Nous n’avons pas les moyens économiques et culturels nous permettant de perdre cette industrie qui a vu grandir des géants du divertissement comme le Cirque du Soleil. (Photo: Getty Images)
BLOGUE INVITÉ. C’est en 1984, dans les rues de Baie-Saint-Paul, qu’a débuté l’une des périodes les plus fertiles créativement de l’histoire du Québec. C’est notamment grâce à la vision de deux artistes de rue, Daniel Gauthier et Guy Laliberté, que depuis bientôt 40 ans la créativité québécoise brille aux quatre coins de la planète. Une période incroyable qui me fait penser aux années folles qui suivirent la Première Guerre mondiale et qui marquèrent les années 1920 d’un renouveau culturel incroyable.
Il est impressionnant de constater à quel point l’univers mondial du divertissement et de la créativité doit une fière chandelle à notre belle province. L’exemple le plus marquant est celui de Las Vegas. Autrefois en recherche d’identité, la ville de tous les vices n’aurait jamais connu un essor aussi fulgurant sans l’arrivée du Cirque du Soleil et du duo Angélil – Dion.
Peu le savent, mais c’est au Québec qu’a vu le jour le leader mondial en audiovisuel et technologies du divertissement, ainsi que celui en scène mobile, Solotech et Stageline. Des Jeux olympiques au Superbowl et de la Coupe du monde de soccer aux tournées mondiales de Taylor Swift ou de Shawn Mendes, c’est au Québec que des entreprises telles Moment Factory, Pixmob, Connect&Go révolutionnent l’industrie du spectacle et du divertissement via leurs mises en scène, leurs objets connectés lumineux ou leur offre de bracelets intelligents de toutes sortes.
Que dire de Robert Lepage qui a réinventé presque à lui seul la mise en scène en alliant art et technologie, de Luc Plamondon, l’un des plus importants paroliers du dernier siècle et d’une myriade d’autres entreprises d’ici telles Sid Lee, Ombrages ou Cavalia qui dominent, grâce à leur immense talent leur domaine d’expertise.
Il faut se le dire, depuis une quarantaine d’années, le Québec est une pépinière créatrice exceptionnelle qui, malheureusement, se retrouve en danger. L’éternelle « pause pandémique » planétaire dans laquelle nous sommes plongés effrite les fondations mêmes de cette industrie.
Les coups ne se sont pas fait attendre. Dès le tout début de 2020, l’annulation de la quasi-totalité des spectacles, rassemblements sportifs ou festivals de tout genre a littéralement mis en péril la survie de plusieurs de ces entreprises forçant des milliers de mises à pied et même plusieurs fermetures.
Tristement, au fil des mois, l’espoir d’un rapide retour à la normale s’est envolé au rythme des mauvaises nouvelles et des nouvelles vagues de contamination laissant l’industrie face à l’inconnu. Se réinventer? Facile à dire, difficile à faire. Comment passer du cirque à la production de visières de protection ou de masques? Comment passer de la mise en scène au développement d’une application de vidéoconférence? Certes, la créativité est infinie, mais la passion, le savoir-faire, les connaissances, les installations ne se développent pas aussi rapidement que l’on pense.
C’est sans surprise que naissent ici autant de talents, d’idées et de visions. Étant une toute petite province francophone nichée au nord-est d’un immense continent anglo-hispanique, quoi de mieux qu’être minoritaire afin d’innover, quoi de mieux que de devoir s’exprimer différemment pour se faire comprendre!
Collectivement, nous n’avons pas les moyens économiques et culturels nous permettant de perdre cette industrie qui, tel un avantage concurrentiel, incite les clients du monde en entier à nous choisir. Le risque n’est pas de ne plus avoir d’idée, le risque est que ces idées nourrissent des entreprises d’ailleurs. La fuite des cerveaux n’est pas un concept exclusif au monde des hautes technologies ou de la recherche scientifique, il existe aussi dans l’univers créatif.
Un peu comme certains reprochent aux géants mondiaux du jeu vidéo de créer de la richesse avec des employés d’ici, il serait triste que le scénario se reproduise au niveau de l’évènementiel. Le risque est bel et bien réel. Qui aurait cru, il y a à peine une dizaine d’années, que le Cirque du Soleil serait aujourd’hui une entreprise appartenant majoritairement à des fonds d’investissement américain et chinois.
Avec le printemps arrive le soleil et surtout l’espoir. Les signes des dernières semaines sont encourageants et nous inspirent à persévérer encore quelques mois. Bien que la guerre soit loin d’être gagnée, nous semblons prendre le dessus.
Ironiquement, ce marasme ambiant est exactement la raison pour laquelle j’ai confiance au futur. C’est souvent les poches vides, le dos au mur et les pieds dans le vide que les entrepreneurs innovent. C’est également bien souvent dans la noirceur que plusieurs artistes puissent leur créativité.
Comme disait Eric-Emmanuel Schmitt dans son livre La part de l’autre, « un artiste ne se plie pas à la réalité, il l’invente. » Ça tombe bien, on a un monde entier à réinventer!