Éric Filion, président Hydro-Québec Distribution, et Pierre Moreau, ministre de l'Énergie (MERN)
La suspension des projets de minage de cryptomonnaies au Québec vient d'être officialisée. La planète blockchain bruissait pourtant de rumeurs d'avancées de notre gouvernement, censé dévoiler de nouvelles conditions d'accueil de ce secteur gourmand en énergie. Un peu trop vite en besogne apparemment.
Surprise! Le ministre québécois de l'Énergie, Pierre Moreau, a annoncé ce jeudi avoir signé un arrêté ministériel suspendant «temporairement» le traitement de toutes les demandes de nouveaux projets cryptographiques. Et ce jusqu'au 15 septembre 2018 «au plus tôt».
Cette interposition permettrait techniquement à Hydro-Québec de ne pas répondre, comme la loi l'y oblige, à plus de 300 requêtes. Ce volume «astronomique» représenterait un total de 15 000 mégawatts de puissance, selon la société d'État «victime du succès» de son produit.
«Nous voulons accueillir de façon responsable, prudente et pragmatique les meilleurs joueurs», a rappelé le ministre libéral, paraphrasant ce que nous affirmait déjà Hydro-Québec en mars dernier.
Il s'agit de la première étape de la stratégie «blockchain» du gouvernement et de son producteur d'électricité. Un décret ministériel a parallèlement demandé à la Régie de l’énergie de se pencher sur les conditions commerciales accordées à ce secteur «préoccupant» d'un point de vue financier, social ou encore environnemental.
Au cours des prochains jours, Hydro-Québec proposera un «processus de sélection» pour les projets en insistant sur «l’urgence de saisir les opportunités offertes» par cette industrie émergente.
En conférence de presse, Pierre Moreau a confirmé que ces entreprises blockchain ne bénéficieront pas d'un rabais tarifaire (le fameux TDE) mais subiront au contraire une augmentation, des prix supérieurs donc au «graal» actuel, le tarif LG (5 cents/KWh).
Leur sera ensuite dédié, dans un avenir proche, un bloc d'énergie d'environ 500MW, qui viendra s'additionner aux 120MW qui devraient être utilisés à terme par une vingtaine de projets jusqu'ici acceptés par Hydro-Québec.
Il est entendu que les entreprises déjà actives seront soumises aux nouveaux tarifs. En attendant, l'intervention du ministre met sur la glace des centaines de millions de dollars d'investissements dans des coins généralement boudés de la province.
Finie l'électricité au rabais
Alors que les surplus d’énergie défraient la chronique au pays, le président d’Hydro-Québec Distribution a tenu à souligner que la puissance était nettement plus restreinte au bilan.
«Mise à part la blockchain, d’ici 2022, il faudra avoir de la puissance additionnelle sur le réseau avec des appels d’offres. Le 500 MW équivaut au tiers de la totalité disponible pour soutenir l’ensemble de la croissance économique au Québec», a détaillé Éric Filion.
Dans ce contexte, le dirigeant du pôle Distribution considère que ce bloc constitue déjà une proposition intéressante pour ces entreprises. Proposition dans laquelle les autorités s'assureront du caractère «interruptible» des acteurs qui devront s'effacer du réseau pendant une période maximale de 300 heures en hiver. Un délestage que ne peuvent pas se permettre des activités comme celle des centres de données, garants d'Internet en quelque sorte.
«On veut conserver une réserve pour permettre à Hydro-Québec de répondre à des demandes d'autres secteurs qui ont des retombées économiques. Par exemple, une nouvelle aluminerie ou une nouvelle mine. On regarde le ratio de création d'emplois par MWh et on réalise que dans la blockchain, on est au bas de l'échelle», a de nouveau expliqué Pierre Moreau.
« On vient rationaliser en prenant compte de tous les paramètres »
Le ministre assure ne pas vouloir se montrer «péjoratif» en exprimant la faiblesse des chiffres d'embauche pour l'industrie crypto mais insister sur le fait qu'en général «il n'y a pas de justification d'offrir un rabais tarifaire».
