Serait-ce bien grave si la Bourse devait plonger de 40% ? Le sujet est dans l’air. Partout sur les réseaux sociaux, il y a deux semaines, cette vidéo de l’ourson qui dévale une pente sous les yeux effarés de sa maman ours, bien c’était peut-être un avertissement.
Je ne veux pas vous émouvoir ou vous faire peur. Au contraire, je veux vous rassurer. D’abord, c’est seulement une probabilité parmi tant d’autres. Puis, les expériences passées ont montré que l’on pouvait encaisser un effondrement des marchés boursiers.
Je ne crois pas qu’il faille redouter une coupure d’électricité ou de l’Internet advenant une interminable chute du S&P 500. Non plus qu’on doive creuser un trou pour y stocker conserves, munitions et pièces d’or.
S’inquiéter pour notre retraite, alors? Non plus.
C’est de ce sujet dont je voulais vous parler la semaine dernière avant de m’égarer dans cette anecdote sur le collègue, sujet pour lequel j’ai aussi mis la table mercredi. Faut-il s’inquiéter de la soudaine volatilité boursière, que d’aucuns interprètent comme un signe avant-coureur de ce qu’on appelle chez les pros un bear market, c’est-à-dire, traduit en langage contemporain, un marché qui «OMG-il-n’arrête-pas-de-descendre-agrippe-toi-petit-ourson-!» ?
On en a vu d’autres, la spectaculaire débandade de 2009 est encore fraîche à nos mémoires. Il s’agit probablement du scénario du pire, le système financier était menacé, tout de même. Si ça devait se reproduire, ceux qui ont le plus à perdre sont à première vue les gens qui entament leur retraite ou qui s’en approchent. Ils n’auront plus le temps de renflouer la caisse. Quoique…
Plus tôt cette semaine, j’ai tenté d’expliquer comment, en période d’accumulation, la séquence des rendements peut avoir un effet déterminant sur la taille d’un portefeuille de placements. C’est complexe.
Pour un même rendement moyen sur 30 ans, l’ordre dans lequel défilent les gains et les pertes au cours des années déterminera en partie le niveau d’épargne avec lequel on atteindra la ligne d’arrivée (ou de départ à la retraite, selon la perspective). Les écarts ne s’expliquent pas seulement par la séquence, mais aussi (et surtout) parce que le portefeuille subit les fluctuations alors qu’on y injecte de plus en plus d’argent chaque année.
Quand on bascule en période de décaissement, que se passe-t-il?
En théorie, l’épargne est censée durer de 25 à 30 ans, ce qui veut dire qu’on doit n’en soustraire qu’un peu chaque année. En ne retirant que 5% ou 6% du contenu du portefeuille annuellement, l’effet de la séquence de rendements se trouve allégé, même en subissant une correction dès le début, du moins aussi longtemps qu’on ne cède pas à la panique. Les baisses, même importantes, seront en bonne partie compensées par les rebonds subséquents, et vice versa. Il en serait autrement si les ponctions étaient plus grosses, le portefeuille perdrait rapidement du ressort.
On conseille souvent aux retraités de conserver deux ou trois années de liquidités pour éviter, justement, de devoir cristalliser des pertes en décaissant des titres qui viendraient de subir une baisse importante.
Que du bon sens en apparence, mais c’est là une précaution inutile, insiste le planificateur financier Daniel Laverdière avec qui j’ai discuté pour cette paire de chroniques publiées cette semaine. D’abord, il faudrait trouver le bon moment pour constituer ce coussin préventif en retirant quelques-unes de ses billes des actions et des obligations, ce qui reviendrait à tenter de se synchroniser avec le marché. Puis il faudrait bien le renflouer après utilisation. Et comment ? Il n’y a qu’un seul moyen, en pigeant dans ses placements et espérer, encore, le propice timing. Ce n’est pas à proscrire si c’est la solution pour atténuer son angoisse et dormir la nuit. Sinon, pourquoi ne pas retirer tranquillement ce dont on a besoin ?
Pour un retraité qui dispose de ressources plus importantes que ce qui requiert son style de vie, il n’en tient qu’à sa tolérance au risque. Il peut sans crainte s’exposer aux aléas de la Bourse.
À ce sujet, je vous invite à jeter un coup d’œil à ce texte de Ben Carlson, gestionnaire de portefeuille et chroniqueur très respecté dans son domaine. Carlson a simulé l’évolution du portefeuille de trois personnes qui se seraient retirés à des sommets boursiers historiques, juste avant la Grande Dépression de 1929, la crise du pétrole de 1973 et l’éclatement de la bulle des technologies, en 2000.
En retirant chaque année 4 %, plus inflation, d’un portefeuille qui valait 1 M$, ces personnes seraient décédées plus riches qu’au moment où ils ont débuté leur retraite, à l’exception notable de celui qui s’est retiré durant les années 1970. Pourquoi lui ? Non pas parce la Bourse a chuté de moitié l’année suivant son départ à la retraite, mais parce que le coût de la vie a grimpé de 121 % au cours des neuf années après qu’il ait cessé de travailler. Il a pu tout de même enrichir sa succession.
Vous pourriez rétorquer que 4% de 1 M$, cela n'équivaut qu'à 40 000 $, ce qui pourrait ne pas suffire, alors qu’amasser un million de dollars, ce n’est pas une mince affaire. Vous avez raison. On pourrait retirer plus de 4% du portefeuille sans trop craindre d’épuiser son argent avant de mourir. Ou retirer 4% d’un compte moins garni et passer une retraite des plus sereines sur le plan financier. Ou tout simplement viser l’épuisement du capital à un âge avancé, à 95 ans. Ce qui permet des vieux jours assez joyeux.
Des portefeuilles qui flirtent entre les 750 000 et le million, ce n’est toutefois pas à la portée de tous, j’en conviens. Ceux qui ont tout juste assez pour maintenir leur niveau de vie à la retraite n’ont pas le luxe de pouvoir encaisser des pertes importantes dans les premières années de leur retraite. C’est psychologiquement intenable.
Ceux-là ont tout intérêt à se réfugier dans des placements sécuritaires pour ne pas craindre de krach. Arrivé à la retraite, compter sur une fréquence de rendements favorables pour compenser de l’épargne un peu limite est un pari au potentiel désastreux et anxiogène.
Il y a mieux à faire à sa retraite que d’avoir les yeux rivés sur ses placements.
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