Depuis que j'ai posé le pied au pays, en janvier 1990, je vis une belle et grande histoire d'amour avec le Québec. Ses richesses me fascinent. Son avenir me tient à coeur. Ses combats sont les miens. On insiste avec raison sur l'importance de protéger le français. Mais comment peut-on espérer accomplir cette mission si on ne peut lire, écrire et parler convenablement notre langue ?
L'urgence de combler les besoins du marché du travail ne devrait pas occulter la bonne maîtrise du français. Je me désole de savoir que 49 % de la population québécoise n'atteint pas le niveau de compétence 3 en littératie, soit le minimum requis pour naviguer aisément dans la vie de tous les jours en tant que citoyen et travailleur.
Être bien outillé
C'est la moitié des Québécois de 16 à 65 ans qui redoutent la lecture et ne saisissent pas le sens des phrases qu'ils finissent par déchiffrer. C'est la moitié des Québécois qui peinent à suivre la cadence d'un marché exigeant une capacité d'adaptation toujours plus grande. Que se passerait-il si le seuil minimal grimpait au niveau 4 d'ici quelques années ? Dans un contexte de mondialisation et de concurrence accrue, cette hypothèse est loin d'être farfelue. Ce serait alors pas moins de 85 % de la population qui se retrouverait marginalisée !
En rognant sur l'enseignement de la langue, on suppose que les rudiments techniques peuvent compenser les lacunes linguistiques. C'est oublier que tous les travailleurs devront lire des instructions, produire des rapports, communiquer avec des clients, des patrons, des collègues. C'est oublier qu'ils devront bientôt perfectionner leurs connaissances, apprivoiser de nouvelles pratiques. Auront-ils les outils nécessaires pour y parvenir ?
Y a-t-il un polyglotte dans la salle ?
Le milieu de travail des Québécois se bilinguise. La tendance est observable dans tous les secteurs. Si affirmer la primauté du français reste une priorité, il est temps de viser plus haut en favorisant le plurilinguisme.
Quand je négocie avec des fournisseurs, des partenaires ou des clients étrangers, je n'ai pas envie de transiger avec un interprète. C'est pourtant ce qu'on me demande de faire en négligeant l'apprentissage des langues secondes et tierces.
Les entreprises chinoises ont vite compris que, pour devenir une puissance économique mondiale, elles devaient d'abord comprendre et maîtriser les langues de tous les marchés. Arabe, espagnol, portugais, allemand, anglais... Elles sont devenues de vrais as linguistiques. Le résultat ? En 10 ans, elles ont pris d'assaut le marché international.
Notre belle langue française est une fierté culturelle. Elle mérite son statut privilégié. Il ne faudrait toutefois pas confondre la culture et le commerce. Le Québec n'est pas un espace clos. Il est au contraire en profonde mutation. Le plurilinguisme constitue un levier de croissance exceptionnel dans notre économie mondiale, en particulier pour un marché comme le nôtre qui dépend de l'exportation. Les immigrants arrivent au pays avec du talent et de la volonté plein leurs bagages. Le plurilinguisme qui résulte de leur arrivée est une richesse extraordinaire, tant pour notre société que pour notre économie. La province compte déjà le plus haut taux de main-d'oeuvre bilingue et multilingue en Amérique du Nord. Les entreprises québécoises qui gagneront sur le marché international sont celles qui sauront en tirer avantage.
Cette chronique fait suite à celle intitulée «Le savoir comme moteur de l'économie», parue dans notre numéro du 11 juillet.
Danièle Henkel a fondé son entreprise en 1997, un an après avoir créé et commercialisé le gant Renaissance, distribué partout dans le monde. Mme Henkel a été plusieurs fois récompensée pour ses qualités de visionnaire et son esprit entrepreneurial. Elle est juge dans la téléréalité à caractère entrepreneurial Dans l'oeil du dragon, diffusée à Radio-Canada.