Nos tarifs d’électricité sont parmi les plus bas en Amérique du Nord. Collectivement, nous nous tapons la bedaine de satisfaction. Avons-nous raison?
Nous le savons que trop: la population vieillit et l’espérance de vie s’allonge, les fonds de pension prennent l’eau, la classe moyenne – dont le poids économique s’allège – voit ses revenus baisser. Malmenée par la concurrence, notre économie fait du sur-place, la dette publique augmente, les ministères manquent d’argent. On rogne partout. Les divers paliers de gouvernement crient famine. Entre deux ou trois scandales, ils se creusent la tête pour aller chercher plus d’argent dans les poches des contribuables sans déclencher des émeutes: hausser les taxes et les impôts, instaurer de nouveaux frais d’utilisation, mais peut-on continuer dans cette voie? Diminuer les services disponibles, exiger des baisses de salaire de la part de leurs employés? Rien de très joyeux de ce côté-là non plus.
Ce n’est plus la fanfare de l’après-guerre ni le boom de la fin de siècle. Nous avons atteint un niveau de vie confortable, très confortable même, auquel nous tenons mordicus. Nous tenons à nos acquis, c’est normal. La recette a fonctionné jusqu’à maintenant, mais pour combien de temps encore? Pour une première fois dans notre histoire, la génération qui va prendre la relève sera globalement plus pauvre que la précédente. Bel héritage à laisser à nos enfants...
Quelles solutions envisager? Faire plus d’enfants? Ouvrir plus grandes les portes de l’immigration? Hausser taxes et impôts? Faire comme la Société canadienne des postes et charger plus cher tout en offrant moins de services? Certains voient dans l’éventuelle exploitation des gaz de schiste ou dans les possibles réserves de pétrole du golfe Saint-Laurent et de la Gaspésie les sources d’une nouvelle richesse. Le débat est lancé, les pour et les contre s’affrontent.
Il y a pourtant un moyen à notre portée immédiate que nous ne voulons pas, comme société, considérer. À court terme, il ne demande aucun investissement particulier ni le développement d’expertises qui nous seraient inconnues. Le hic – important –, c’est qu’il nous demande de renoncer à un de nos sacro-saints acquis: une électricité à bon compte. Avant de me lancer des roches, sachez que de nombreux et fort sérieux économistes soutiennent que les – trop – bas tarifs dont nous jouissons constituent. d’une part, une cause de gaspillage éhonté d’une ressource moins renouvelable qu’on le prétend et, d’autre part, ne représentent pas à moyen et long termes un outil économique très avantageux.
Oui, le hic est considérable. Quand on parle de hausse des tarifs d’électricité, il y a un blocage. Hydro-Québec, crie-t-on partout, c’est à nous! Nous avons de l’eau à profusion, pourquoi ne pas en profiter? Chauffons nos maisons à l’électricité même si nos plaintes chauffantes gaspillent du jus... Le litre d’essence monte de 10 cents en une nuit, ça râle un peu à la pompe mais chacun s’incline et les pétrolières continuent d’encaisser. À l’inverse, pour augmenter le kilowatt/heure de quelques cents, ce sont des audiences publiques, des chemises qui déchirent sur la place publique, des palabres interminables où tout un chacun dénonce les injustices et iniquités potentiellement engendrées. Sans parler du tarif L: toutes les grandes entreprises sacreraient leur camp, semble-t-il. Le cri est – presque – unanime: «Touchez pas à notre trésor!»
Et pourtant, et pourtant. Nous avons effectivement là un trésor qui dort. Voici quelques exemples de prix moyens facturés en 2012 aux clients résidentiels (en ¢/kWh) dans des grandes villes d’Amérique du Nord: 11,80 à St.John’s (Terre-Neuve), 15,01 à Halifax, 13,89 à Calgary, 13,57 à Toronto, 12,13 à Chicago, 22,57 à New York, 22,26 à San Francisco. Et 9,28 à Houston, 8,17 à Seattle, 8,78 à Vancouver. Ils étaient de 6,76 à Montréal.
Dans le cas des prix moyens facturés aux clients de grande puissance (en ¢/kWh), voyons d’autres exemples: 8,29 à Edmonton: 9,78 à Toronto, 8,17 à St. John’s, 6,14 à Vancouver, 11,55 à New York, 8,89 à San Francisco, 6,11 à Chicago, 5,83 à Houston. Et de 4,76 à Montréal. Toujours plus bas qu’ailleurs. En ces ailleurs, l’électricité est plus chère sans que leur économie soit en faillite.
Autrement dit, nous nous privons de revenus très importants, sans vraiment nous assurer de la pérennité de la ressource. Sans vraiment nous éduquer à une consommation responsable. Sans vouloir nous dire qu’il y aurait là un levier apte à permettre de financer adéquatement notre système de santé et de services sociaux, notre système d’éducation. Apte à nous permettre de vivre encore longtemps nos rêves de bien-être collectif.
Je ne dis pas que c’est LA solution, mais ça vaudrait la peine d’en discuter, non?