[Photo : 123RF/Maxim Basinski]
«Savez-vous ce que votre banque fait avec votre argent ?» «Vous avez plus de pouvoir que vous ne le croyez.» «Investir dans l'économie d'impact ? Oui, c'est rentable !» Trois phrases qui ont permis à la société québécoise Impak Finance d'amasser plus de 1 million de dollars lors de sa campagne de sociofinancement par actions de deux mois, amorcée le 12 octobre dernier. Ils ont été plus de 1 000, dont les trois quarts provenaient du Québec, à devenir actionnaires d'Impak Finance, par l'intermédiaire de la plateforme canadienne FrontFundr.
Impak Finance se définit comme un écosystème financier collaboratif. La phase 1 vise la création d'un fonds d'obligations de 30 à 40 M$. La phase 2, prévue pour 2018, verra la création d'une banque. «Dans les deux cas, nous investirons dans des projets de l'économie réelle et positive et non dans l'économie financière», insiste Paul Allard, cofondateur d'Impak Finance.
«Les banques ont un pouvoir multiplicateur d'impact. Elles peuvent jouer un rôle social en prêtant à de vraies entreprises qui ont un impact durable sur la vie de vraies gens», ajoute Tima Gros, cofondatrice d'Impak Finance.
Le succès de la campagne de sociofinancement d'Impak Finance s'explique en partie par le buzz autour du terme et du concept d'impact. Un mot qu'on entend de plus en plus. On parle désormais d'investissement d'impact (une déclinaison de la finance durable, qui inclut l'investissement responsable), de projet à impact et d'entreprise à impact.
L'impact n'est pas un concept nouveau. Les entreprises ont toujours eu un impact sur la société par leurs activités. Toutefois, on a longtemps accepté que celui-ci pouvait être plus ou moins positif, selon la nature des activités et les choix de la direction. Pour l'impact positif, il y avait les OBNL et la philanthropie. Cette idée est contestée. On parle depuis plusieurs décennies déjà de développement durable et de responsabilité sociale d'entreprise (RSE). Le concept d'impact ne les remplace pas. Il rend simplement ces idées plus concrètes et plus faciles à saisir. «En employant le mot impact, on connecte les gens aux résultats», estime Christine Babkine, directrice de la RSE pour la société immobilière Ivanhoé Cambridge. L'entreprise a une responsabilité sociale. Ses employés et ses fournisseurs ont un impact sur la façon dont elle assume cette responsabilité.
Paul Allard, cofondateur d'Impak Finance.
Intégrer l'impact à la mission
«On constate les limites de la compensation, l'approche anglo-saxonne voulant qu'une entreprise compense ses impacts négatifs en redonnant un peu à la communauté, souligne Simon Robert, directeur de la responsabilité sociétale chez Loto-Québec. On observe aussi les limites de la contribution. Donner de l'argent et mettre notre logo n'a plus le même effet.» Pour maximiser le rendement des dons et des commandites, on a commencé à parler de rendement de l'investissement social. «Mais une entreprise ne peut pas trop pousser ce type de rendement, cela peut lui nuire en la faisant paraître trop gourmande», poursuit Simon Robert. Une autre voie émerge : lier son impact social à son métier.
Le courtier en fruits et légumes Courchesne Larose fait partie de ces entreprises qui cherchent à intégrer l'impact positif à leurs activités régulières. Ces organisations découvrent qu'elles ont plus de pouvoir qu'elles ne le croient pour contribuer à résoudre les grands enjeux sociaux et environnementaux. Et ce, sans vraiment changer leur mission. C'est cette découverte qui a mené Courchesne Larose à cocréer les Jus Loop, pour lutter contre le gaspillage alimentaire.
