciés alors que le taux d’épargne a augmenté.
L.A. – Lesquels de vos placements vous a le plus surpris dans toutes ces turbulences ?
P.L. – Le fournisseur de logiciels de gestion de bout en bout de la chaîne d’approvisionnement Tecsys (TCS, 58,00 $), que nous avions en portefeuille depuis quelques années, est monté fortement (172 % depuis 12 mois). Le titre a bien performé pour des raisons fondamentales. Les résultats financiers ont dépassé les attentes. La société satisfait encore nos critères:les dirigeants sont compétents, dynamiques et sont engagés financièrement dans leur entreprise. Le titre a bondi, mais son expansion dans le domaine hospitalier offre encore du potentiel. Si l’évaluation devenait trop riche, nous réduirions alors la taille du placement.
L.A. – Couche-Tard est un placement de longue date. Que pensez-vous de l’offre pour Carrefour ?
P.L. – En principe, on préfère les entreprises qui se concentrent sur leur domaine de prédilection. Il n’est pas question de vendre nos actions de Couche-Tard (ATD.B, 40,74 $), mais les dirigeants vont devoir mieux expliquer le raisonnement derrière l’achat d’un épicier en France, où l’influence syndicale et la faible productivité des travailleurs sont notoires. De plus, les épiciers peuvent moins imposer leurs prix que les dépanneurs. Cela dit, les dirigeants font un travail remarquable et l’entreprise peut compter sur une équipe exceptionnelle de réflexion stratégique. À ce jour, toutes ses transactions se sont aussi bien déroulées. Je veux les entendre pour mieux en juger.
L.A. – Avez-vous trouvé de nouveaux placements qui répondent à vos 36 critères fondamentaux ?
P.L. – En cours d’année, nous avons acheté nos premières actions de Goodfood (FOOD, 12,46 $), dont les perspectives sont intéressantes. Le titre est aussi moins cher que celui d’autres fournisseurs de plats prêts à cuisiner. La société ajoute l’épicerie en ligne au moment où la demande croît. Si elle capte sa part d’un marché qui peut passer de 7 % à 20 % de l’ensemble des dé- penses d’épicerie de 130 milliards de dollars au Canada, les revenus connaîtront une belle progression. Les dirigeants sont énergiques et visent des ventes de 1 milliard de dollars d’ici 2025, dont la moitié dans l’épicerie en ligne.
L’entreprise dégage un bénéfice d’exploitation depuis trois trimestres et nos modèles estiment que les marges d’exploitation peuvent éventuellement atteindre 15 %.
L.A. – Quel autre ajout avez-vous fait?
P.L. – Nous avons acheté Champion Iron (CIA, 5,20 $), qui exploite le complexe minier Minerai de fer Québec du lac Bloom. Son titre a doublé depuis. Nous ne cherchions pas à miser sur une reprise cyclique. Ce n’est pas du tout notre démarche. La propriété du lac Bloom est un bel actif acheté à bon prix qui a une durée de vie de 20 ans, sans compter les réserves. Les dirigeants expérimentés ont une vision solide de leur marché. Son avantage structurel tient à la haute teneur de leur minerai qui contient peu de contaminants. Ce fer moins polluant est très demandé en Chine, au Japon et au Moyen-Orient.
L.A. – Vous détenez Innergex. Les placements verts sont-ils devenus trop populaires ou trop chers ?
P.L. – Je me préoccupe peu des mouvements du marché. Ça fait un bon bout de temps que nous détenons Innergex (INE, 28,63 $), qui produit aussi son énergie renouvelable à faible coût. Les dirigeants sont compétents et ils sont actionnaires de la société. Ses activités internationales nous plaisent aussi. La société cible les plus petits projets qui intéressent peu les plus gros acteurs. Son titre n’est plus bon marché, mais nous sommes à l’aise sur une base fondamentale.
L.A. – Vous investissez dans une optique de trois à cinq ans. Quelles perspectives entrevoyez-vous pour vos entreprises?
P.L. – Notre capacité à trouver de bonnes entreprises est supérieure à celle de prévoir l’économie et les marchés à court terme. Le contexte nous apparaît favorable aux actions, bien qu’une correction soit possible étant donné la riche évaluation des cours, les attentes de bénéfices élevées et certaines mesures de l’humeur du marché.
Pierre Lussier s’est joint au gestionnaire de titres québécois Sipar à titre de vice-président exécutif en 2007, puis y a été promu président en 2011. Après le regroupement de Sipar et de Gestion de placements Eterna, en 2013, il est devenu président de sa division d’actions québécoises. Il cogère un portefeuille de 30 à 40 sociétés québécoises avec Philippe Côté.