[Crédit photo : 123RF]
DOSSIER DROIT DES AFFAIRES - Le développement accéléré des fintechs, les nouvelles technologies appliquées au domaine des services financiers, occupe beaucoup les cabinets en droit des affaires. Comme les lois et les réglementations ne sont pas toujours adaptées à ces nouvelles applications, les avocats doivent trouver des solutions.
Tous les domaines du droit ou presque sont touchés par l'ébullition dans les fintechs: achat d'entreprise, contrat de licence, propriété intellectuelle, protection du consommateur et des données personnelles, valeurs mobilières, réglementation des institutions financières...
Actuellement, tant les institutions financières que les start-up qui développent ces technologies affluent vers les cabinets d'avocats. Leurs enjeux sont divers. Les premières achètent parfois les deuxièmes ou acquièrent une licence pour leur technologie. Les banques conçoivent aussi à l'interne des solutions dont il faut vérifier la conformité avec la réglementation. Parfois, les start-up veulent proposer directement leurs applications aux clients mais, comme elles ne sont pas des banques, leurs possibilités sont limitées.
Le défi pour les avocats : «Toutes les règles existantes ont été faites pour un monde de papier, où les technologies ne permettaient que de communiquer. Il faut aujourd'hui appliquer cette logique réglementaire à un autre monde, où la technologie va beaucoup plus loin», résume Jean-François De Rico, avocat associé chez Langlois avocats. En conséquence, au mieux, la réglementation n'est pas adaptée aux nouvelles réalités, au pire, il existe des vides juridiques.
Par exemple, «aujourd'hui, la réglementation en matière de protection du consommateur est rédigée de telle manière que les entreprises financières doivent avoir une présence physique, alors que l'offre bancaire virtuelle se développe. De la même façon, dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, les entreprises de services financiers doivent vérifier certains détails sur l'identification des personnes, ce qui crée un défi lorsque le processus est virtuel. L'enjeu est que ces obligations soient respectées alors que les technologies ont changé», explique Olivier Tardif, associé dans le groupe des services financiers chez Borden Ladner Gervais.
La créativité des avocats, une valeur ajoutée pour les entreprises
Dans ce contexte, les avocats jouent un rôle central dans l'accompagnement des entreprises concernées par les fintechs. «Il n'est pas question de seulement dire à nos clients qu'ils ne peuvent pas faire ci ou ça. Il faut trouver des solutions, être créatifs», lancent Julien Lachéré, associé, agent de brevets et ingénieur, et Jocelyn Auger, avocat et consultant, chez BCF Avocats d'affaires. «Notre valeur ajoutée est de leur donner non seulement l'heure juste, mais aussi la possibilité d'adapter leurs produits grâce à notre interprétation du corpus législatif et de l'intention du législateur», ajoute Olivier Tardif.
Pourtant, la marge de manoeuvre est souvent étroite au Canada. Eytan Bensoussan, fondateur de Ferst Digital, en fait l'expérience. Il a créé une plateforme bancaire automatisée pour les PME et les start-up, une solution complète pouvant combler le manque de département finance dans les petites structures en permettant d'agréger aux comptes bancaires des applications comptables. Le téléchargement des données se fait alors automatiquement entre les comptes et les tableaux d'états financiers.
Pour pouvoir poursuivre son activité, la start-up technologique a dû nouer un partenariat avec une banque. «C'était notre seule façon de pouvoir livrer nos services, car nous ne sommes pas une banque, et tenter d'en devenir une exige un processus très long, complexe et cher», explique Eytan Bensoussan. Dans toutes ses communications, il doit veiller aux mots employés. «On a eu besoin des conseils d'un avocat en droit des affaires pour réaliser notre site Internet car, étant donné qu'on n'est pas une institution financière, il y a des choses qu'on n'a pas le droit de dire. Il faut toujours qu'on précise qu'on livre des services bancaires avec un partenaire bancaire», poursuit-il.
Des pays en avance sur l'innovation réglementaire
Partout, néanmoins, «les régulateurs ont trouvé des moyens innovants de gérer la rupture entre la réalité et les réglementations en émettant des avis sur l'application des règles dans le nouveau contexte et en délivrant parfois des dispenses pour éviter les freins au développement économique lié aux fintechs», relève Laure Fouin, avocate en droit des affaires chez McCarthy Tétrault, dont la pratique est axée notamment sur la technologie financière.
Certains pays vont encore plus loin et mènent des expériences pour assouplir progressivement la réglementation bancaire. «En Angleterre, par exemple, des "bacs de sable réglementaires" ont été mis en place, précise Laure Fouin. Lorsqu'une nouvelle technologie financière présente des avantages pour les consommateurs, le régulateur laisse la possibilité à l'entreprise de la développer sans appliquer les règles du jeu traditionnelles pendant un certain temps. Aux États-Unis, des sociétés technologiques peuvent même être reconnues comme des banques, mais avec une réglementation assouplie par rapport à celle qui s'applique aux institutions financières traditionnelles.»
Il n'y a pas que les législateurs qui doivent prendre leurs marques dans ce nouvel univers. Les fintechs créent un rapprochement inédit entre les milieux bancaire et technologique. Ceux-ci ont des intérêts communs, mais des façons de faire souvent très éloignées. «C'est la rencontre de deux mondes complètement différents. Alors que le premier est très réglementé et donc habitué à suivre des procédures strictes et lourdes, les start-up technologiques sont agiles, flexibles, créatives. Il faut que ces deux mondes s'apprivoisent», souligne Hélène Deschamps Marquis, associée en droit des affaires et spécialisée dans le secteur des technologies au cabinet Blakes.
Lorsque des ententes doivent être nouées entre les deux types d'entreprises, l'avocat devient un intermédiaire fondamental. «On doit rapprocher les deux parties, ce qu'on est capables de faire grâce à notre connaissance des deux milieux d'affaires et à notre expérience. On doit aider l'institution financière à comprendre où est son véritable risque et à donner de la flexibilité à la start-up qui, pour sa part, doit comprendre le cadre imposé par la réglementation bancaire», ajoute Mme Deschamps Marquis.
Gérer le risque législatif
Une grande partie du travail des avocats d'affaires dans le domaine des fintechs est «d'éduquer les entreprises technologiques sur les enjeux légaux de leur activité. Celles-ci sont souvent dirigées par des "bollés" sur le plan technologique qui n'ont pas conscience des conséquences de leurs technologies ni de leurs obligations en matière de protection des données personnelles, par exemple», note Jocelyn Auger.
De même, «nombreuses sont les technologies pour lesquelles on n'a pas encore trouvé de modèles commerciaux adéquats, notamment en raison de la législation. Notre créativité réside dans le fait d'entrevoir les modèles d'affaires associés aux différents régimes juridiques», indique Julien Lachéré.
Pour le moment, les cas de litiges liés aux fintechs sont rares. «À l'avenir, il pourrait y avoir des enjeux associés au manque de conformité de certaines solutions technologiques avec la réglementation en vigueur. On peut aussi s'attendre à ce qu'il y ait une augmentation des recours portant sur la sécurité de l'information et la propriété intellectuelle», explique Jean-François De Rico.
Le milieu juridique a accepté de prendre le risque de conseiller des entreprises innovantes dans un cadre législatif en retard sur la réalité technologique. Un rôle que les avocats trouvent passionnant et dans lequel ils peuvent montrer leur valeur ajoutée. Plutôt que d'être un frein, les avocats sont des partenaires d'affaires tournés vers les solutions qui rendront possible l'activité économique liée aux fintechs.
Droit des affaires: les services se diversifient