L’éthique ou le facteur trop silencieux

Publié le 01/11/2022 à 10:00

L’éthique ou le facteur trop silencieux

Publié le 01/11/2022 à 10:00

Le questionnement éthique a pris progressivement plus de place dans nos organisations avec la révélation de scandales financiers importants. (Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. Voilà une question que je me pose depuis que je m’intéresse à ce dossier, soit plus de 10 ans : pourquoi l’éthique est-elle si silencieuse dans l’approche des facteurs ESG (environnement, société, gouvernance) ? N’y aurait-il pas lieu d’ajouter un deuxième «E» et de former ainsi un quatuor mettant de l’avant les assises sur lesquelles nous souhaitons bâtir l’entreprise de demain ?

Depuis quelques décennies, il semble que la sensibilité morale soit un atout pour diriger une entreprise. Le questionnement éthique a pris progressivement plus de place dans nos organisations avec la révélation de scandales financiers importants, ici comme ailleurs : Cinar, WorldCom, Enron, Adelphia, Norbourg et malheureusement beaucoup d’autres.

 

Éthique et gouvernance

Selon René Villemure, éthicien québécois, le mot éthique fait référence aux valeurs, autrement dit les éléments qui doivent permettre de prendre une décision lorsqu'il n'existe pas de normes ou de règles dans ce domaine. Ces valeurs nous indiquent le chemin à suivre. Avec la montée de la responsabilité sociale et des facteurs ESG, la performance d’une entreprise est jugée non plus seulement à l’échelle de sa rentabilité, mais aussi en fonction du respect de valeurs telles que l’honnêteté, le respect des autres, la loyauté. Les entreprises sont évaluées par leur public sur des critères éthiques.

Selon une étude menée en 2019 par les services FAAS (Financial Accounting and Advisory Services) et de la firme EY Global sur la reddition de comptes d’entreprise, 74% des responsables financiers estimaient que les investisseurs utilisent de plus en plus des informations extrafinancières dans leur prise de décision. Cette quête de l’éthique dans la prise de décision se reflète tout autant au niveau des dirigeants que du personnel, de plus en plus à la recherche d’un sens à son travail.

Quant à la gouvernance, ses origines remontent au début des années 1930, lorsque les auteurs Berle et Means ont traité des risques inhérents à la séparation entre la propriété et le contrôle de l’entreprise qui entraîne des conflits d’intérêts entre les dirigeants et les actionnaires. Il a pris un nouvel envol avec la publication du rapport Cadbury (aucun lien avec les friandises chocolatées…) en 1992 dont les recommandations portaient notamment sur la nécessité de former des conseils d’administration composés de membres externes à la direction de l’entreprise, la création de comités spécialisés et l’adoption d’un code de conduite fondé sur les principes d’ouverture, d’intégrité et de responsabilisation.

Plus près de nous, mentionnons la publication du Rapport Dey (2001) intitulé 360° Governance : Where Are the Directors in a Time of Crisis? Ce rapport énonçait une douzaine de lignes directrices destinées à améliorer le rôle du conseil d’administration dans la prise de décision.

La gouvernance peut se décrire en deux volets : celle ayant trait à l’architecture de la gouvernance (conseil d’administration, actionnariat, rémunération, aspect financier et gestion de risques) et celle relative au comportement de l’entreprise (code d’éthique et de déontologie, pratiques commerciales, corruption, fiscalité, citoyenneté corporative).

Il existe donc un lien entre l’éthique et la gouvernance qui peut être soit ignoré par les dirigeants, soit servir de justificatif pour des actions de philanthropie ou d’aide à la communauté sans pour autant nourrir son processus décisionnel ou être incarné dans son fonctionnement, sa mission, ses valeurs et ses stratégies. Dans cette dernière formule, l’éthique propulse la gouvernance et lui donne un sens additionnel.

Bref, s’il convient de ne pas les confondre dans leurs origines, il importe de savoir conjuguer éthique et gouvernance pour viser la nouvelle société souhaitée par la responsabilité sociale et les facteurs ESG.

 

Éthique et ESG

Quelle autre dimension apporte l’éthique dans le giron ESG telle qu’elle est définie actuellement ? À l’ère de préoccupations sociales et environnementales grandissantes, et d’insécurité socio-économique, nous nous devons de poser les questions d’une manière inédite. L’éthique apporte des questionnements sur le comment ou les valeurs qui nous guident en matière de concrétisation de nos objectifs. C’est le cas notamment pour :

- L’environnement : comment répondons-nous aux changements climatiques ? D’une manière égocentrique et compétitive ou d’une manière plus collaborative ?

- Le plan sociétal : encourageons-nous une meilleure distribution de la richesse au sein de la société par l’implantation d’un salaire décent pour l’ensemble des travailleurs et un ratio d’équité acceptable au sein de l’entreprise ?

- Le plan de la gouvernance : favorisons-nous la performance à tout prix ? Quelle est notre approche en regard des sonneurs d’alarme ? Des fauteurs de troubles ou des personnes qu’il faut prendre le temps d’écouter ?

Finalement, l’éthique doit-elle donc être ajoutée et le trio ESG devenir un quatuor ? Pour ma part, je pense que oui, car l’éthique apporte tout le sens nécessaire à la transformation de société souhaitée par la responsabilité sociale et les facteurs ESG.

 

À propos de ce blogue

Économiste, titulaire d’une maîtrise en administration des affaires, ainsi que d’une certification en gouvernance, Louise Champoux-Paillé se distingue par une carrière de pionnière dans le domaine des services financiers et professionnels, sa participation à plusieurs conseils d’administration et son engagement à la promotion de la saine gouvernance et de la représentation des femmes au sein des instances organisationnelles. Louise Champoux-Paillé a été présidente fondatrice du Bureau des services financiers, l’ancêtre de l’Autorité des marchés financiers. Elle enseigne la gouvernance et la gestion des risques à l’UQAM et a été nommée récemment co-directrice du Centre Lorenzetti (Université Concordia) dont l’objectif est de créer un carrefour d’expertise et de recherche durablement consacré aux femmes entrepreneuses et dirigeantes. À la recherche constante des nouvelles tendances en matière de gouvernance depuis quinze ans, Louise Champoux-Paillé parcourt quotidiennement différentes publications et études en accordant une attention particulière aux stratégies utilisées par les organisations pour intégrer les facteurs ESG dans leur vision, leur fonctionnement et leur plan de développement et ainsi répondre aux attentes des investisseurs, des actionnaires et de l’ensemble de leurs parties prenantes Louise Champoux-Paillé est membre de l’Ordre du Canada, chevalière de l’Ordre national du Québec, Fellow de l’ordre des administrateurs agréés du Québec et récipiendaire de prix de distinction de l’UQAM et de l’Université Laval. Elle a été admise au Cercle d’excellence de l’Université du Québec. Récemment, la médaille de l’Assemblée nationale du Québec lui était décernée pour l’ensemble de sa carrière.

Louise Champoux-Paillé
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