Ses tweets n'ont quasiment pas de portée... (Photo: visuals pour Unsplash)
CHRONIQUE. Donald Trump est véritablement actif sur Twitter depuis 2012, c’est-à-dire depuis sa réinscription au Parti républicain. Il est devenu si friand de ce média social qu’il en a fait le véhicule principal de ses communications, tant en campagne présidentielle qu’une fois devenu président des États-Unis. C’est même devenu le seul moyen de savoir ce qu’il a en tête puisqu’il refuse toute entrevue journalistique et n’accorde aucun point de presse.
Quel a été le réflexe des médias face à ce comportement inusité de la part d’un politicien? Scruter à la loupe chacun de ses tweets, et en faire mention à chaque «dérapage» notable. Ce qui, mine de rien, faisait très exactement le jeu de Trump : «Une chose que j’ai apprise à propos des médias, c’est qu’ils ont toujours faim de bonnes histoires; plus l’histoire est sensationnelle, mieux c’est… Si tu es un peu différent, un peu scandaleux, si tu fais des choses audacieuses ou controversées, les médias vont parler de toi», avait-il écrit en 1987 dans son livre «The Art of the Deal».
La question saute aux yeux : les médias se sont-ils ainsi fait bluffer, pour ne pas dire manipulés? Se sont-ils fait avoir en prenant le compte Twitter de Trump pour un phénomène médiatique incroyable, à l’influence considérable, alors qu’en vérité il ne s’agissait que d’une caisse creuse sonnant faux? Pis, en se focalisant tant sur les tweets de Trump et en en parlant jour après jour ne lui ont-ils pas procuré un véritable pouvoir; signe qu’ils se seraient laissés manipulés en beauté?
Je me suis amusé à un petit jeu… Un jeu qui s'inspire de ce qu’on appelle la méthode de Monte-Carlo par chaînes de Markov (MCMC), une méthode de calcul statistique que je ne vais pas tenter de vous expliquer ici et maintenant, mais dont je vais juste vous indiquer quelle consiste grosso modo à considérer un échantillonnage sélectionné aléatoirement en se disant que celui-ci sera représentatif de l’ensemble du groupe étudié. Dans le cas présent, ça consistait à sélectionner plusieurs groupes de 100 personnes, à analyser chacun de ces groupes à travers un prisme précis, puis à voir si l’on trouvait dans ceux-ci une constante, ou pas.
Concrètement, voici ce que j’ai fait… Le 14 août, à midi, je me suis amusé à répertorier les 100 utilisateurs de Twitter qui venaient de s’abonner au compte Twitter de Trump (@realDonaldTrump) et à scruter chacun d’eux en détail. Oui, j’ai considéré un petit échantillon de ses abonnés pris de manière totalement aléatoire, ce que ça m’a permis de découvrir que:
> 87% des abonnés au compte Twitter de Trump sont de faux comptes!
Comment ai-je pu déceler les vrais comptes des faux comptes? Ce n’est vraiment pas sorcier, surtout pour quelqu’un qui, comme moi, est habitué à «flusher» quotidiennement les faux comptes qui s’abonnent à mon propore compte Twitter. Tenez, regardez ces quelques exemples concrets:
- Le nom: Pauline T. / Pas de photo / Le nom du compte: @Pauline99410703 / 30 abonnements / 0 abonné
Quand je clique sur sa page pour en savoir plus à son sujet, Twitter m’envoie le message «Attention: ce compte n’existe pas».
- Le nom: Ziv / Une photo d’adolescente / Le nom du compte: ziv82243859 / 11 abonnements / 0 abonné
Quand je regarde la date d’ouverture du compte Twitter, ça m’indique «août 2020». Par conséquent, le compte vient tout juste d’être créé, et cette adolescente n’a qu’une envie : consulter les tweets de Trump. Ce qui ne tient pas la route.
En vérité, il s’agit là du profil type du faux compte créé par un robot intelligent: quelqu’un, quelque part, a programmé une intelligence artificielle (IA) pour créer automatiquement de faux comptes et pour que ceux-ci s’abonnent à celui de Trump.
