Brian McManus, président et chef de la direction de Stella-Jones et lauréat du Prix PDG de l'année Les Affaires - moyenne entreprise
Au tournant des années 2000, Stella-Jones vivote. Arrive un jeune financier de 33 ans, entré récemment à la banque d'affaires privée Cafa qui lui confie le mandat de redresser la situation de son client. Il prendra finalement la présidence de l'entreprise dont il avait justement fait une étude de cas deux ans auparavant, pendant son cours de MBA à l'Université de Western Ontario.
«J'ai vu arriver un jeunot en me demandant s'il pouvait faire grandir une entreprise comme Stella-Jones», se rappelle Nycol Pageau-Goyette, membre du conseil d'administration de l'entreprise depuis 1993, année de son entrée en Bourse.
Brian McManus s'attelle immédiatement à la tâche. «Au lieu de penser simplement à réduire les coûts, nous avons plutôt fait comme si nous partions d'une page blanche», explique-t-il.
Le nouveau pdg prend alors son bâton de pèlerin pour effectuer la tournée des usines. Un exercice qu'il se plaît encore à faire aujourd'hui. «Un e-mail ne donne pas toujours l'heure juste. C'est mieux d'être sur place pour constater la situation et discuter avec les gens», souligne celui qui passe près de la moitié de l'année loin du siège social de la compagnie, situé dans l'arrondissement montréalais de Saint-Laurent.
Un quartier général modeste, au troisième étage d'un immeuble anonyme où près d'une vingtaine de dirigeants seulement veille sur le rendement des 34 usines, réparties dans 16 États américains et 5 provinces canadiennes, et sur celui de ses quelque 2 000 employés. «Compte tenu de la taille de l'entreprise, c'est assez surprenant. Ça montre l'efficacité de Brian McManus et de son équipe», souligne Nicolas Chevalier, gestionnaire de portefeuille au sein de la société de placement indépendante Pembroke.
Le cap des deux milliards de dollars
Les résultats sont probants. Depuis son arrivée en poste en 2001, l'entreprise ne cesse d'afficher des ventes et des profits record. De 2001 à 2015, ses bénéfices ont grimpé de 0,5 M$ à 141,4 M$. À peine trois ans après avoir franchi le cap symbolique du milliard de dollars de ventes, l'entreprise pourrait enregistrer des revenus de 2 G$ cette année, comparativement à 1,56 G$ en 2015.
«On devrait l'atteindre, sinon ce sera très près», estime Brian McManus. Pour les six premiers mois de 2016, Stella-Jones affichait des ventes de 984 M$, par rapport à 768,8 M$ lors de la même période l'an dernier. Les récentes acquisitions, réalisées en Ontario et aux États-Unis, y ont contribué à hauteur d'environ 80 M$.
Les acquisitions, tant au pays que chez nos voisins du Sud où l'entreprise enregistre aujourd'hui environ 80 % de ses revenus, sont devenues un rituel annuel. Brian McManus «a fait la preuve que c'est non seulement un excellent opérateur, ayant réussi à redresser Stella-Jones, mais qu'il est aussi capable de conclure de remarquables acquisitions. Et ce, grâce entre autres aux flux monétaires générés au fil des ans», constate Nicolas Chevalier.
Les trois règles d'or
Les occasions de consolider le marché seront plus rares à l'avenir, particulièrement dans le secteur des traverses de chemin de fer, qui a généré 45,5 % des revenus l'an dernier. Un secteur dominé à l'échelle nord-américaine par Stella-Jones et son principal concurrent, l'américaine Koppers.
Dans le marché plus fragmenté des poteaux destinés aux services publics d'électricité et aux entreprises de télécommunications, l'autre grand secteur d'activité de Stella-Jones dont il est le leader sur le continent, «il y a encore des petites entreprises, donc d'autres possibilités d'acquisition», constate Brian McManus.
Il ne déviera toutefois pas des trois règles d'or l'ayant toujours guidé en matière d'acquisition, inscrites à la main sur une feuille qu'il garde à portée de main sur son bureau. «Après les premières acquisitions, nous recevions des appels d'une foule de sociétés oeuvrant dans divers secteurs du bois. Mais il fallait garder le focus sur nos activités de base», explique-t-il.
Une transaction doit se faire uniquement dans le secteur clé de traverses et de poteaux, à l'exception du bois traité résidentiel, en payant un multiple raisonnable (entre 5 et 6 fois le BAIIA moyen), et générer les meilleures synergies possibles. Mais l'entreprise n'hésitera pas à verser un léger supplément sur le prix pour rendre les vendeurs plus heureux.
«Brian nous dit toujours que ça ne vaut pas la peine de fâcher les vendeurs. Il préfère absorber la somme et conclure en bons termes», souligne Éric Vachon, premier vice-président et chef des finances de Stella-Jones.
D'ailleurs, «Brian est un homme d'une très grande humanité et simplicité. Il n'est pas flamboyant et n'a pas le gros ego de certains dirigeants qui sont trop souvent des arrivistes et des corporatistes», fait valoir Nycol Pageau-Goyette.
Un portrait qui, ajoute-t-elle, est à l'image des propriétaires. L'entreprise familiale italienne Stella et la société familiale écossaise Jones s'étaient associées pour acquérir les quatre usines de traverses de chemin de fer de la papetière Domtar en 1993. Ces deux sociétés détiennent encore 38,4 % des actions de Stella-Jones, dirigée aujourd'hui par un Québécois d'origine irlandaise.
«Pour les propriétaires, c'était un investissement industriel et non financier. Pour cette raison, nous avons toujours eu une vision à très long terme, sans la pression de performer à chaque trimestre», souligne M. McManus. Les perspectives d'avenir de l'entreprise sont encore prometteuses. Outre les acquisitions, elle attend avec impatience le cycle de remplacement des poteaux de bois utilisés par les fournisseurs d'électricité. La plupart ont été installés après la Deuxième Guerre mondiale et arrivent à leur fin de vie utile.
L'entreprise misera sur l'élargissement de sa portée dans la catégorie du bois d'oeuvre à usage résidentiel, qui devrait générer près de 20 % de ses ventes en 2016, par rapport à 11,7 % l'an dernier.
Entre-temps, Stella-Jones continuera son chemin sans trop faire des vagues. «Notre entreprise n'oeuvre pas dans un secteur très in, c'est facile de passer sous l'écran radar», explique M. McManus, qui a fait ses premiers pas d'entrepreneur en achetant une station-service où il était aussi mécanicien, pendant son baccalauréat en économie à l'Université McGill.
Il a aussi profité des bons conseils d'un mentor privilégié : son père, Raymond McManus, a été président et chef de la direction de la Banque Laurentienne et fondateur de Cafa. «Il m'a toujours dit de ne jamais perdre de vue l'objectif principal.»
Brian McManus est «très généreux de ses connaissances. Il n'incarne pas le pouvoir par le contrôle de l'information, bien au contraire, et il fait confiance à son équipe», souligne Éric Vachon qui le décrit comme un leader très intelligent, «d'un point de vue tant intellectuel qu'intuitif».
Nycol Pageau-Goyette ne doute évidemment plus des capacités de Brian McManus. En fait, «compte tenu de ses immenses compétences, et comme il ne veut pas un gros salaire, notre inquiétude a toujours été de le perdre au profit d'une autre entreprise».
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