La personnalisation des avantages sociaux a-t-elle ses limites?

Publié le 04/10/2023 à 16:34

La personnalisation des avantages sociaux a-t-elle ses limites?

Publié le 04/10/2023 à 16:34

Par Avantages

La flexibilité des régimes d’avantages sociaux a indéniablement évolué au cours des dernières années. (Photo: 123RF)

Une flexibilité et une personnalisation toujours plus grandes des régimes d’assurance collective ont figuré parmi les tendances majeures de l’industrie au cours des dernières années. Mais cette approche plus individuelle dans la conception des régimes ­comporte-t-elle certains risques?

Dans le contexte actuel de pénurie de ­main-d’œuvre, les employeurs misent de plus en plus sur le pouvoir d’attraction et de rétention des régimes d’avantages sociaux et des différents programmes liés à la santé des employés. Si la flexibilité de ces programmes permet de mieux répondre aux besoins particuliers de chaque participant, une personnalisation trop poussée pourrait engendrer des coûts plus élevés ou nuire à l’efficience des régimes.

La flexibilité des régimes d’avantages sociaux a indéniablement évolué au cours des dernières années. «­Nous sommes passés de régimes uniques à des régimes modulaires, puis à des régimes flexibles», constate ­Louis ­Nault, ­vice-président régional, développement des affaires, assurance collective chez Desjardins ­Assurances. «­Par la suite, la flexibilité s’est démocratisée. On a ajouté des comptes de frais de santé, la possibilité d’acheter des vacances, de souscrire l’assurance pour ses animaux de compagnie ou encore de verser certains crédits dans le régime d’épargne», poursuit-il.

Outre les besoins d’attraction et de rétention, l’évolution des régimes répond à des changements sociétaux. «­La notion de famille évolue et les besoins de chaque employé varient considérablement, note M. Nault. Nous voyons maintenant des couvertures qui visent des ­sous-populations d’un groupe, comme les programmes d’aide à la famille et les prestations liées aux symptômes de la ménopause ou à l’affirmation de genre.»

Cette flexibilité concerne aussi la diversité des services, qui s’est élargie. «­Auparavant, en santé mentale, seul le psychologue était couvert, rappelle ­Charles ­St-Laurent, ­vice-président régional, développement des affaires à ­Croix ­Bleue ­Medavie. Maintenant, on couvre aussi le travailleur social, le conseiller thérapeutique, le psychothérapeute ou des thérapies ­cognitivo-comportementales par Internet. L’offre bonifiée permet de répondre à des besoins différents.»

 

Une popularité indéniable

En 2020, la ­Centrale des syndicats du ­Québec (CSQ) a sondé ses 215 000 membres, qui travaillent principalement dans les domaines de la santé, de l’éducation et du communautaire, afin de connaître leurs besoins en assurances collectives. «­Ils voulaient de la flexibilité !, résume ­Josée ­Bisson, conseillère en assurance au service de la sécurité sociale de la ­CSQ.

On a donc offert un régime de base avec des regroupements de couvertures facultatives que les employés peuvent ajouter au gré de leurs besoins. Les gens ne se sentent plus coincés dans leur régime. Après 24 mois ou lorsqu’un événement de vie survient, ils peuvent changer des composantes du régime et ils peuvent le bonifier en tout temps.»

D’ailleurs, les chiffres parlent d’­eux-mêmes puisque le régime facultatif de soins dentaires, totalement indépendant du régime d’assurance maladie, a vu le nombre de participants passer de 4 500 à 18 000 lors de la transition. «­Il y avait donc un besoin d’aller vers cette option, constate ­Josée ­Bisson. Les gens apprécient le fait de pouvoir faire des ajouts quand ils en ont besoin et de ne pas avoir à faire des choix de manière préventive. Ils peuvent avoir un problème de santé et adhérer par la suite à une garantie facultative.»

 

Des garanties essentielles

Assureurs et employeurs s’entendent pour dire que toutes les composantes des assurances collectives ne peuvent bénéficier de la même flexibilité. «­Les employeurs veulent offrir des garanties de base et s’assurer que leurs employés puissent pallier les situations imprévues», affirme ­Charles ­St-Laurent. Ainsi, l’invalidité et les médicaments doivent rester dans le régime de base. «L’invalidité doit garder son côté uniforme et moins malléable, renchérit Louis Nault. L’invalidité de longue durée et l’assurance médicaments demeurent au centre de presque tous les régimes. Elles permettent de protéger les assurés contre des risques qui peuvent être très importants.»

La ­CSQ s’est montrée inflexible sur l’assurance invalidité de longue durée, qu’elle considère comme la garantie la plus importante d’un régime. «­Notre rôle est de protéger les membres contre eux-mêmes, rappelle ­Josée ­Bisson. À 28 ou 33 ans, on ne peut pas envisager de devenir invalide. On ne rendrait pas service aux participants en étant flexible sur l’invalidité.»

