Le financier québécois Stephen Jarislowsky avait semé la controverse en mai dernier, lorsqu'il avait taillé en pièces la loi québécoise adoptée en 2006, qui impose aux conseils d'administration des sociétés d'État d'être composés à 50 % de femmes d'ici 2011.
Pour M. Jarislowski, imposer une telle contrainte est une erreur, car le Québec ne compte pas suffisamment de femmes qui possèdent l'expérience requise pour siéger à un conseil d'administration.
Or, une étude publiée dans la Harvard Business Review le 15 février dernier, qui portait sur une expérience semblable menée en Norvège abonde dans le même sens. " Les membres des conseils sont choisis pour créer de la richesse pour les actionnaires. Imposer des restrictions sur la composition du conseil a un effet négatif sur la valeur des entreprises ", explique Amy Dittmar, qui a réalisé l'étude avec Kenneth Ahern, de la Ross School of Business de l'Université du Michigan.
En 2002, la Norvège a imposé aux sociétés inscrites en Bourse de compter au moins 40 % de femmes à leur conseil d'administration pour 2005.
Les deux chercheurs ont constaté que le cours de l'action de 130 entreprises inscrites à la Bourse de Norvège avait baissé de 2,6 % en moyenne au cours des trois jours qui ont suivi l'annonce de la création de la loi. Les entreprises qui ne comptaient aucune administratrice à leur conseil ont vu leur titre chuter de 5 % en trois jours.
Les chercheurs ont aussi utilisé le ratio Tobin Q, un outil de mesure de la gouvernance des entreprises, pour évaluer l'impact des changements sur les conseils norvégiens. Ils ont également noté une incidence négative sur la valeur de cet indice chez les entreprises qui avaient nommé plus de femmes à leur conseil d'administration.
Cette baisse de valeur n'est pas liée au sexe des membres du conseil, insistent les chercheurs. " La contrainte imposée par la loi a obligé les conseils à recruter des femmes plus jeunes. Leur inexpérience explique sans doute davantage la baisse de valeur des sociétés. "
Une étude critiquée
Les trois gestionnaires québécois à qui nous avons fait lire l'article de la Harvard Business Review doutent de la conclusion de l'étude de la Ross School of Business de l'Université du Michigan. Voici leurs commentaires :
" Le déclin de la valeur des sociétés est probablement dû aux préjugés. Les investisseurs présument que les femmes n'auront pas l'expérience requise pour s'acquitter de leur tâche, étant donné qu'ils n'ont pas beaucoup d'exemples sur lesquels se fonder. Nous devons combattre les stéréotypes et les préjugés pour permettre à tous de contribuer selon leur plein potentiel. De toute façon, plusieurs études contredisent celle de la Harvard Business Review. "
- Anne-Marie J. Hubert, associée directrice, Ernst & Young
" La société américaine Catalyst montre chaque année que les sociétés à capital ouvert affichant le meilleur rendement sont celles qui comptent une bonne proportion de femmes au sein de la direction. Pourtant, en 2009, 40 % des sociétés ouvertes canadiennes n'avaient aucune femme à leur conseil. De nombreux administrateurs chevronnés siègent à plusieurs conseils; une plus grande diversité serait bénéfique. "
- Christiane Bergevin,vice-présidente, partenariats stratégiques,Bureau de la présidence, du Mouvement Desjardins
" La valeur d'une entreprise dépend de nombreux facteurs. Y a-t-il vraiment un lien entre la baisse de la valeur des sociétés et la loi sur les quotas de femmes qui siègent aux conseils en Norvège ? Cela dit, quand des lois forcent la diversité en ignorant la disponibilité de l'offre, on peut se retrouver avec de mauvaises nominations, quel que soit le sexe ou l'origine ethnique de l'administrateur. Il y a eu de mauvaises nominations au Québec au nom de la diversité, et tout le monde en paie le prix. "
- Jean-Claude Lauzon, associé directeur, Korn/Ferry
Un rendement supérieur grâce aux femmes
Les conclusions de l'étude réalisée par les chercheurs de la Ross School of Business sont contraires à celles d'une étude publiée en 2007 par le cabinet américain McKinsey.
L'enquête de McKinsey concluait que les entreprises qui comptaient plus de femmes au sein de la haute direction et du conseil d'administration ont affiché entre 2003 et 2005 un résultat d'exploitation moyen supérieur de 48 % à celui des entreprises de leur secteur dirigées majoritairement par des hommes. Le rendement boursier moyen des 89 entreprises analysées a également été 1,7 fois plus élevé dans les entreprises qui comptaient davantage de femmes.