Les marchés d'actions: aussi chers qu'on le dit?

Offert par Les Affaires


Édition du 24 Mars 2018

Les marchés d'actions: aussi chers qu'on le dit?

Offert par Les Affaires


Édition du 24 Mars 2018

Par Raymond Kerzérho

Le professeur Robert Shiller mesure le bénéfice par action pour l’ensemble du marché en calculant une moyenne des dix dernières années, ajustée pour tenir compte de l’inflation.

Je lis des commentateurs qui s'inquiètent de ce que les Bourses fracassent des records en cascade, et ce, depuis plusieurs années. Ils affirment que les prix sont devenus trop élevés et, donc, vulnérables à une éventuelle correction. Mais est-ce bien vrai ? Dans l'affirmative, est-ce une bonne idée de vendre vos actions pour vous réfugier dans les liquidités ?

Comment évaluer la cherté

La méthode la plus courante pour se former une opinion sur la cherté des actions est le ratio cours/bénéfice, c'est-à-dire combien l'investisseur doit payer pour « acheter » un dollar de profit. Par exemple, si l'on paie dix dollars pour une action dont le bénéfice par action est de un dollar, alors le ratio cours/bénéfice est de dix.

Le ratio cours/bénéfice est constitué de deux composantes. La première, le cours de l'action, est facilement observable et n'est pas sujette à interprétation. Si l'action de la Banque Royale a clôturé la session à, disons, 100 $, ce prix est accepté par tous et ne fera pas l'objet de débat. En revanche, mesurer la deuxième composante, soit le bénéfice par action (BPA), ouvre la porte à une grande part d'interprétation. Parle-t-on du BPA pleinement dilué ou non ? Doit-on ou non exclure certains postes non récurrents, comme les bénéfices extraordinaires résultant de la vente d'une division ? Et encore, pourquoi ne pas plutôt utiliser les estimations moyennes des analystes pour l'année à venir plutôt que les chiffres historiques ?

Heureusement, la mesure du BPA est devenue un sujet moins controversé depuis quelques années, alors que de nombreux experts ont adopté (j'en suis...) la mesure proposée par le professeur Robert Shiller de l'Université Yale (et prix Nobel d'économie). Le professeur Shiller mesure le BPA pour l'ensemble du marché en calculant une moyenne des dix dernières années, ajustée pour tenir compte de l'inflation. Cette mesure est loin d'être parfaite, mais elle est assez bonne pour faire consensus, ce qui n'est pas vilain.

Pourquoi et comment trouve-t-on que la Bourse est chère ?

Le professeur Shiller a mesuré le ratio cours/bénéfice de la Bourse américaine de 1880 à aujourd'hui. Quand les experts affirment que cette dernière est hors de prix, ils se réfèrent souvent à la moyenne historique sur 138 ans, qui est de 17 fois les BPA. La Bourse américaine se négocie présentement (tenez-vous bien) à plus de 30 fois les BPA. Nous nous situons donc à 76 % au-delà de la moyenne historique. Nous dirigeons-nous vers une catastrophe annoncée ?

Plusieurs bémols

Je trouve moi aussi la Bourse américaine chère, mais attention.

En 1880, tout le monde se déplaçait à cheval, les résidences ne bénéficiaient ni de l'électricité ni du téléphone. La majorité des populations résidaient à la campagne et l'économie américaine était d'abord et avant tout agraire. Bref, c'était une autre époque. Il existe aussi d'autres raisons de croire que le marché d'aujourd'hui justifie un ratio cours/bénéfice plus élevé que la moyenne historique. Jusqu'aux années 1950, les grandes caisses de retraite n'investissaient pas dans les actions, car ces dernières étaient jugées trop spéculatives, ce qui n'est plus le cas. Autre facteur important, l'apparition et la popularisation des fonds négociés en Bourse indiciels permettent maintenant à tous les investisseurs d'acquérir un portefeuille très diversifié à très faible coût. Finalement, les taux d'intérêt sont très bas à l'échelle mondiale et ils pourraient se maintenir très en deçà des taux observés dans les années 1960 à 2000. Tous ces facteurs contribuent à augmenter la valeur des titres boursiers. C'est pourquoi je suis persuadé que le ratio historique de 17 fois les BPA sous-estime la juste valeur de la Bourse américaine.

Mon point de vue sur la cherté

À mes yeux, étant donné les conditions économiques qui se sont installées depuis l'an 2000, les grands marchés boursiers des pays développés peuvent raisonnablement soutenir un ratio cours/bénéfice se situant entre 20 et 25. Puisque la Bourse américaine se situe à 30 fois les BPA, oui elle est chère, peut-être 20 % au-delà de sa valeur normale. Pour ce qui est des autres grandes régions développées, je ne vois pas de surévaluation. Le Canada est à 24 fois les BPA, l'Europe est à 22 fois, et l'Asie-Pacifique se transige à 20 fois les BPA, tous des chiffres raisonnables. Mentionnons finalement les marchés émergents, qui demeurent abordables malgré les importants gains enregistrés dans la dernière année, à 14 fois les BPA.

Quoi ne pas faire avec votre portefeuille ?

La pire décision que quelqu'un puisse prendre est de bazarder toutes ses actions pour investir dans les liquidités. Personne ne peut prévoir les hauts et les bas de la Bourse. Même pas Warren Buffett. Certains se rappelleront peut-être le fameux discours d'Alan Greenspan en 1996, qui s'inquiétait de la cherté de la Bourse. Le maestro avait alors lancé que la Bourse faisait preuve d'« exubérance irrationnelle ». Résultat : elle a continué d'enregistrer des records successifs pendant trois ans ! Vous songez tout de même à vendre vos actions américaines parce qu'elles sont trop chères ? Mauvaise nouvelle : le ratio cours/bénéfice de Shiller affiche un maigre taux d'efficacité prévisionnelle de 40 % ! Vous avez donc 60 % de probabilité de vous tromper.

Quoi faire avec votre portefeuille ?

Fixez-vous des pourcentages cibles pour les pondérations en actions et en obligations. Diversifiez vos actions mondialement et assurez-vous que vos obligations sont aussi bien diversifiées et sécuritaires. Si les Bourses reculent, la proportion d'actions dans votre portefeuille chutera : ce sera le signal pour revendre un peu d'obligations et racheter un peu d'actions à rabais afin de rétablir l'équilibre visé pour votre portefeuille. Inversement, si les actions montent en flèche, le processus de rééquilibrage vous disciplinera à réduire un peu vos actions et placer cet argent en sécurité dans les obligations.

 

EXPERT INVITÉ

Raymond Kerzérho CFA, MBA, est le directeur de la recherche de PWL Capital. Il enseigne également la finance à l’Université McGill.

 

Sources : Université Yale, PWL Capital


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