La mutualisation des risques en invalidité et en ce qui concerne les médicaments doit donc demeurer. «­Somme toute, le principe de l’assurance collective est toujours d’actualité, soit d’offrir, par exemple, un taux unique en assurance vie sans égard au genre ou à l’âge du participant, ajoute ­Louis ­Nault. Malgré l’offre grandissante de régimes flexibles, nous nous assurons de toujours respecter le volet collectif.»

 

Peut-on accroître la flexibilité?

Si l’inflexibilité de certaines composantes des régimes permet d’assurer leur pérennité, ailleurs, la flexibilité permet d’assurer leur évolution. «­Par exemple, chaque individu a des besoins distincts en soins dentaires, mentionne ­Louis ­Nault. Offrir plusieurs options pour ce type de protection permet de répondre aux besoins de tous les participants et constitue un geste de reconnaissance de l’employeur envers son employé.»

Néanmoins, tous les spécialistes s’entendent pour dire que la flexibilité a ses limites et ­Josée ­Bisson, de la ­CSQ, croit même qu’il y a danger à aller trop loin. «­Est-ce qu’on pourrait offrir la couverture de soins chiropratiques individuellement? ­On risquerait de faire en sorte que les gens qui utilisent beaucoup ces soins adhèrent massivement à ce choix, ce qui aurait un effet inflationniste sur ces protections, ­dit-elle. C’est pour éviter de telles situations que l’on a opté pour des regroupements qui ont été étudiés pour équilibrer les conséquences financières. Si on proposait des choix à la pièce, on risquerait de voir certaines garanties plus utilisées, comme la massothérapie ou les soins psychologiques. Il y a une limite au fractionnement !»

Louis ­Nault juge aussi qu’il faut rester vigilant. «­Une plus grande flexibilité crée une couverture mieux adaptée pour tous, mais ­celle-ci sera plus utilisée, pour les bonnes raisons, ­explique-t-il. L’utilisation accrue entraînera toutefois des coûts supplémentaires, et le partage des coûts du régime pourrait être affecté.»

Mutualiser le risque passe donc par des choix et des limites à respecter dans l’offre de flexibilité. «­Il faut que l’on reste dans l’esprit du collectif et que la tarification soit toujours mutualisée, sinon on passe à côté des valeurs accordées au preneur de régime, prévient ­Josée ­Bisson. On veut gérer un régime d’assurances collectives et non pas refiler la facture aux personnes assurées.»

 

Les risques d’un système «­utilisateur-payeur» 

Certains assureurs et des firmes de consultants mettent désormais à la disposition des assurés des plateformes permettant d’obtenir des prestations non incluses dans leur régime moyennant des frais supplémentaires. Plusieurs considèrent que cela va à l’encontre du principe de base des assurances collectives et ouvre la porte à un système «utilisateur-payeur». Josée ­Bisson, de la ­CSQ, est plutôt de cet avis. «­Cela introduit la médecine privée pour ceux qui sont capables de se la payer, déplore-t-elle. On instaure une disparité entre les participants et on n’est plus du tout dans l’idée de mutualisation. Cela passe à côté de la mission d’un régime d’assurance collective.»

Charles ­St-Laurent y voit plutôt une façon de fournir plus de flexibilité aux employés, à condition que ces plateformes soient offertes en complément à un programme général, et non isolément. «­La façon idéale, c’est de les combiner à un compte de gestion santé ou un compte de ­mieux-être, ­dit-il. De cette façon, on offre des avantages de base communs à tous. Ensuite, si on est intéressé, la télémédecine, un service de consultation par Internet ou un service de coaching pour le diabète sont des services disponibles qu’on peut payer avec ce compte. Donc, l’employeur donne le même montant d’argent à tout le monde et l’employé choisit le service dont il a besoin.»

 

Les défis communicationnels

Indéniablement, les employés sont plus attirés par des garanties comme la massothérapie et les soins de la vue que par celles qui concernent les médicaments. «­La meilleure façon de s’assurer d’une bonne protection est la communication, indique ­Louis ­Nault. Il faut fournir des explications, autant aux employeurs qu’aux employés, pour bien faire comprendre les risques et répondre adéquatement à leurs besoins d’assurance.»

Charles ­St-Laurent ajoute qu’il est essentiel de sensibiliser les assurés à l’importance de protections moins attractives. «­Parfois, les gens ne voient pas l’importance de l’assurance, ­dit-il. C’est comme une personne qui part en voyage et qui considère que son billet d’avion lui a coûté assez cher et ne veut pas payer 100$ ou 200$ de plus pour de l’assurance. Ça passe par de la sensibilisation.»

Selon ­Josée ­Bisson, il ne faut pas hésiter non plus à expliquer aux employés comment les coûts des assurances sont calculés et mutualisés. «­Une plus grande flexibilité met aussi en lumière l’importance de communications claires, admet ­Louis ­Nault. Les employés doivent comprendre ce qu’on leur offre pour faire les bons choix.» 

 

Par Frédérique David

Ce texte a été publié dans l’édition de septembre 2023 du magazine Avantages.


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