Une saison des sucres sous le signe de l’entraide

Publié le 22/02/2021 à 07:00

Une saison des sucres sous le signe de l’entraide

Publié le 22/02/2021 à 07:00

Par Benoîte Labrosse
Repas de cabane à sucre

Près de 70 cabanes à sucre vendent leurs produits sous forme de boîtes gourmandes jusqu'en avril. (Photo: ASEQC)

Si la saison des propriétaires de cabanes à sucre est tombée à l’eau le 13 mars 2020, celle des producteurs de sirop d’érable a été exceptionnelle, merci à des récoltes record et à une explosion des ventes — jusqu’à 50% d’augmentation mensuelle! Alors que les seconds souhaitent que la tendance se maintienne en 2021, les premiers s’unissent aujourd’hui pour tenter de sauver leur gagne-pain, ainsi qu’un pan de notre patrimoine.

L’été dernier, Stéphanie Laurin, copropriétaire du Chalet des Érables, était plongée dans «une grande détresse» après une saison annulée et devant un calendrier vide. C’est ce qui l’a décidé à contacter ses compétiteurs pour les convaincre de s’entraider en fondant l’Association des salles de réception et érablières du Québec (ASEQC). Celle-ci estime alors que «75% des érablières commerciales – soit environ 147 – auront disparu d’ici la prochaine saison des sucres si aucune aide d’urgence n’est offerte».

«Faire une sortie publique à propos des cabanes à sucre en juillet n’était peut-être pas avisé, reconnaît l’entrepreneure de Sainte-Anne-des-Plaines. Sauf qu’un reportage sur l’ASEQC a attiré l’attention de Sylvain Arsenault, le président de l’agence de communication marketing Prospek, qui m’a convaincu de lancer un grand projet de solidarité, qu’on a baptisé Ma cabane à la maison.»

Ainsi, depuis ce lundi, les Québécois sont invités à visiter le site transactionnel du même nom, où près de 70 cabanes à sucre de la province offrent leurs produits sous forme de «boîtes gourmandes». Parmi elles, l’Érablière J.B. Caron (Gracefield), l’Érablière Nathalie Lemieux (Saint-Pascal) la Sucrerie Blouin (Saint-Jean-de-l’Île-d’Orléans) et, bien sûr, le Chalet des Érables.

Jusqu’au 18 avril, les acheteurs peuvent récupérer leur boîte à la cabane (certains offrent la livraison) ou à l’un des points de cueillette situés dans les épiceries Metro. «La chaîne nous a tout de suite appuyés de manière totalement bénévole, se réjouit Stéphanie Laurin. En fait, ce projet est né d’un ensemble d’entreprises qui croient qu’il faut sauver le patrimoine acéricole.»

Les partenaires sont nombreux: Cascades, Emballage LM, Publisac, Lafleur et l’agence Web QuatreCentQuatre, entre autres, ont offert commandite, temps, ou matériel. «Comme les cabanes n’ont pas de liquidités, le Groupe Lacroix, de Saint-Placide a fourni gratuitement un ensemble de départ de contenants recyclables à chacune», illustre l’instigatrice du projet.

De son côté, la plateforme Boucane en direct rend possible la webdiffusion d’un spectacle musical exclusif. «La cabane à sucre, ce n’est pas tant le repas que l’expérience qui l’entoure – et c’est que l’on veut faire vivre à travers notre boîte, qui contient plusieurs surprises», précise-t-elle.

L’ASECQ estime que Ma cabane à la maison générera des retombées de plus de 10 millions de dollars sur une période de huit semaines. Et grâce aux partenaires – ainsi qu’à une subvention 50 000$ du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) –, les érablières n’ont rien à débourser pour prendre part au projet. «Je m’étais engagée à trouver l’aide nécessaire à pallier à toutes les dépenses, affirme l’organisatrice bénévole. Avoir l’appui du MAPAQ, ça m’enlève 1000 livres sur les épaules!»

 

Le confinement a souri à Citadelle

Alors que Ma cabane à la maison serait la première initiative commune des propriétaires de cabanes, les producteurs de sirop d’érable ont une longue histoire d’entraide. Parlez-en à la coopérative de transformation et d’exportation Citadelle, qui vient de fêter ses 95 ans. «Tout regroupement naît d’un besoin, estime son directeur général, Martin Plante. En 1925, les producteurs avaient besoin d’aide pour commercialiser leurs produits; à l’époque, c’était des pains de sucre.»

