Avons-nous décidé de léguer ce monde à nos enfants?

Publié le 28/07/2023 à 18:00

Avons-nous décidé de léguer ce monde à nos enfants?

Publié le 28/07/2023 à 18:00

La fumée des incendies de forêt au Québec et en Nouvelle-Écosse a été vue et sentie le 28 juin à Toronto. (Photo de Ian Willms/Getty Images)

ANALYSE ÉCONOMIQUE. Feux de forêt, vagues de chaleur extrême, pluies torrentielles… Les changements climatiques s’accélèrent sous nos yeux aux quatre coins de la planète. Pourtant, nos efforts collectifs sont loin d’être à la hauteur de la crise écologique qui nous menace. Avons-nous d’ores et déjà décidé de lancer la serviette et de léguer un monde plus chaud, hostile et instable à nos enfants?

La question se pose devant le manque d’ambition des gouvernements, des entreprises et des particuliers pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). 

Pourtant, nous savons prendre des actions difficiles et efficaces dans certaines situations de nature économique.

Quand vient le temps de sauver une entreprise au bord de la faillite, nous savons ce qu’il faut faire rapidement: sabrer massivement les dépenses et vendre des actifs, tout en essayant de générer de nouveaux revenus.

Mais ça fait mal.

C’est la même chose pour s’attaquer au budget déficitaire d’un gouvernement dans le rouge et surendetté: il faut réduire les services, tout en taxant davantage les entreprises et les mieux nantis.

Ça fait encore plus mal.

Idem pour combattre l’inflation qui gruge le pouvoir d’achat et l’épargne des particuliers: pour ralentir l’économie, les banques centrales doivent augmenter les taux d’intérêt, ce qui fait bondir les coûts d’emprunt des entreprises et des particuliers, incluant leur hypothèque.

Là, c’est carrément douloureux.

Revenons maintenant au climat, mais en reprenant des éléments de ces trois exemples économiques.

 

À consulter:

Dossier - Spécial Climat: adaptez votre entreprise

Nous avons aussi besoin de rigueur écologique

 1. (Faillite) Notre planète est sur le bord de la faillite écologique. Sept des huit limites planétaires sont dépassées, révèle une étude produite par plus de 40 chercheurs internationaux, publiée le 31 mai dans la revue Nature.

Ces huit limites sont le climat, l’état des eaux de surface, l’état des eaux souterraines, le cycle du phosphore, le cycle de l’azote, l’étendue des espaces naturels intacts, l’intégrité fonctionnelle des écosystèmes modifiés par l’humain et la pollution par les aérosols.

Par exemple, pour le climat, il fallait limiter le réchauffement à +1 degré Celsius depuis le début de l’ère industrielle.

Or, nous sommes actuellement à +1,2 degré et nous pourrions dépasser les 1,5 degré aux alentours de 2030 — la limite idéale qu’il ne faut pas dépasser, selon l’Accord de Paris sur le climat de 2015, même si 2 degrés est la limite pour éviter un emballement climatique.

En fait, seule la pollution par les aérosols se situe encore à un niveau supportable pour la planète, selon l’étude.

2. (Budget) Le «budget» de la Terre — c’est-à-dire le niveau maximal de ressources que l’humanité peut consommer chaque année pour respecter le cycle de renouvellement naturel des ressources de la planète qui ne sont pas infinies — est dans le rouge, rapportait en septembre 2018 le magazine Foreign Policy.

Ce budget s’élève à 50 milliards de tonnes métriques de ressources, ce qui inclut le poisson, le bétail, les métaux, les minéraux et les combustibles fossiles. Nous avons dépassé ce seuil en 2000, et notre consommation dépasse aujourd’hui les 70 milliards de tonnes, soit un déficit d’au moins 20 milliards de tonnes.

Si la tendance observée en 2018 se maintient, la consommation planétaire de ressources pourrait même atteindre 180 milliards de tonnes en 2050.

3. (Taux d’intérêt) Pour ralentir l’économie et combattre l’inflation, les banques centrales doivent augmenter drastiquement les taux d’intérêt. Eh bien, pour réduire les GES et combattre le réchauffement planétaire, il faut augmenter drastiquement la taxe sur le carbone dans le monde.

