Rien n'est plus sain qu'une baisse marquée des marchés comme celle que nous avons connue en août pour tempérer les attentes des investisseurs. Une bonne nouvelle pour ceux qui ont une perspective à long terme, car les titres des sociétés canadiennes entrées en Bourse au cours des derniers mois se négocient à des évaluations bien plus raisonnables qu'à leurs premiers jours sur le marché.
En page 2: il est temps de revenir sur terre
Warren Buffett et d'autres investisseurs de renom lèvent systématiquement le nez sur les premiers appels publics à l'épargne (PAPE) pour éviter le piège de la surenchère. Le célèbre investisseur a mentionné lors de l'assemblée annuelle de son conglomérat Berkshire Hathaway (NY, BRK.B) en 2012 qu'il n'avait jamais participé à un PAPE en 30 ans, jugeant qu'ils sont «presque toujours de mauvais investissements».
En effet, les entreprises s'inscrivent en Bourse au moment où les conditions leur sont le plus favorables, pas au moment le plus opportun pour les investisseurs. C'est particulièrement vrai après un long cycle haussier.
Un départ trop enthousiaste
Après plus de cinq ans de gains élevés, les investisseurs montraient en début d'année des signes de cupidité. Un contexte idéal pour qu'une vague d'entreprises canadiennes décident de s'inscrire en Bourse. La chaîne spécialisée dans le thé David's Tea (Nasdaq, DTEA, 15,87 $ US), le distributeur de services musicaux montréalais Stingray Digital (Tor., RAY.A, 7,04 $), le fournisseur de services de conciergerie montréalais GDI Services aux immeubles (Tor., GDI, 15 $) ou le fournisseur de logiciels de commerce en ligne d'Ottawa Shopify (Tor., SH, 47,65 $) en ont profité pour faire leurs premiers pas en Bourse à des valorisations généreuses, voire indécentes.
Le cas de Shopify donne le vertige. L'entreprise d'Ottawa, qui offre une solution infonuagique de commerce électronique aux PME, affichait une valorisation de 1,27 milliard de dollars à ses débuts au TSX. L'enthousiasme a été tel que la demande pour participer à l'émission s'est avérée 30 fois supérieure à l'offre. Résultat, le titre de la petite techno a grimpé de 51 % au cours de sa première séance.
Certes, Shopify croît à vitesse grand V. Ses revenus ont doublé à chacune des deux dernières années. Et, selon Terry Tillman, analyste de Raymond James, elle est en mesure d'accroître son chiffre d'affaires annuel de 30 à 40 % pendant un bon moment.
Il y a tout de même des limites à anticiper le futur. Cet été, le titre s'est même échangé à 13 fois les revenus prévus pour son exercice 2016, comparativement à 8 fois en moyenne pour les sociétés comparables. Richard Davis Jr, de Canaccord Genuity, juge qu'un éditeur de logiciels comme Shopify doit valoir de trois à neuf fois ses revenus prévus. Petit détail : la société est déficitaire. Elle a encaissé une perte nette de 22,3 millions de dollars américains au cours de son dernier exercice. Les analystes ne semblent pas prévoir qu'elle dégagera un cent de profit avant au moins trois autres années.
En page 2: il est temps de revenir sur terre
Retour sur terre
Le ballon s'est dégonflé en août pour les recrues de la Bourse, tandis que les marchés ont affiché leur plus faible rendement mensuel en plusieurs années. L'indice Dow Jones a subi son pire déclin mensuel (- 6,4 %) en près de deux décennies. Dans la foulée, l'action de Shopify a fondu de 32 % entre son sommet et le 16 septembre (le titre a rebondi de 23 % le 17 septembre grâce à une entente avec Amazon.com).
Un sort semblable a été réservé aux autres recrues de la Bourse. David's Tea a connu une entrée en Bourse effervescente, grimpant de 40 % lors de ses premiers instants de négociation sur le Nasdaq. Le titre a frisé à un certain moment les 30 $ US, se négociant ainsi à 77 fois le bénéfice par action de 0,39 $ US prévu pour son exercice qui se terminera en mars 2016.
Tout comme Shopify, la chaîne de thé dirigée par Sylvain Toutant a par la suite bu la tasse, entre autres après qu'elle eut dévoilé des résultats décevants à son premier trimestre comme société à capital ouvert. Son action a rebondi après la publication de ses résultats du deuxième trimestre (9 septembre), mais elle demeure 46 % moins chère qu'à son sommet.
Ce qui a fait dire à des analystes que l'évaluation du titre est plus attrayante que cet été. Kelly Bania, de BMO Marchés des capitaux, juge que David's Tea peut commander un multiple de 32 fois le bénéfice anticipé. À 44 fois le bénéfice prévu pour 2016, le titre semble encore cher, mais il mérite une plus grande attention.
Car non seulement la chaîne recèle un fort potentiel de croissance, mais elle devrait aussi améliorer sa rentabilité avec le temps. Et c'est à ce chapitre que David's Tea pourrait brouiller les cartes. En prévision de l'expansion rapide de son réseau de magasins, le détaillant a investi massivement dans son administration. Or, ses marges bénéficiaires devraient grimper au cours des prochaines années, grâce à des gains d'efficacité sur le plan de gestion, note l'analyste de BMO.
GDI Services aux immeubles est aussi tombée de son piédestal peu après ses débuts en Bourse à la suite de résultats décevants à son premier trimestre. Sa croissance interne a entre autres été freinée par le déclin du taux d'occupation des immeubles commerciaux au pays. Les analystes ont alors réduit leur cours cible pour l'ancien Groupe Distinction.
Mais la société dirigée par Claude Bigras peut facilement doubler ou tripler ses revenus d'ici cinq à sept ans grâce aux acquisitions, dans un secteur qui reste dominé par de petits fournisseurs. L'enthousiasme des premiers jours s'étant émoussé, l'action de GDI est aujourd'hui 30 % moins chère qu'à son sommet.
Preuve que les investisseurs sont plus prudents à l'égard des recrues de la Bourse : les débuts de la société de jouets pour enfants et de divertissement Spin Master (Tor., TOY, 21,70 $) à la fin août ont été moins spectaculaires que ceux des entreprises citées plus haut. Le titre a progressé de 21 % depuis l'inscription de l'entreprise à Toronto, mais il se négocie à 15 fois le bénéfice prévu pour son exercice 2016, une évaluation comparable aux sociétés de son secteur.
Il serait imprudent de se ruer sur la récente cuvée des PAPE canadiens, mais l'investisseur à long terme ne peut que se réjouir du fait que les candidats au repêchage sont plus attrayants qu'il y a quelques mois.