Les entreprises mal gérées et arnaqueurs en tous genres ne se découragent pas de l’absence de réglementation. (Photo: 123RF)
LES CLÉS DE LA CRYPTO est une rubrique qui décode patiemment l’univers de la cryptomonnaie et ses secousses boursières, industrielles et médiatiques. François Remy se donne pour mission d’identifier les entrepreneurs prometteurs, de décoder les progrès techniques et d’anticiper les impacts industriel et sociétal de cette monnaie numérique.
Régulateurs, législateurs et entrepreneurs ratent une rare occasion de révolutionner, ensemble, la sécurité de l’industrie financière. Au lieu d’incriminer les technologies crypto, gendarmes des marchés et décideurs politiques pourraient s’en servir pour combattre blanchiment et escroqueries avec les acteurs de l’écosystème du bitcoin.
«Plusieurs grandes institutions financières n’attendent plus que de la clarté réglementaire avant de plonger dans la crypto». Cette affirmation ne relève pas d’une énième promesse, lancée à la cantonade par un évangélisateur crypto, sur le rayonnement espéré des technologies révélées par le bitcoin. Il s’agit du témoignage de Paul Brody, directeur mondial de l’innovation blockchain chez Ernst & Young (EY). Ce vétéran du secteur de l’électronique pilote les stratégies, initiatives et investissements en matière de chaîne de blocs pour le grand cabinet de conseil britannique.
L’idée ne consiste pas ici à succomber au biais d’un quelconque argument d’autorité ou d’une prophétie autoréalisatrice d’un consultant intéressé, mais de relever le témoignage d’un acteur industriel. Lui qui accompagne justement des multinationales dans leurs transformations numériques. Or, son témoignage ressort empreint de frustration : «aucune leçon ne sera tirée de (la faillite frauduleuse) de FTX», estime-t-il, alors que l’écosystème crypto et ses technologies émergentes recèlent des avantages que nous tardons à cerner et employer.
Manque de cohérence globale
Paul Brody dit ne pas comprendre «notre lenteur à progresser dans le monde entier sur des réglementations bien organisées en matière de blockchain et de cryptomonnaies.» Il défend les vertus d’un encadrement légal et souligne l’impact positif que certaines mesures peuvent exercer contre «les mauvais acteurs».
Mais le responsable d’EY évoque «l’effet dissuasif sur les bons acteurs qui aimeraient se lancer dans cette activité» que génère l’absence d’uniformisation et de standardisation au niveau international. «Ces bons acteurs ont peur de se retrouver du mauvais côté de règles qui n’ont pas encore été fixées», assure-t-il.
Paul Brody insiste sur le fait qu’il ne joue pas au diseur de bonne aventure, mais partage le ressenti de ses clients, parmi lesquels des grands noms de la finance qui attendent les éclaircissements en termes réglementaires avant de se lancer plus largement dans l’industrie du bitcoin, des stablecoins et autres actifs numériques.
«Une situation moins qu’idéale»
Le contexte actuel a l’allure d’une double peine pour l’industrie crypto. Paul Brody fait remarquer en effet que les entreprises mal gérées et arnaqueurs en tous genres ne se découragent pas de l’absence de réglementation (au contraire !). Avec pour résultat que les mauvais acteurs font face à beaucoup moins de concurrence. Et même si beaucoup de «bons» œuvrent dans l’écosystème crypto, cela reste compliqué de distinguer le bon grain, de l’ivraie, surtout pour des utilisateurs finaux par forcément initiés.
«En raison de l’absence de clarté réglementaire et de normes, même ces bons acteurs ont du mal à se différencier des mauvais acteurs. Tous les mauvais acteurs prétendent qu’ils sont audités, gérés de manière professionnelle et qu’ils prennent la conformité au sérieux», indique le directeur chaîne de blocs d’EY.
Une révolution réglementaire
Pour prendre un peu de recul avec ce témoignage, ne serions-nous pas tous — régulateurs, décideurs politiques, entrepreneurs et consommateurs — en train de rater de rares opportunités ? Pourquoi ne pas profiter des progrès offerts par ces nouveaux outils technologiques ? Pourquoi ne pas exploiter cette transparence inhérente aux blockchains publiques pour améliorer nos systèmes ?
Depuis Bitcoin, il n’a jamais été aussi radicalement possible de suivre des flux financiers. Autrement dit, la technique permet de remonter, documenter, analyser et cerner les risques posés par des transactions. La lutte contre le blanchiment semblerait avoir beaucoup à gagner à intégrer pareille technique dans ses moyens de contrôle.
Le cadre réglementaire pourrait épouser ces évolutions pour améliorer la sécurité de l’industrie financière, mais aussi, potentiellement, créer de nouvelles opportunités entrepreneuriales, voire sociales. Gain d’efficience, simplification administrative et automatisation décentralisée permis par les technologies du secteur crypto contre accroissement des registres, allongement des procédures et surmultiplication des règles de nos systèmes publics actuels.
Et si la révolution industrielle annoncée du web3, avec les technologies blockchain et crypto, ne pouvait se déployer qu’au travers d’une révolution réglementaire, politique, citoyenne ?