«Le gaspillage alimentaire fait partie de notre secteur depuis des décennies, dit Frédéric Monette, vice-président aux opérations. Faute de solutions de rechange, nos aliments invendus sont envoyés à l'enfouissement. Même les banques alimentaires ne peuvent pas les absorber. Il s'agit de trop grandes quantités du même aliment à la fois.» Courchesne Larose a exploré le marché des aliments pour bébés afin de valoriser ses invendus en les transformant pour stopper le processus de détérioration. Ce marché n'est pas assez important au Québec. L'idée est mise en veilleuse.
N'empêche, ce gaspillage dérange de plus en plus Frédéric Monette. Il retourne la situation dans sa tête. Peut-être des jus ? En février 2015, il en parle à son entraîneur personnel... qui coache aussi David Côté, le cofondateur des boissons kombucha Rise. Un an et demi plus tard naissent les jus pressés à froid Loop, une coentreprise dont Courchesne Larose est actionnaire à 50 %. L'autre moitié appartient à David Côté et Julie Poitras Saulnier. Loop a un impact direct sur le gaspillage alimentaire de fruits. Cependant, il y a un second niveau d'impact dont Frédéric Monette commence à peine à mesurer la portée. «Maintenant que nous avons démontré que c'est possible, on nous propose toutes sortes de produits à partir des stocks alimentaires invendus : des soupes, des pâtés, confie l'entrepreneur. Je ne pensais pas que ça arriverait si vite. On ne peut pas tout accepter, mais on écoute toutes les propositions. Et si on pouvait inspirer d'autres industries, celle de la viande par exemple, à faire de même, ce serait génial.»
Tima Gros, cofondatrice d’Impak Finance.
Des outils pour garder le cap
C'est ce que Christine Babkine nomme l'impact d'influence. «Nous pouvons influencer nos partenaires d'affaires tout comme ceux-ci peuvent nous faire avancer, dit-elle. Parfois, cela se fait rapidement, parfois, il faut du temps. Cela dépend du degré de maturité de l'individu ou de l'entreprise, du moment et du contexte.»
«Ultimement, tous les entrepreneurs veulent générer un impact positif, souligne l'éditeur Nicolas Langelier, fondateur d'Atelier 10 qui produit, entre autres, le magazine Nouveau Projet. Nous souhaitons que notre travail serve à la société. Ce n'est pas toujours formulé aussi clairement. Mais on sent une évolution de la prise de conscience citoyenne vers une prise de conscience d'entreprise. Les individus migrent vers moins d'individualisme. Les entreprises aussi.»
Il faut toutefois être déterminé. Le défi est de taille. «Certaines formes juridiques, les coopératives et les OBNL par exemple, sont traditionnellement associées à l'impact positif, poursuit Nicolas Langelier. Cela fait partie de leur ADN. L'entrepreneur qui opte pour une entreprise à but lucratif, parce que cette structure lui ressemble davantage, doit travailler plus fort. Il faut injecter l'impact positif dans l'ADN. Chaque jour, devant chaque décision, il faut nous interroger, garder le cap, nous rappeler nos valeurs.»
Il existe des outils pour se donner un coup de main. La certification B Corp, par exemple. Délivrée par l'organisme américain B Lab, celle-ci certifie que, dans sa prise de décision, une entreprise accorde autant d'importance aux facteurs sociaux et environnementaux qu'aux facteurs financiers. Cette certification doit être repassée tous les deux ans, et le questionnaire est bonifié chaque fois. «J'ai besoin d'une boussole, pour ne pas m'égarer, poursuit l'éditeur. J'ai testé la formule B Corp, elle me convient.»
Il est facile d'abandonner ses bonnes intentions. Par paresse, par exemple. Il est plus simple de choisir le premier fournisseur que l'on rencontre que d'effectuer des recherches pour en trouver une qui correspond à nos valeurs. Il y a le coût aussi. «Faire les choses correctement coûte souvent plus cher», reconnaît Nicolas Langelier.
« En employant le mot impact, on connecte les gens aux résultats. » – Christine Babkine, directrice de la RSE pour la société immobilière Ivanhoé Cambridge.