Or, on est loin d’un seuil qui provoque un point de bascule, comme les banques centrales ont réussi à le faire en remontant leur taux directeur depuis plus d’un an pour combattre l’inflation.

Au Canada, le taux directeur actuel s’établit actuellement à 5%, et ce, après 12 hausses consécutives depuis mars 2022, alors qu’il s’établissait à seulement 0,25%. Pour l’ensemble de 2022, l’inflation s’est établie en moyenne à 6,8% au Canada.

Preuve que cette médecine de cheval fonctionne, l’inflation a progressé de seulement 2,8% en juin par rapport à juin 2022. C’est sa plus faible progression en 27 mois, qui marque aussi un retour dans la fourchette cible de 1 à 3% de la Banque du Canada. 

Les émissions de GES continuent d’augmenter dans le monde, tout comme au Canada et au Québec (bien que légèrement).

C’est mathématique: cela signifie donc que le prix du carbone n’est pas assez élevé pour induire des réductions massives d’émissions.

 

Des entreprises réduisent leurs émisssions de GES, mais elles sont insuffisantes pour stopper la croissance totale des émissions au Canada et dans le monde. (Photo: Marek Piwnicki pour Unsplash)

Par exemple, au Canada, la taxe sur le carbone du gouvernement fédéral — qui ne s’applique pas au Québec — s’élève à 65$ la tonne depuis le 1er avril.

Dans le cas du Québec, qui participe au système SPEDE (système de plafonnement et d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre) avec la Californie, le prix de vente final des unités d’émissions de GES aux enchères s’est élevé à 40,81$, le 17 mai.

Quel est le prix optimal du carbone pour provoquer un point de bascule: 100$, 200$, 300$, 400$, 500$ la tonne, voire plus? Personne ne le sait vraiment.

Chose certaine, les niveaux actuels sont beaucoup trop bas.

 

Un changement de cap majeur s’impose

Ce n’est pas sorcier, si nous voulons vraiment réduire nos émissions de GES (tout en continuant à nous adapter), il faudra nécessairement implanter des mesures beaucoup plus drastiques et restrictives.

Et cela devra faire mal, parfois même très mal, comme pour sauver une entreprise au bord de la faillite, redresser les finances publiques d’un gouvernement ou lutter contre une poussée inflationniste.

Les mesures efficaces sont connues.

Les gouvernements doivent cesser de subventionner les producteurs d’énergies fossiles. Les taxes sur le carbone doivent aussi atteindre le point de bascule pour casser la courbe de croissance des émissions de GES — comme le taux directeur élevé des banques centrales est en train de casser l’inflation.

Les entreprises doivent traquer sans relâche le carbone dans leur chaîne logistique (approvisionnement, production, commercialisation), et être prêtes à investir des sommes importantes pour y arriver, même si ce n’est pas rentable à court terme.

Les particuliers peuvent aussi faire une grosse différence, en misant sur deux aspects de leur vie, soit l’alimentation et le transport — l’impact du recyclage et du compostage sur les émissions de GES demeure marginal.

Réduire sa consommation de viande diminue les émissions de GES, tout comme posséder une seule voiture par ménage (électrique dans le meilleur des mondes) ou prendre moins souvent l’avion, en favorisant plutôt le train ou le tourisme local ou continental.

Des mesures trop rigides, trop contraignantes, voire radiales, diront certains.

Sans sacrifice, sans changement de cap, sans révision de nos modes de vie, la lutte aux changements climatiques est malheureusement sans doute vouée à l’échec.

Si nous ne sommes pas prêts à faire ces choses, alors aussi bien dire à nos enfants que nous avons décidé de lancer la serviette et de leur léguer un monde plus chaud, hostile et instable.

Car ce sera notre décision collective, c’est-à-dire des gouvernements, des entreprises puis de vous et moi.

À propos de ce blogue

Dans son analyse bimensuelle Dans la mire, François Normand traite des enjeux auxquels font face les entrepreneurs aux quatre coins du Canada, et ce, de la productivité à la pénurie de la main-d’œuvre en passant par la 4e révolution industrielle ainsi que la gestion de l’énergie et des ressources naturelles. Journaliste à «Les Affaires» depuis 2000 (il était au «Devoir» auparavant), François est spécialisé en ressources naturelles, en énergie, en commerce international et dans le manufacturier 4.0. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières, et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke.

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