En 2020, ses 1500 membres acériculteurs – au côté d’une quarantaine d’apiculteurs et d’une trentaine de producteurs de canneberges – ont pu compter sur l’aide de Citadelle pour vendre leur production malgré plusieurs défis logistiques. «Il a fallu recevoir le surplus de sirop de nos membres qui en vendent habituellement une partie à leur érablière ou en repas de cabane, explique le DG. Et comme 95% de nos produits qui sont exportés hors Québec, il a fallu s’adapter aux règles internationales liées à la pandémie.»

La bonne nouvelle, c’est que le confinement a déclenché chez les consommateurs de partout le réflexe de pantry loading – remplir son garde-manger de réserves. «Ça a eu un impact vraiment senti dès mars, constate Martin Plante. Certains mois, on avait des augmentations de 50% de nos ventes! Sur notre année financière, je dirais qu’on a eu une croissance des ventes de 20%. »

La répartition du portefeuille de clients de la coopérative basée à Plessisville a fait que l’explosion des ventes au détail a «compensé amplement et même plus» la baisse des ventes dans les restaurants et dans leurs deux boutiques Délices Érable & Cie. «Nos ventes en boutique ont diminué de 90%, donc nous avons décidé en 2021 de casser le bail de celle de l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, parce qu’on ne voyait pas le jour où ça reviendrait à des niveaux d’affaires raisonnables, précise le directeur-général. Nous réfléchissions encore à ce que nous ferons pour celle de la rue Saint-Paul, dans le Vieux-Montréal, fermée pour l’instant.»

Cette fermeture suit celles des boutiques de Québec et de Vancouver, mais également celle d’une usine de transformation de sirop d’érable à La Guadeloupe, en Beauce. Sauf que la pandémie n’avait que peu à y voir. «En 15 ans, Citadelle est passée de 50M$ à près de 200M$ de ventes ; c’est super, on a gagné des prix des plus grandes croissances au Canada, mais la rentabilité n’était plus au rendez-vous, raconte Martin Plante. Il fallait un plan ambitieux pour assurer la pérennité de la coopérative.»

Au cours des derniers mois, la direction et le CA ont donc revu plusieurs façons de faire, par exemple la gestion de la flotte de 18M$ de barils. «L’impact de ces changements, c’est qu’au 28 février 2021, on va être profitables, alors que l’année financière précédente s’était terminée à perte.»

Ce qui augure bien pour la suite, car même si personne ne peut prévoir si la saison qui commence sera aussi bonne que celle de 2020 – une récolte record de 175 millions de livres de sirop d’érable, dont 25% ont transité par Citadelle – les experts s’attendent au maintien d’une croissance de 10 % des ventes par rapport à 2019. «Il faut rester prudent, parce que la capacité de payer des familles de partout dans le monde va être affectée par la fin des programmes gouvernementaux», fait toutefois remarquer Martin Plante.

 

De l’oxygène pour l’industrie

Parallèlement, la présidente de l’ASECQ se dit «soulagée» par la série d’annonces faites le 18 février par le MAPAQ, dont un l’ajout au Programme d’appui au développement de l’agriculture et de l’agroalimentaire en région d’une mesure – rétroactive au 12 mars 2020 – «pour aider les entreprises acéricoles qui exploitent une cabane à sucre à adapter leurs activités et leurs installations pour tenir compte de la situation actuelle».

Le MAPAQ a aussi déclaré travailler sur un règlement qui permettrait aux cabanes à sucre concernées «de servir des repas en dehors de la période normalement permise» si les mesures sanitaires l’autorisent. Les cabanes à vocation agrotouristique sont aussi soutenues par différents programmes du ministère du Tourisme.

Finalement, la Financière agricole du Québec rend de nouveau 50M$ disponibles aux membres de Producteurs et productrices acéricoles du Québec afin de financer les avances à l’entaille pour la saison de récolte qui s’amorce. L’an dernier, près de 65% des entreprises du secteur, soit 4 700, s’en sont prévalues. «Ça donne de l’oxygène aux producteurs en attendant que l’on procède au classement de leur sirop», explique Martin Plante.

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