La coopération et performance sont liées non seulement en termes économiques et financiers, mais également en matière de bien commun, de réputation et de résilience. (Photo: LinkedIn Sales Solutions pour Unsplash)
BLOGUE INVITÉ. L’an dernier, alors que le monde attendait impatiemment la découverte, puis l’approbation des premiers vaccins contre la COVID-19, des pharmaceutiques mettaient de côté leur rivalité pour s’engager dans un rallye scientifique inédit. Partage de propriété intellectuelle, prêt de technologies, accès aux données et au savoir-faire, mise en commun des chaînes d’approvisionnement, les chasses gardées traditionnelles se sont estompées pour développer et produire les précieux vaccins salvateurs.
Bien que contre-intuitives, ces alliances entre concurrents ne datent pas d’hier. Pensons à Apple et Amazon pour le développement du Kindle ou à Samsung et Sony pour la conception du téléviseur LCD. Le phénomène a même son propre néologisme: la coopétition, issu de l’amalgame des termes coopération et compétition.
Avec la crise économique et sanitaire, cette stratégie connaît un regain de popularité. Les rapports interentreprises ont changé. Plusieurs entreprises choisissent d’apporter une réponse collective à la situation sans précédent qui les frappe. Pour d’autres, le modèle s’inscrit dans l’évolution des valeurs sociétales. Il remet en cause la vision égoïste de la raison d’être des entreprises en préconisant le partage et la collaboration.
Si le secteur technologique est naturellement enclin à ces collaborations interorganisationnelles, la coopétition ne connaît pas de frontières et s’applique à toutes les industries, peu importe les défis.
Des motivations multiples
Pour Hugues Poissonnier, professeur associé à Grenoble École de management, la coopétition est motivée par des considérations diverses. Celles-ci peuvent être de nature :
- Utilitaire: une entreprise ne peut arriver seule à ses fins.
- Éthique: en raison de croyances ou de valeurs partagées
- Amicale: une affinité naturelle avec un concurrent
- Bienveillante: pour œuvrer ensemble au bien commun
Dans tous les cas, l’objectif premier est de mutualiser des savoir-faire ou des ressources d’entreprises concurrentes afin de créer un service ou un produit commun, voire un avantage mutuel. Cette stratégie est de nature défensive lorsqu’elle permet à des concurrents de réduire leurs coûts et de partager les risques. Elle est davantage de nature offensive lorsque les parties souhaitent accroître leurs parts de marché dans un marché existant ou conquérir un nouveau marché. Un exemple classique est celui des établissements hôteliers d’une même ville qui mettent en commun leurs ressources afin d’attirer la clientèle.
Des risques importants
Être coopétiteur, n’est pas de tout repos. La coopétition pose plusieurs défis, et sa nature paradoxale complique sa mise en œuvre. Aussi, les entreprises qui s’engagent dans cette voie doivent être conscientes des risques et des tensions qui jonchent le parcours du coopétiteur:
- Risques organisationnels : il faut trouver le juste équilibre entre concurrence et collaboration.
- Risques opérationnels : les tâches et les ressources doivent être réparties de équitablement entre les coopétiteurs afin d’éviter tout favoritisme.
- Risques individuels : les collaborateurs mettent en œuvre cette stratégie au quotidien doivent développer la « coopétition attitude » et être en mesure de naviguer dans la dualité compétition-collaboration. Ils doivent posséder un sixième sens pour déterminer quand il est temps de collaborer et quand il est temps de protéger son entreprise.
Par ailleurs, les coopétiteurs devront faire preuve de vigilance à l’égard des pratiques anticoncurrentielles.
Des facteurs de succès
Il va sans dire que la coopétition repose sur la confiance mutuelle et la capacité des parties à gérer les tensions et les risques inhérents à cette stratégie. Pour que la stratégie porte ses fruits, les entreprises doivent évoluer dans une logique plus collaborative que concurrentielle. Elles doivent être convaincues qu’elles seront plus fortes à plusieurs que seules.
Les chercheurs Anne-Marie Fernandez et Paul Chiambaretto de l’Université de Montpellier vont même plus loin. Ils sont convaincus que les entreprises qui reconnaissent les tensions inhérentes au modèle et les embrassent pleinement bénéficieront davantage de la coopétition. Pour ce faire, ils proposent trois principes de base pour une coopétition réussie :
- Cloisonner les activités faisant l’objet de la coopétition du reste des activités de l’entreprise.
- Adopter une cogestion du projet afin de préserver l’équilibre entre les coopétiteurs et s’assurer que les principales décisions sont prises en commun.
- Dédier au projet des ressources qui sont aptes à naviguer dans l’environnement paradoxal de la concurrence collaborative, ce qui n’est pas donné à tous.
Vous l’aurez compris, la coopétition demande tact et doigté. Les entreprises s’engagent dans cette voie parce que les bénéfices de cette coopération contre-intuitive dépassent largement les risques associés à celle-ci. Pour elles, la coopétition allie le meilleur des deux mondes : la concurrence qui favorise le dépassement de soi et pousse à l’innovation, et la coopération qui permet à l’entreprise d’avoir accès à des ressources ou des compétences qu’elle ne possède pas. Dans ce modèle, coopération et performance sont liées non seulement en termes économiques et financiers, mais également en matière de bien commun, de réputation et de résilience.
C’est d’ailleurs ce que démontre notre exemple du départ. Pfizer et BioNTech ont choisi la voie de la coopétition afin de regrouper les capacités et les connaissances technologiques de BioNTech avec les capacités commerciales et réglementaires de Pfizer. En mutualisant leurs ressources, elles ont gagné un temps précieux dans la lutte contre le coronavirus.
Et vous, quelles alliances pourriez-vous envisager avec vos concurrents ?