«La raréfaction de l’offre sur le marché du travail, la pénurie de compétences et le besoin désespéré de durabilité rendent encore plus impérieux la nécessité de partenariats mondiaux et de mondialisation», affirme Ed Sims, ancien PDG de WestJet. (Photo: courtoisie)
BLOGUE INVITÉ. L’industrie du transport aérien semble être sur le point de laisser derrière elle plus rapidement que prévu les zones de turbulences pandémiques. Or, elle n’est pas au bout de ses peines, si on se fie à l’expert et ancien PDG de WestJet, Ed Sims.
En effet, presque toutes les compagnies aériennes prévoient un retour à la rentabilité en 2023. Déjà, et ce en Amérique du Nord seulement, l’industrie est parvenue à dégager en 2022 un bénéfice de 8,8 milliards de dollars américains malgré les pénuries d'approvisionnement et la hausse des coûts de la main-d'œuvre et du carburant.
«Les compagnies aériennes américaines s’attendent à un quatrième trimestre rentable [en 2022], ce qui constitue un revirement étonnant», rapporte Ed Sims.
Une analyse de l'Association du transport aérien international (IATA) indique d’ailleurs que les pertes seront réduites à 9,7 milliards de dollars américains (G$US) cette année, une amélioration considérable par rapport à celles de 137,7 G$US en 2020 et de 42,1 G$US milliards en 2021.
«Les compagnies aériennes sont résilientes. Les gens prennent l'avion en nombre toujours plus grand. Et le fret se porte bien dans un contexte d'incertitude économique croissante», observe Willie Walsh, directeur général de l'IATA, dans le rapport.
Celui qui a quitté la tête de WestJet en 2021 croit que la plupart des compagnies aériennes réaliseront ces prévisions précoces grâce à des rendements nettement supérieurs, mais craint que les hausses de prix nuisent à la demande.
«Les compagnies aériennes testent vraiment les limites de l'élasticité de la demande», dit celui qui évolue dans le secteur de l’aviation depuis les années 1980.
Ed Sims ne croit pas que le prix exorbitant de billets soit le fruit «de la rareté de l'offre causée par la pénurie de main-d'œuvre ou d'avions, mais plutôt […] des actionnaires qui commencent à s'impatienter après deux ou trois ans de pertes importantes.»
Un besoin grandissant de partenariats mondiaux
La crise de la COVID-19 a de nouveau souligné la nécessité de créer des alliances mondiales.
Selon Ed Sims, c'est particulièrement crucial pour les défis actuels de la chaîne d'approvisionnement dans ce secteur largement dominé par les duopoles — une tendance que la pandémie pourrait inverser.
«Même le développement de carburant durable, — l'un des dossiers qui préoccupent le plus les compagnies aériennes actuellement — est dominé par un duopole, celui de Shell et de Neste», souligne-t-il.
D’après lui, les alliances entre compagnies aériennes ont la possibilité d'aller au-delà du simple rapprochement entre les cultures mondiale en tant que «moyen de créer la mondialisation».
«[La pertinence des duopoles peut être] remise en question par les partenariats mondiaux plus puissants», estime Ed Sims.
«La raréfaction de l’offre sur le marché du travail, la pénurie de compétences et le besoin désespéré de durabilité rendent encore plus impérieux la nécessité de partenariats mondiaux et de mondialisation», ajoute-t-il.
Crise énergétique dans un contexte de décarbonation
La flambée des prix du pétrole et du carburant devrait inciter les compagnies aériennes à rendre leur consommation énergétique plus efficiente, tant par l'amélioration des performances des appareils que par des décisions opérationnelles.
Les compagnies aériennes long-courrier misent davantage sur les achats à terme, tandis que les compagnies aériennes court-courrier ont recours à un remplacement plus régulier de leur flotte et essaient d'acheter des moteurs plus économes en carburant, précise Ed Sims.
Si les prévisions se confirment, l'avenir de l'aviation pourrait être beaucoup plus vert dès 2035 avec l'introduction sur le marché d'avions fonctionnant à l'hydrogène, a révélé une étude de McKinsey & Company pour le Clean Sky 2 JU et Fuel Cells and Hydrogen 2 JU.
«La stratégie à long terme consiste en fin de compte à améliorer la planification du réseau et des horaires, ainsi qu’une prévisibilité accrue, ce qui permet aux gens de penser plus loin en termes de chaîne d'approvisionnement», dit-il.
Ed Sims a récemment rejoint le conseil d'administration de la start-up numérique de compensation carbone CarbonClick. Son objectif est de mettre à profit son expérience et ses connaissances en matière d'aviation pour que le marché du transport aérien se développe d’une façon durable et qu’il s’oriente vers un avenir plus propre et plus vert.
Karl Moore et Stéphanie Ricci. Karl est professeur associé à la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill. Stéphanie est diplômée en journalisme et en sociologie de l’Université Concordia.