Le fondateur et président du conseil Larry Rossy, 74 ans et son fil Neil, 47 ans, chef de la direction depuis un an, avant l'assemblée annuelle de Dollarama le 7 juin. (Photo: Adil Boukind)
La hausse du bénéfice d'exploitation par magasin reflète la productivité rapide des nouveaux magasins et les gains d'efficacité partout dans l'organisation (RBC Marchés des capitaux)
Tour à tour, et chacun à leur façon, le fondateur Larry Rossy, son fils Neil, le chef de la direction depuis un an et le chef de la direction financière Michael Ross de Dollarama(DOL, 129,02$) ont rappelé à quel point la discipline et la rigueur des processus permettent au détaillant de s’ajuster aux imprévus que la conjoncture lui sert constamment.
La hausse prochaine du salaire minimum dans trois provinces sera un autre irritant à gérer, mais l’entreprise s’adaptera comme elle l’a fait pour des embûches autrement plus corsées que la chute de 30% du huard, l’inflation chinoise ou encore la flambée du carburant, dans le passé.
«Tant que les règles du jeu soient les mêmes pour tous, notre modèle d’affaires tiendra la route», a évoqué M. Ross.
Les mesures de productivité déjà implantées - la gestion de l'horaire des employés, du recyclage, des pertes, des vols et de la consommation d'énergie en magasin - visaient déjà à contrer la hausse des coûts, a ajouté le le comptable de formation.
«Nous n’aurons pas à relever nos prix. Puisque tous les commerçants seront dans le même bain, l’important c’est de rester concurrentiel», a renchéri Neil Rossy.
Le président et chef de la direction de 47 ans a servi une réponse similaire lorsqu’on l’a interrogé au sujet du risque que pose la renégociation de l’ALENA, pendant le point de presse qui a suivi l’assemblée.
«Nous n’opérons pas dans un vide. Tous seront touchés. Mais c'est certain que nous cherchons constamment de bons fournisseurs», a admis l’ex-chef de la mise en marché.
L'ingrédient-clé: les achats
La clé du modus operandi repose énormément sur le renouvellement judicieux de 25 à 30% des produits à chaque année pour soutenir la rentabilité et faire obstacle aux aléas de la conjoncture.
«Quand nos acheteurs s’engagent à acheter à un certain prix fixe, les coûts - que se soit le carburant, le taux de change ou le transport - ont déjà été incorporés dans le calcul des marges», a expliqué M. Ross.
Contrairement à la croyance populaire, les produits de 3,50 à 4$ ne sont pas plus rentables pour l’entreprise, a tenu à démytifier Larry Rossy, président du conseil. La marge brute est plus élevée, mais pas la marge d’exploitation. Ces articles visent surtout à offrir des produits «intéressants» aux consommateurs, a expliqué l'homme d'affaires.
"De toute façon, la Chine est de moins en moins disposée à offrir des produits à 1$. En même temps, le recul du huard nous a obligé à nous ajuster", a-t-il ajouté. Ce à quoi son fils Neil Rossy a aussitôt renchéri:
« La magie c’est de trouver le juste équilibre entre les produits bon marché et les articles attirants »
En 2010, le quart de ses produits se vendaient à plus d'un dollar. Au premier trimestre de 2018, 65% des articles en magasin affichaient des prix supérieurs à 1,25$.
À cette mise en marché, il faut ajouter tous les outils technologiques que le détaillant a déployé pour réduire les coûts en proportion des revenus et ainsi gonfler les marges.
Dollarama a récemment achevé l’implantation du système de gestion Chronos ainsi que des caisses mobiles en magasin; l'entreprise y greffe sans cesse de nouvelles fonctionnalités.
La discipline de Dollarama s’étend aussi à sa gestion financière. L’entreprise a récemment refinancé des dettes à l’aide de billets non garantis pour réduire ses intérêts et ainsi mieux rentabiliser le rachat annuel de 5% de ses actions.
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Dollar Tree: pas une menace
Les dirigeants ne s’inquiètent pas de voir Dollar Tree(DLTR, 75,23$US) réactiver ses plans pour quintupler à 1000 le nombre de ses magasins au Canada. «Ce concurrent est dans le portrait depuis 2010 et ses visées figurent déjà dans nos projections», a indiqué M. Ross, en précisant que son offre d’articles à 1,25$ et moins est différente.
Quand un actionnaire a demandé aux dirigeants comment Dollarama comptait faire durer son avantage concurrentiel (economic moat, une expression chère à Warren Buffett), Neil Rossy a répondu d’emblée que les multiples mesures d’efficacité instaurées depuis 26 ans restent le meilleur gage que le détaillant puisse continuer à offrir des articles bon marché au plus bas coût possible.
«Tant que nous pourrons faire ça, nous serons en bonne posture», a-t-il assuré.
Des actionnaires ravis
Le détaillant de 14 milliards de dollars avait aussi de bons résultats à présenter, avec une hausse de 20,6% de son bénéfice à 0,82$ par action au premier trimestre, trois cents de mieux de ce qu’avaient prévu les analystes, malgré la hausse de 4,5% des ventes comparables qui n’était pas à la hauteur de certaines attentes.