«On ne veut pas éliminer toute marge de manœuvre dans les chaînes de blocs. On vient rationaliser l’ensemble en prenant en compte tous les paramètres: les volumes de demandes, notre capacité d’y répondre et notre volonté de ne pas nous couper de cette technologie», a répondu le ministre Moreau.
En soulignant la nécessité de prendre des décisions rapidement, le gouvernement semble parer au plus pressé devant la soif d'énergie d'une industrie émergente. Vu de l'extérieur, avouons que cela ressemble à une stratégie défensive face à un potentiel de marché sous-estimé.
«L'urgence est celle de l'écosystème juridique qui entoure la fourniture d'énergie. La loi prévoit un mécanisme autorisant le gouvernement à relever Hydro-Québec de son obligation de branchement. Quand on voit la quantité de demandes, vous comprenez bien notre réaction en tant que gestionnaires responsables», a répliqué le ministre Moreau.
On se demande alors comment (Hydro-)Québec va pouvoir distinguer les promesses économiques sérieuses de celles gonflées à l'hélium.
Les processus de sélection restent une pratique courante, a tempéré le président Distribution, avec des audits des projets soumis et le suivi pour s'assurer que les entreprises respectent leurs engagements. Pour les crypto-entreprises, l'implication dans la durée sera privilégiée, avec une période sûrement de quatre ou cinq ans. De son côté, le prix sera essentiellement déterminé par le marché, a indiqué Éric Filion, ne pouvant pas ainsi donner une marge potentielle de hausse tarifaire.
Au profit de tous?
Pour ceux qui ne l’avaient pas encore perçu, le gouvernement et Hydro-Québec ne voient pas dans le minage de cryptomonnaies un contexte d’investissement dans de nouvelles infrastructures.
«On veut profiter du bas coût de production avec les infrastructures existantes pour augmenter les profits», a synthétisé Pierre Moreau. «On ne veut pas ouvrir les vannes aux cryptomonnaies. Et si certains projets s'évanouissent à cause des tarifs, on aura atteint l'objectif de sélectionner les meilleurs».
Dans la communauté crypto, certains prennent déjà les paris. «Surveillez une annonce pré-électorale des libéraux pour attribuer le bloc de 500MW -ou une portion significative- à une entreprise chinoise controversée, et ce, aux dépens des entrepreneurs déjà établis au Québec», pronostique Jonathan Hamel, fondateur de l'Académie Bitcoin, qui ne donne pas cher de la peau du ministre lors du prochain scrutin.
«On joue notre avenir», nous confie un autre entrepreneur blockchain montréalais, dérangé par ces annonces qui brouillent ses plans financiers.
Avec son casting élitiste des sociétés blockchain, le gouvernement du Québec risque d'enrôler de gros acteurs, mais pas nécessairement bons joueurs. «Québec déroule le tapis rouge aux monopoles», s'inquiétait-on récemment dans le milieu d'affaires québécois.
«Les politiciens doivent s’adapter à la réalité économique et ne pas décourager l’entrepreneuriat ou l’emploi au Québec. Sinon, tout ça partira au Saskatchewan ou en Alberta, nous exposait dernièrement Daniel Rafuse, directeur opérationnel de GPU.one spécialisée en haute densité de data, ce serait illogique de perdre notre avantage compétitif».
Parmi les conseillers stratégiques du gouvernement, on estime que c’est une bonne approche qui facilitera l’émergence de projets structurés et structurants.
Notons enfin une nuance importante. Le monde politique tient toujours un point d'honneur à distinguer blockchain et Bitcoin. Or, à l'heure actuelle, la chaîne de blocs «originelle» demeure la plus populaire (et la plus légitime). Par conséquent, les plus importants mineurs de cryptomonnaies interviennent sur Bitcoin.
Interrogé par nos soins sur l'ouverture du gouvernement québécois aux acteurs de Bitcoin, Pierre Moreau a ironisé en n'exprimant «pas de fermeture. S'ils sont capables de se qualifier comme les meilleurs, qu'ils lèvent la main», a ponctué le ministre de l'Énergie, ne débordant pas de sa ligne défensive.
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