Le PDG d'Element AI, Jean-François Gagné (Photo: courtoisie)
BLOGUE INVITÉ. C’est avec beaucoup de cynisme qu’a été accueillie la semaine dernière la nouvelle annonçant la «vente de feu» d'Element AI. Entreprise dite révolutionnaire par ses fondateurs, la réalité n’a pris qu’une vingtaine de mois avant de les obliger à sauver le bateau en la vendant à l’américaine ServiceNow.
Les jours suivants l’annonce, j’ai été très intéressé de lire les commentaires de toutes sortes sur le sujet. Pour certains, comme pour l’entrepreneur Louis Têtu de Coveo, c’est «malheureusement un désastre annoncé depuis plusieurs années», sentiment que je partage. D’autres, estiment qu’au contraire, ils ont tous essayé et méritent au moins le respect d’avoir pris des risques.
Mon propre parcours étant jalonné de multiples échecs, je suis le premier à applaudir le fait d’échouer. Après tout, l’échec est la preuve irréfutable d’avoir au moins essayé! Cependant, quand on engage en quelques mois plus de 500 employés, qu’on ouvre des bureaux à Londres, Séoul et Singapour, que le budget party dépasse les revenus et que les dirigeants parcourent le monde afin de vendre du rêve avant même d’avoir un modèle d’affaires clair, net et précis et bien je n’appelle pas ça un échec, mais bien de la mégalomanie!
Tristement, cette folie de grandeur s’est emparée, une fois de plus, de certains investisseurs me confirmant, hors de tout doute, qu’une autre bulle n’est pas très loin d’éclater. Après la folie des télécoms, la bulle internet de la fin des années 90 et celle des prêts hyothécaires à haut risque en 2008 l’histoire ne fait que se répéter. Cannabis, cryptomonnaies et maintenant intelligence artificielle... Quand arrêterons-nous de croire au monde des licornes?
Car le problème il est là, les fameuses licornes, ou plutôt l’obsession de certains envers celles-ci. En affaires, on appelle «licorne» une entreprise technologique qui est évaluée à plus d’un milliard de dollars.
À bien y réfléchir, il est plutôt ironique d’avoir choisi cette créature imaginaire afin de définir certaines de ces start-ups. Les licornes fascinent depuis plusieurs siècles, mais, n’existent que dans un monde fantastique, extraordinaire et féérique, finalement, un peu semblable au rêve que certaines licornes technologiques proposent!
Pour ma part, quoique j’adore les idées folles, je me passionne surtout à développer du concret autour d’elles. Attention, tous ne vivent pas dans un monde parallèle et il ne faudrait surtout pas prendre cet exemple afin de généraliser le foisonnant écosystème de brillantes start-ups québécoises.
Certaines entreprises technologiques d’ici, font même partie, ou sont en voie, de joindre ce groupe sélect ayant comme valorisation plus d’un milliard de dollars. Parmi celles-ci, Lightspeed, Coveo et LeddarTech mènent le bal. Mais plutôt que les nommer licornes, je les nomme nos ours polaires!
Mammifère omnivore emblématique, il est parfaitement adapté à son habitat extrême. Doté d’une exceptionnelle agilité malgré sa stature imposante, il est aussi dangereux sur terre que dans l’eau. Nageur remarquable, il peut également atteindre 50 km/h à la course. Chasseur rusé et redoutable, il trône au sommet de sa pyramide alimentaire. Contrairement aux licornes, cet animal est bel et bien réel et a maintes fois prouvé grâce à sa dextérité, sa puissance et sa résilience qu’il a tout pour réussir dans son environnement. La jungle à son roi, l’hiver a le sien.
Arrêtons-donc de rêver au monde imaginaire des licornes et misons plutôt sur le quotidien concret des ours polaires. Fort heureusement, les différents investisseurs ayant parié dans l’aventure d’Element AI ont pu retrouver leur mise ce qui nous permettra au moins de ne pas engranger collectivement des pertes financières. Tristement, il en est tout autrement concernant le fait que près d’une centaine de brevets, développés ici même, ainsi que le talent et savoir de centaines d’employés spécialisés et d’ingénieurs québécois, permettront maintenant à une entreprise américaine d’en tirer profit.