Surtout, sa marge brute de 37,6% et sa marge d’exploitation de 22,1% ont surpassé les prévisions grâce aux nombreuses mesures de productivité implantées depuis deux ans tant dans l’exploitation qu’en magasin.
Ces bonnes nouvelles ont d’ailleurs teinté la période de questions pendant laquelle plusieurs actionnaires ravis ont félicité les dirigeants pour leur performance et le passage de la gestion à la deuxième génération.
L’un d’eux est même revenu à la charge en annonçant à la volée que l’action venait de passer le cap de passer le cap 132,34$, un cours qui s’est avéré être le record historique atteint en cours de séance, mercredi.
Même si la loi des grands nombres commence à jouer et donne moins belle allure aux taux de croissance des ventes comparables, de la facture moyenne et du nombre de transactions, Dollarama rencontre les objectifs qu’elle s’était fixés.
«La hausse de 21% du bénéfice et de 16% du bénéfice d’exploitation sont en tête de son industrie et marquent un dixième trimestre consécutif de résultats supérieurs aux attentes élevées», signale d’ailleurs Irene Nattel, de RBC Marchés des capitaux, dans une note préliminaire.
L’analyste précise aussi que la progression de 11,2% des ventes des établissements comparables depuis deux ans, se compare à 1,5% pour Canadian Tire et à 8,2% pour Wal-Mart Canada. Seule Costco Canada a fait mieux avec une hausse de 12%.
Ces bons résultats font passer son cours cible de 138 à 139$. Même si 7,7% seulement sépare le titre de son cours cible, l’analyste reste «constructive» parce que le taux de croissance annuelle composée de 17% prévu des bénéfices au cours des trois prochaines années, ainsi que les rendements financiers et les flux de trésorerie élevés, devancent son industrie.
Prochain chantier: la distribution
Maintenant que le sixième entrepôt de 60M$ à Lachine est fonctionnel, le détaillant évalue comment accroître sa capacité centralisée de distribution (les centres où les lots sont préparés pour chaque magasin afin d'assurer l’uniformité de l’assortiment) afin de servir les 592 magasins qu’elle prévoit ouvrir d’ici 8 à 10 ans. Ces centres de distribution fonctionnent à plein régime.
Autre projet en chantier, Dollarama élabore une plateforme numérique pour offrir des marchandises en ligne pour les PME et les clients existants qui veulent se procurer des produits spécifiques ou populaires en plus grande quantité.
«C’est une niche que nous croyons pouvoir servir sans rivaliser de front avec le commerce en ligne ni concurrencer nos propres magasins», a expliqué Larry Rossy, 74 ans, pendant l’assemblée.
Le site sera testé à l’interne d’ici la fin de l’année et pourrait être mis en ligne d’ici deux ans, a-t-il révélé.
Trop tôt pour acheter Dollar City
Le sort de Dollar City, un détaillant de Salvador avec qui Dollarama est partenaire depuis 2013, a aussi occupé une bonne part de l’attention, tant pendant l’assemblée qu’au point de presse.
Pour la première fois, M. Ross a dévoilé que ce détaillant lui procure environ 1% de ses revenus. Dollarama agit surtout en tant que grossiste puisque Dollar City achète environ 70% de sa gamme de produits.
Seules les marchandises qui transitent à Montréal passent aux revenus.
«Soyons clairs, on ne fait pas de marge la dessus. On se fait en quelque sorte rembourser nos frais», a précisé M. Ross.
Avant de décider si Dollarama exercera son option d’achat sur Dollar City en 2020, «il y a énormément de facteurs à valider» parce que la société apprivoise encore le marché de l’Amérique centrale et du Sud.
Dollarama partage aussi ses meilleures pratiques avec lel’homme d’affaires salvadorien Andres Baldocchi Kriete.
«De cette façon, si nous décidions de racheter Dollar City, nous aurions une longueur d’avance pour reproduire le modèle des 1108 magasins canadiens», a aussi expliqué Neil Rossy.
La réserve de Dollarama tient aussi au fait que la culture de l'entreprise familiale privilégie la croissance interne aux acquisitions.
Si les dirigeants de Dollarama ont visiblement confiance dans la force de leur mode de fonctionnement, même à plus long terme, ils s'efforcent tout autant à modérer les attentes que suscite sa performance en fournissant des objectifs prudents aux analystes.
Ainsi, même si les résultats du trimestre le plus faible de l'année ont été solides, la société maintient ses orientations annuelles : l'ouverture de 60 à 70 magasins, une progression des ventes comparables de 4 à 5%, une marge brute de 37,5 à 38,5%, des frais généraux de 15 à 15,5% des revenus, une marge d'exploitation de 22 à 23,5% et des dépenses d'investissement de 190 à 100M$.
M. Ross a paru heureux, mais aussi un peu étonné par le saut de 30% du titre depuis le 22 mars lorsqu'un investisseur lui a demandé pourquoi la société ne divisait pas ses actions comme elle l'avait fait en novembre 2014 au moment où l'action se négociait à 110$.