J’ai vécu un moment très excitant il y a quelques semaines. Je devais discuter de poubelles avec un voisin lorsque la conversation a bifurqué sur son assurance vie. Oui !
Imaginez-vous qu’il y a 10 ans, ce travailleur autonome a acheté un paquet d’assurances en même temps: il y avait là-dedans une assurance vie temporaire de 300 000$ pour sa blonde, une autre temporaire de 300 000$ pour lui, plus une troisième sur sa tête de 100 000$, mais celle-là permanente. Pas la tête, l’assurance.
La différence ? L’assurance temporaire est une protection pour la famille contre une perte de revenu au cas où l’un des pourvoyeurs décédait prématurément. Elle se compare un peu à une assurance habitation qu’on paie dans le vide, mais qui nous sauve de la ruine en cas de sinistre.
L’assurance vie permanente s’apparente plus à un placement qui profitera à sa succession. Elle peut servir à régler la facture du fisc au décès quand de l'impôt latent s'est accumulé sur des actifs non liquides, comme une entreprise ou des immeubles.
Détail important : pour le même capital assuré, la prime d’une assurance temporaire représente une petite fraction de celle d’une assurance permanente.
Le voisin, appelons-le Gaston, n’avait aucun actif au moment de signer le contrat. Il n’avait même pas d’enfants, quoique le projet devait être dans l’air au moment de signer le contrat, la plus grande de ses deux filles doit bien approcher les 10 ans, mais c’est très approximatif, je ne suis pas bon pour évaluer une progéniture autrement qu’en décibels.
Aujourd’hui, le voisin n’a aucune idée sur quelles bases lui ont été offertes ces polices d’assurance par un conseiller en sécurité financière. Les polices temporaires, inutiles à l’époque, sont aujourd’hui insuffisantes.
Quant à la police permanente, elle n’est pas plus adéquate qu’avant, quoique sur cette question, il n’y a pas unanimité dans l’industrie. Celle-ci se divise en deux camps en fait. Il y a ceux d’un côté pour qui l’assurance vie permanente convient spécifiquement à combler des besoins successoraux. Elle s’adresse donc à ceux qui mourront assurément avec un bon coussin, lire une infime minorité de gens.
D’un autre côté, il y a ceux pour qui cette assurance est destinée à un plus large bassin de clientèle. Pour ces partisans, la perspective d’enrichir la génération suivante à son décès, qu’importe le sacrifice nécessaire, occupe une belle place sur l’échelle des priorités familiales (et dans le pitch de vente).
Ce n’est pas la première fois que j’écris sur le sujet, j’ai déjà recueilli beaucoup de feedback. Je suis à l’aise d’affirmer que la partie qui défend l’approche restrictive est composée autant de conseillers en sécurité financière que de professionnels des finances qui n’ont aucun d’intérêt dans la vente de produits d’assurance. Dans l’autre côté, on trouve presque exclusivement des vendeurs d’assurances.
Revenons au voisin Gaston. Sur l’avis d’un planificateur financier, lui et sa conjointe devraient augmenter leur couverture d’assurance vie temporaire, les 300 000$ sont de loin insuffisants pour pallier la perte de revenu engendrée par le départ éventuel de l’un ou l’autre des parents.
Mais que faire de la permanente ? L’abandonner ? C’est là sans doute l’élément intéressant de l’histoire : il devrait s’y accrocher, même s’il devait payer des primes durant 50 ans encore.
Il s’agit d’une police d’assurance dite «universelle». Le produit est complexe. Il permet à l’assuré d’épargner à l’intérieur de la police, comme dans un compte d’investissement, en versant des sommes plus élevées que la prime exigée par l’assureur. Les conseillers en sécurité financière mettent de l’avant les avantages fiscaux de tels investissements aux décès de l’assuré.
Il y a deux volets, donc : une assurance vie permanente de base et un compte de placement. Seulement, selon le contrat d’assurance qu’a signé mon voisin, ce dernier ne peut investir que dans les affreux produits de placement de l’assureur, des fonds distincts dont les coûts sont «aark» ! On parle ici de frais de gestion de 3% pour des fonds indiciels, soit 30 fois plus élevés qu’un fonds négocié en Bourse (FNB) similaire.
Toutefois, le bon côté de l’affaire se trouve dans le coût de la prime d’assurance vie : 358 $ par année pour un capital décès de 100 000$. Selon le contrat, elle est nivelée, elle ne montera donc jamais.
Il faudrait encore 270 ans à mon voisin pour accumuler 100 000 $ au rythme de 29,83 $ par mois, à supposer un rendement de 0%. S’il vivait jusqu’à l’âge vénérable de 95 ans, les 100 000$ du capital décès équivaudront à toutes ses primes versées à partir de maintenant jusqu’au décès, plus un rendement annuel composé de 6% (non imposable) sur plus de 50 ans, estime Denis Preston, CPA et chargé de cours à HEC Montréal.
En comparaison des primes qu’il faut aujourd’hui débourser lorsqu’on souscrit ce type d’assurance, les polices vieilles de 10 ans ressemblent à l’affaire du siècle.
«Aujourd'hui, un homme de 35 ans, non-fumeur, doit payer environ 820$ par année pour une police permanente de 100 000 $ à coût nivelé», affirme Éric Brassard, planificateur financier, FCPA, FCA et Associé au cabinet Brassard Goulet Yargeau.
Les bas taux d’intérêt des dernières années ainsi que la réforme qui a touché l’industrie en 2016 ont fait grimper le coût des primes d’assurance vie permanente, selon l’expert.
Éric Brassard n’est pas favorable à la vente de ce type d’assurance aux personnes dont les activités professionnelles ou entrepreneuriales n’augurent pas un fort potentiel successoral.
En revanche, qu’on soit ou non le client désigné pour ce genre de produit, il pense qu’on ne devrait pas l’abandonner si on s’est laissé convaincre d’y souscrire, surtout si la police a un certain âge.
Les vieilles polices ont beaucoup de valeur, surtout si elles ont été négociées dans des conditions favorables, comme celles dont a profité le voisin Gaston. Il pourrait demander à ses filles de prendre le relai pour payer la prime, quand elles auront les moyens.
Denis Preston, qui forme de futurs planificateurs financiers sur les questions d’assurance, se montre plus à l’aise avec l’idée de larguer une assurance vie permanente, surtout si la charge empêche l’assuré de combler des besoins plus urgents. L’assurance de Gaston le laisse cependant songeur, la prime est vraiment basse.
Le spécialiste jongle avec l’hypothèse que l’assurance vie permanente du voisin ait pu servir de produit d’appel, un hameçon, pour l’inciter à investir dans les produits de placements offerts à côté, plus payants pour la compagnie.
Le plus cocasse de toute l’histoire, c’est que Gaston cherchait à l’origine une assurance invalidité, une protection essentielle pour ce travailleur autonome. Eh bien, il paraît qu’elle est bien ordinaire celle-là !
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