(Photo: Clay Banks pour Unsplash)
BLOGUE INVITÉ. Pour moi, chaque nouvelle année vient avec le défi de lire plus que l’année précédente. C’est à peu près la seule résolution que je me donne — et que je tiens. Pour joindre l’utile à l’agréable, je suggère ici quatre idées de lectures récentes ou à venir qui pourront alimenter vos réflexions sur les défis de la transition écologique.
PUBLICATIONS RÉCENTES
1. L’État face à la crise environnementale, Maya Jegen, Les Presses de l’Université de Montréal, 2022, 64 pages
Dans cet essai publié à la fin de 2022, la professeure en science politique à l’Université du Québec à Montréal Maya Jegen propose une synthèse de l’évolution du rôle et de la marge de manœuvre de l’État face aux problèmes environnementaux.
Sa prémisse est que si la réponse des États à la pandémie de COVID-19 a été si rapide et vigoureuse, l’action étatique pour lutter contre la crise environnementale pourrait l’être tout autant. Elle défend d’ailleurs la thèse que l’«État environnemental» (par analogie avec «État-providence») est déjà bien engagé dans la protection de l’environnement, mais que son action varie bien sûr «dans le temps et dans l’espace». Par exemple, dans les années 1970, l’instrument d’intervention privilégié était la réglementation, celui des années 1990 était les incitatifs sur une base volontaire, alors qu’aujourd’hui ce sont les instruments économiques comme les marchés ou taxes carbone. Cela reflète notamment que la protection environnementale est aujourd’hui basée «sur la promotion et le maintien de l’ordre économique libéral», selon le politicologue Steven Bernstein.
L’ouvrage aborde également l’influence sur l’action étatique de différents acteurs et organisations, comme les partis politiques, les mouvements et groupes environnementaux et les agents économiques. Il pose la question à savoir si l’État peut «jouer un rôle clé pour catapulter les sociétés sur une trajectoire écologiquement durable» et expose plusieurs cas qui permettent d’en douter. Finalement, Maya Jegen présente des scénarios de transformation de l’État environnemental et des pistes pour la transition qui mettent de l’avant son rôle incontournable dans la résolution de la crise environnementale.
Lecture brève, mais efficace, L’État face à la crise environnementale est un bon point de départ pour enrichir ses réflexions sur les enjeux politiques de la crise actuelle à partir des idées de plusieurs chercheurs et de nombreux exemples.
2. La caution verte. Le désengagement de l’État québécois en environnement, Louis-Gilles Francœur, avec la collaboration de Jonathan Ramacieri, Écosociété, 2022, 222 pages
Si le livre de Maya Jegen montre que les États agissent pour sauver l’environnement, ou du moins ont le pouvoir de le faire, celui signé par Louis-Gilles Francoeur met en lumière qu’au sein de l’État québécois, cette action est fortement entravée par l’orientation «vouée à l’économie cul-de-sac, extractiviste et consumériste» des gouvernements successifs. L’ancien journaliste spécialisé en environnement au Devoir et vice-président du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) lance un pavé dans la mare avec La caution verte, une enquête réalisée en collaboration avec l’économiste Jonathan Ramacieri sur le poids réel du ministère de l’Environnement au sein de l’État québécois et sa capacité à assurer sa mission.
Grâce à un examen fouillé des budgets du ministère depuis sa création en 1979 et de l’évolution de trois cas, soit le Programme d’assainissement des eaux du Québec, les mesures budgétaires et crédits pour la restauration des sites miniers et la lutte contre les changements climatiques par l’entremise du Fonds vert, l’auteur montre comment les intérêts privés et d’autres ministères sectoriels prévalents sur une véritable préservation de l’environnement que devrait assurer ce ministère. L’enquête donne plusieurs exemples qui illustrent à quel point la marge de manœuvre du ministère de l’Environnement est faible et «a fait l’objet d’une érosion, pour ne pas dire d’un dépeçage». Citons notamment la responsabilité octroyée aux entreprises de «s’autocontrôler en matière d’approbation des projets qui ne sont pas jugés “majeurs” […] au lieu de devoir faire l’objet d’un examen public» et le désengagement dans le contrôle des diverses formes de pollution qui mène des chercheurs à considérer certains cours d’eau agricoles eux-mêmes comme des sources de pollution.
Lecture essentielle, La caution verte devrait faire plus de bruit dans la sphère publique, à mon sens. C’est un ouvrage incontournable pour tout citoyen ou acteur économique qui se soucie de sa responsabilité sociale et qui souhaite contribuer au débat public auquel nous convie l’auteur sur la place de l’environnement dans la machine étatique.
À VENIR
3. Escape from Overshoot. Economics for a Planet in Peril, Peter A. Victor, New Society Publishers, 2023, 256 pages
Cette publication de l’économiste Peter A. Victor, qui sera lancée en avril, s’avère prometteuse. L’intéressante conférence qu’il a présentée à Montréal en décembre dernier donnait une idée des nombreux thèmes abordés dans cet ouvrage qui propose une perspective économique analytique sur la crise environnementale, à partir de la pensée économique classique et de modèles alternatifs. La pièce maîtresse qui risque de retenir l’attention est les résultats d’une modélisation de l’économie canadienne à partir de différents scénarios de transformation.
4. L’emballement du monde. Énergie et domination dans l’histoire des sociétés humaines, Victor Court, Écosociété, 2023, 504 pages
Ce livre, qui sera peut-être publié au moment où vous lirez ces lignes, semble de bon augure. Victor Court, qui est ingénieur en sciences de l’environnement et docteur en économie, signe «une ambitieuse synthèse historique de l’impact de l’exploitation des ressources énergétiques sur les sociétés et leur environnement». L’ouvrage, qui remet en question le progrès technique et la possibilité d’un effondrement, est assurément sur ma liste de lecture pour cette année.