La campagne électorale a du mal à s’élever au-dessus du plancher des vaches, et ça n’a rien à voir avec la défense de la gestion de l’offre dans le secteur laitier. En un mois, on a eu droit à bien de la «petite» promesse disparate destinée à séduire des segments de l’électorat.
D’aucuns, j’en suis, soulignent que les propositions sur la table, quand elles ne nous arrivent pas du monde des licornes, sont d’un prosaïsme parfois navrant. Il manque de grands projets ambitieux. On est à se demander si on ne verra plus jamais de vastes réformes, vous savez, quand le politique rattrape tout d’un coup des années d’évolution de la société civile.
Ce ne sont pourtant pas les opportunités qui manquent.
Ces grands chantiers, et je ne parle pas des rues de Montréal, cadrent mal dans les codes actuels du marketing politique. Ils ne se résument pas en un clip de 10 secondes, surtout quand ils touchent la fiscalité. Oui, bien sûr, une promesse de baisse d’impôt, c’est fort digeste. Mais transformer toute l’affaire de fond en comble ?
C’est la suggestion de spécialistes de Raymond Chabot Grant Thornton et de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM qui viennent de déposer le fruit d’une longue réflexion sur notre système fiscal. J’en conviens, il n’y a rien de très exaltant dans une réforme fiscale. Ce pourrait tout de même avoir un impact considérable sur la vie des gens, sans doute plus encore qu’une réforme du Code criminel ou du Code civil.
L’exercice a été mené par Brigitte Alpin, spécialiste en planification et en politique fiscale, et professeure de fiscalité invitée au département des sciences comptables de l’Université du Québec à Montréal; par Manon Deslandes, professeure à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM; et par Luc Lacombe, fiscaliste associé et codirecteur du service de fiscalité chez Raymond Chabot Grant Thornton.
Les trois experts ont cherché à savoir si la fiscalité s’appliquait équitablement sur les familles selon leur statut juridique, leur profil social, peu importe la classe économique à laquelle ils appartiennent. Ils ont analysé plusieurs scénarios. Dans 70 % des cas, ont-ils observé, les règles fiscales ne sont pas neutres. Sept fois sur dix, la fiscalité génère des distorsions, donc des iniquités, selon des variables comme la répartition des revenus dans le couple, leur statut matrimonial, le nombre d’enfants de leur ménage ou encore le temps que ces derniers resteront à l’école.
Les grandes lignes du système fiscal ont été écrites il y a longtemps, à une époque où un parent pourvoyait aux besoins matériels de la famille pendant que l’autre veillait sur les affaires domestiques. C’était la même époque où les parents se passaient la bague au doigt pour avoir des enfants légitimes et où se remettre en ménage était un peu gênant, sinon honteux.
Pour refléter l’évolution dans ces domaines, le grand livre fiscal a été modifié par bouts, on y a greffé de nouveaux chapitres, des annexes et des annotations. Arrive un moment toutefois où la chose devient bancale et contre-productive.
L’une des meilleures illustrations de cette inefficacité se trouve dans les taux effectifs marginaux d’imposition (TEMI) qui font en sorte qu’un ménage à revenu modeste peut être imposé plus lourdement que Carey Price sur les derniers dollars gagnés.
Cela a pour conséquence, selon Luc Lacombe, que des gens baseront leurs décisions sur des considérations fiscales, ce qui est absurde. Pourquoi travailler plus si le fruit est en majeure partie bouffé par l’impôt ? «Le meilleur exemple sont les familles reconstituées qui vivent à deux adresses parce qu’elles perdraient trop à vivre sous le même toit», dit le fiscaliste.
Un autre cas assez éloquent, et fréquent, est illustré par cette famille dont le revenu total s’élève, mettons, à 80 000 dollars. Elle sera plus sévèrement imposée s’il n’y a qu’une source qui ramène tout l'argent plutôt que deux qui contribuent à 40 000 dollars chacune.
Les experts contestent également la définition actuelle d’enfant à charge, qui cesse actuellement à 18 ans. «Un enfant qui poursuit des études universitaires reste souvent à la charge de ses parents au-delà de cet âge», fait remarquer l’associé chez RCGT.
Ils avancent des propositions qui pourraient en faire grincer des dents, dont l’instauration d’une limite à l’exemption sur le gain en capital de la résidence principale.
L’étude aborde également les familles en affaires. Les auteurs soulèvent ici plusieurs distorsions, à commencer par le fait qu’il est plus avantageux de vendre une entreprise à un tiers sans filiation familiale plutôt qu'à son enfant. C’en est une parmi d’autres.
Ils amènent des pistes de réflexion pour le moins audacieuses. D’abord, ils suggèrent que l’impôt ne soit plus basé sur le revenu personnel, mais sur celui de la famille, ce qui reviendrait à accorder à tous le droit de fractionner leurs revenus. Une autre proposition non moins radicale consiste à mettre en place une structure de taux d’imposition qui tiendrait compte de la taille de la famille et qui intégrerait des prestations comme le crédit à la solidarité, l’allocation canadienne pour enfant et le paiement de soutien aux familles.
Ils recommandent aussi le remplacement des différents comptes enregistrés (REER, REEE et CELI) par un seul qu’ils appellent le Régime enregistré d’épargne globale (REEG). Ce compte pourrait servir autant à financier la retraite, l’achat d’une maison, les études des enfants que le démarrage d’une entreprise.
Intitulé La fiscalité de la famille: un modèle à redéfinir, ce document de réflexion poursuit un objectif semblable celui du rapport de la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise présenté par Luc Godbout, il y a plus de trois ans. Il s’inscrit aussi dans la même veine qu’un autre rapport dévoilé plus tôt ce mois-ci au sujet du droit de la famille. Commandité par la Chambre des notaires, ce dernier suggère de nouveaux critères pour la définition du statut de «conjoint».
Ils ont tous en commun de proposer un cadre adapté à la réalité d’aujourd’hui. Ce serait simple d’emballer tout ça dans des slogans comme «Des impôts plus justes pour les familles», on resterait dans l’air du temps. Mais c’est bien long à expliquer, bien plus que la libération de cette corvée infame que représente la préparation des lunchs des enfants.
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