BILLET. Plus de 18 mois après la sortie fracassante de ChatGPT, premier outil d’intelligence artificielle (IA) générative, le buzz ne semble toujours pas s’apaiser. Facile d’utilisation et gratuite, cette technologie permet de produire des textes ou des images avec une facilité déconcertante à qui sait lui poser la bonne requête. Depuis novembre 2022, la course au rattrapage à coups de milliards d’investissement est féroce au sein des GAFAM, qui ont depuis sorti leur propre outil.
Dans ce contexte, nous avons voulu prendre le pouls des entreprises pour connaître leur degré de maturité à l’égard de cette nouvelle technologie. Sommes-nous à la fin de l’ère de l’expérimentation pour entrer dans celle de l’implantation?
Pour le savoir, nous avons profité du classement des 300 plus grandes entreprises du Québec en 2024 pour leur demander: «Votre entreprise a-t-elle adopté l'IA au sein de ses pratiques ou opérations régulières?». À notre grande surprise, nous avons découvert que c’était le cas pour seulement 57% d’entre elles! Pourtant, elles disposent de vastes équipes, de moyens importants et ont donc aussi des gains potentiellement majeurs à faire en l’intégrant. Il est évident que pour les PME, ce chiffre est encore plus bas.
La révolution tant promise de l’IA n’a donc pas (encore) eu lieu.
Bien sûr, son utilisation devient plus fréquente, mais on y va encore en tâtonnant. Est-ce une certaine appréhension qui explique un si faible taux d’intégration ? Il est vrai qu’il y a quelque chose d’un peu mystique à cet algorithme auquel on a donné le nom « intelligence » et qui surpasse déjà celle des humains sur plusieurs aspects. Même les personnes ayant contribué à son exceptionnelle puissance publient désormais des lettres ouvertes pour faire cesser tout développement supplémentaire. La terminologie utilisée quand on parle d’IA est d’ailleurs révélatrice : on parle de la dompter ou de l’apprivoiser.
Pour la démystifier, il nous semblait donc important d’aller à la rencontre des entreprises pionnières qui défrichent le terrain à la recherche des gains de productivité promis. À quelles fins l’ont-elles utilisée, dans quelles divisions et avec quels succès ? Elles ont généreusement accepté de nous ouvrir leurs portes pour nous raconter les dessous de leurs expérimentations.
Que ce soit Desjardins, Cascades, Bell ou Beneva, il en ressort que les entreprises ayant osé entreprendre des projets d’IA ne l’ont pas regretté, au contraire ! Certaines sont encore en phase d’exploration. D’autres les ont déjà déployés avec succès. Dans tous les cas, l’IA a rapidement permis des améliorations majeures. Ces avancées donnent à ces entreprises une longueur d’avance en matière de compétitivité à l’échelle nationale et internationale qu’il sera difficile à rattraper pour celles qui tardent à se lancer.
Il faut comprendre que même si près d’une entreprise sur deux nous a répondu qu’elle n’avait pas adopté l’IA, ce chiffre ne nous donne pas un portrait réellement représentatif de la situation sur le terrain.
En effet, pendant que les hautes directions tiennent encore des comités pour chercher quoi faire avec la bête IA, certains employés sont bien décidés à ne pas se passer de ce super-assistant qui les libère de tâches ingrates ou qui fait tout simplement le travail pour eux, plus rapidement, voire mieux. C’est le secret le mieux gardé pour le moment, mais 79 % des utilisateurs canadiens apportent leur propre IA au travail, et 52 % n’admettent pas qu’ils l’utilisent pour des tâches importantes, majoritairement par peur d’avoir l’air remplaçables. C’est du moins ce que révèle le récent Indice des tendances du travail, un rapport de LinkedIn et de Microsoft (ayant des intérêts importants en la matière, on l’aura compris) qui nous permet d’avoir un portrait plus complet de l’utilisation dans 31 pays.
Ce décalage entre ces employés qui se sont rapidement emparés de l’IA et la lente mise en place d’un processus d’encadrement de la pratique par les dirigeants entraînent deux risques importants que les entreprises ne devraient pas prendre à la légère.
Le premier en est un majeur de sécurité des données, tandis que des informations potentiellement confidentielles se retrouvent en possession d’entreprises privées américaines.
L’autre est le fossé préoccupant qui ne cesse de se creuser entre les personnes s’étant rapidement emparé de l’outil, souvent seules et par curiosité, et les autres. Or, il est évident qu’être à l’aise avec les outils d’IA générative va devenir une habileté de base dans les prochaines années dans l’économie du savoir. Il est donc de la responsabilité des entreprises d’accompagner leurs employés dans cette transition technologique. Elles devraient donc mettre en place des formations pour l’ensemble d’entre eux, et ce, le plus rapidement possible. Elles peuvent même s’appuyer sur ces super-utilisateurs, ce qui serait une judicieuse manière de valoriser leurs nouvelles compétences et d’en faire les ambassadeurs des bénéfices potentiels.
Par curiosité, j’ai demandé à ChatGPT quel était le risque principal pour les entreprises n’adoptant pas l’IA. Voici sa réponse: « Le risque principal pour les entreprises n’adoptant pas l’IA est de perdre leur compétitivité, ce qui peut les rendre obsolètes face à des concurrents plus innovants et efficaces. »
L’IA est là pour de bon. La question est donc: comment allez-vous l’utiliser pour vous démarquer?
Marine Thomas
Rédactrice en chef, Les Affaires
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