- Le nom: JerzeeMike / Une photo qui n’est pas un portrait / Le nom du compte: @JerzeeMike1 / 9 abonnements / 0 abonnés
Sa présentation : «Jerzee Republican, MAGA & as Red as Red gets!»
La seule activité de JeerzeMike depuis avril 2020? Une poignée de retweets (RT) de tweets de Trump. Et c’est tout.
C’est clair, c’est là encore un faux compte créé par un robot intelligent, dont la seule mission consiste à gonfler le nombre d’abonnés à Trump et à gonfler les statistiques de ses RT.
- Le nom : Mashaan / Une photo de femme portant des lunettes noires / Le nom du compte: @mashaan6
Quand je clique sur sa page, j’ai droit au message «Attention: ce compte est temporairement restreint». Ce qui signifie qu’un véritable utilisateur de Twitter l’a signalé comme étant un faux compte et que Twitter est en train de faire des vérifications à ce sujet.
- Le nom: Adriannne Li (oui, avec 3 «n»!) / Une photo de femme sur une piste de ski / Le nom du compte: @adrianneli (oui, cette fois-ci avec 2 «n»!)
Ce qui cloche complètement avec ce compte, c’est qu’il a été créé… en Chine. Et que les quelques tweets qu’il a émis visent exclusivement à condamner les violences étatiques au Bélarus, ces derniers jours. Bref, c’est du gros n’importe quoi.
Bon. J’arrête là, je pense que vous avez saisi combien il est aisé d’identifier les faux comptes sur Twitter, nul besoin de continuer de vous bombarder avec les dizaines et dizaines de comptes du type @CooooolBooooy et @Philia81752769, nés en août 2020 et qui renvoient au message «Attention: ce compte n’existe pas» quand on clique dessus.
La conclusion est sans appel : seulement 13% des abonnés à Trump sont de vraies personnes. Mais minute, attendez-vous maintenant à une nouvelle surprise à ce sujet…
> Nombre des vrais abonnés à Trump sont farfelus!
Bien entendu, j’ai regardé de près le compte des rares vraies personnes abonnées à Trump. Et quelle n’a pas été ma surprise d’y trouver des followers, disons, farfelus. Deux exemples:
- @beeQi, soit un fan club du groupe de K-Pop BTS.
- @JoshuWaO, soit un pré-adolescent dont le seul centre d’intérêt dans la vie semble être le jeu vidéo Minecraft.
Il faudra m’expliquer l’intérêt que ceux-ci peuvent vraiment porter à la politique américaine, et en particulier à Trump… Franchement, j’ai du mal à saisir... Tellement de mal à saisir que je pense qu’il n’y en a tout simplement aucun : ils suivent Trump, mais sans y prêter aucune attention particulière, peut-être même juste pour le «fun» de suivre quelqu’un d’important.
Bref, j'en suis arrivé à la conclusion que seulement 10% des abonnés au compte Twitter de Donald Trump étaient de véritables personnes. Pas plus.
J'ai répété l'opération, pour un total de 10 groupes de 100 abonnés. Et j'ai systématiquement retrouvé le même chiffre, à peu de choses près: seulement 10% sont de vraies personnes a priori réellement intéressées par ce que tweete Donald Trump.
10%, donc. Ce qui change la donne: d’un coup d’un seul, le nombre d’abonnés à Trump n’est plus de 85,1 millions, mais plutôt de… 8,5 millions. Ouch! La chute est brutale…
8,5 millions d'abonnés? Ça correspond à: 20 fois le nombre d’abonnés à Guy A. Lepage; 25 fois ceux à Véronique Cloutier; ou encore près de 30 fois ceux à Patrick Lagacé. (OK, en partant du principe que les abonnés de nos vedettes québécoises sont, eux, tous vrais…)
Que signifient ces comparaisons? Qu’au fond, un tweet de Trump n’a pas l'impact qu'on croit. Loin de là.
En simplifiant, son impact est 20 fois celui d'un tweet de Guy A. Lepage, oui, 20 fois le tweet d'une vedette de la télévision au Québec. Certes, c'est bien d'avoir 20 fois plus d'impact qu'un gros influenceur québécois, mais bon, quand le principal intéressé se pète les bretelles en clamant haut et fort qu'il est «le plus grand président des États-Unis de l'Histoire» et qu'il est «l'homme le plus puissant de la planète», excusez-moi, mais ce n'est pas fort. Pas fort du tout.
En vérité, un tweet de Trump n'a qu'un peu plus d’impact qu’un tweet de Guy A. Lepage, de Véronique Cloutier ou de Patrick Lagacé. Si bien que les médias se montrent ridicules à leur accorder tant d’importance, à en faire des manchettes et à en parler à tout bout de champ dans leurs analyses politiques. Car, disons le simplement, les tweets de Trump sont projetés dans le vide: seulement une minorité de gens s’y intéressent au point de les lire, voire d’en tenir compte dans leurs réflexions politiques personnelles.
Bon. Je vous entends d’ici: «C’est tout de même le président des États-Unis, et savoir ce qu’il a en tête a une réelle importance. L’ignorer serait une grave erreur de jugement», pensez-vous sûrement en ce moment-même.
Permettez-moi de vous détromper sur ce point précis… Les tweets de Trump ne permettent pas d’accéder à ses pensées, à ses stratégies, à sa vision politique. Saviez-vous en effet que:
- La grande majorité de ses tweets ne sont pas rédigés et envoyés par Trump, mais pas son équipe chargée des médias sociaux. C’est du moins ce que montre quotidiennement le site FactBase dont l’IA analyse chacun de ses tweets et parvient à identifier quand c’est Trump qui est le rédacteur et l’expéditeur et quand c’est quelqu’un d’autre (FactBase indique alors «Likely staff» ou «Unknown»). La journée du 14 août montre ainsi que seulement 15% des tweets de la journée ont été rédigés et expédiés par Donald Trump, les 85% autres l’ayant été par autrui.
- 1 tweet de Trump sur 5 (21,1%) n’est rien d’autre qu’un coup de gueule ou une flopée d’injures à l’attention de ses opposants politiques, selon les données de TweetBinder. Et 3% d’entre eux sont tout bonnement incompréhensibles, étant rédigés dans une rage folle qui le pousse à écrire n’importe quoi n’importe comment (des tweets qui finissent, en général, par être retirés par son équipe chargée des médias sociaux…); à l’image de cette menace de mort qu’il a récemment adressée à ceux qui profitaient de manifestations pour piller des commerces.
On le voit bien, il est ridicule d’espérer accéder ainsi à sa pensée politique. Car non seulement rares sont les tweets dont il est l’auteur, et quand il s’agit bien des siens, ils reviennent souvent à de vulgaires menaces et autres insultes.
Alors? Que retenir de tout cela? C’est assez simple, me semble-t-il:
> L’influence réelle de Trump via Twitter est, en vérité, quasi nulle. Oui, quasi nulle. Je le souligne. Et ridicules sont ceux qui s’appuient dessus pour en tirer des analyses ou, pis, des conclusions. Car ce n’est là que du vent, on peut même dire du vent nauséabond. Par conséquent, si jamais vous voyez à l’avenir un journaliste, un analyste, un expert «tartiner» sur un tweet de Donald Trump, faites-vous plaisir et envoyez-lui le lien vers ce billet de blogue, en lui soulignant combien il vient de mettre en péril sa crédibilité. Qui sait? peut-être réalisera-t-il dès lors qu’il agit en charlatan, et qu’il gagnerait à vite changer son fusil d’épaule pour viser plus juste à l’avenir… oui, peut-être arrêtera-t-il une bonne fois pour toutes de parler des tweets de Trump et d'ainsi leur donner une vraie importance... CQFD.
En passant, le philosophe roumain Emil Cioran a dit dans Aveux et anathèmes : «Il y a du charlatan dans quiconque triomphe en quelque domaine que ce soit».
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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.
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