Qu'est-ce qui pourrait inciter les entreprises à se pencher davantage sur l'impact de leurs activités ? Les milléniaux et la gestion de risque, croit Christine Babkine. Les entreprises ne peuvent plus restreindre les actions porteuses de sens au seul service du développement durable, des dons et de la responsabilité sociale. Chaque employé a besoin de sentir que son entreprise a un impact positif sur la société et qu'il y contribue. Quant à la gestion de risque, elle préoccupe de plus en plus les actionnaires, donc les dirigeants et les administrateurs. «Il existe un lien très concret entre l'impact d'une entreprise et sa gestion de risque, souligne Christine Babkine. Les façons d'être et de faire du personnel et de la direction influencent le niveau de risque que présente l'organisation.»
Un autre risque guette les organisations qui ne se soucieront pas de leur impact, celui d'être marginalisées, parce que la tendance est mondiale. Mentionnons, par exemple, l'initiative Impact 2030 lancée à la suite du dévoilement des 17 objectifs de développement durable des Nations Unies, en août 2015. Impact 2030 est issue du secteur privé. Les organisations membres cherchent comment leurs employés pourraient contribuer concrètement à l'atteinte des objectifs sociaux et environnementaux des Nations Unies par des activités de bénévolat (dont le bénévolat de compétences, soit celui lié à leur expertise professionnelle). Et le Google Impact Challenge, lancé le 1er novembre par Google.org, la division philanthropique de l'entreprise. Dix organismes canadiens qui utilisent la technologie pour rendre le monde meilleur se partageront 5 M$.
Et qu'est-ce qui contribue au succès des démarches d'impact ? «Ça prend quelqu'un qui se met les deux mains dedans, répond Simon Robert, de Loto-Québec. Quelqu'un qui élabore une structure intégrant l'impact de façon concrète dans la planification et la gestion de projet de tous les services. Il faut aussi développer des outils de mesure et un processus de suivi.» Bref, si chacun des services de l'organisation n'est pas structuré pour que chaque employé prenne son impact en considération, l'impact ne sera porté que par le responsable de la RSE ou du développement durable.
L'impact s'encadre, renchérit Christine Babkine. «Plusieurs secteurs ont développé des normes internationales. En immobilier, par exemple, il existe le Global Real Estate Sustainability Benchmark. Ce sondage annuel ne demande pas : quelles actions à impact posez-vous ? Mais plutôt : quelle est votre politique pour encadrer vos actions à impact ?»
Comment expliquer le buzz autour de l'impact ? Ce terme reconnecte l'économie à la réalité, avance Tima Gros, d'Impak Finance. «On dit toujours que les entreprises contribuent à la société en créant des emplois. Examinons cette contribution sous l'angle de l'impact : quel type d'emplois sont créés ? À quel coût ? La montée du concept d'impact, et sa mesure, c'est une sorte de retour du gros bon sens dans l'économie.»
Simon Robert, directeur de la responsabilité sociétale chez Loto-Québec. [Photo : Photo : Sylviane Robini]
IMMMOBILIER D'IMPACT : LE CAS VIVACITÉ
Lac-Mégantic accueillera le premier parc immobilier québécois perpétuellement abordable. Il sera composé de 40 propriétés. Chaque habitation sera détenue par son propriétaire et par la société immobilière solidaire Vivacité. Ce modèle se nomme la capitalisation partagée. Elle est pratiquée à Burlington, aux États-Unis, depuis 35 ans, et son plus célèbre partisan a été son ex-maire, Bernie Sanders. Vivacité investit le capital pour la mise de fonds (20 %). L'acheteur est responsable de l'hypothèque. Lorsqu'il est prêt à vendre, il communique avec Vivacité qui possède des listes d'acheteurs. Le propriétaire récupère 25 % de la plus-value de la propriété. Vivacité en conserve 75 %. Elle utilise une partie de cette somme pour financer la mise de fonds du prochain acheteur de la propriété. Le reste sert à verser des dividendes aux investisseurs (Vivacité aura un fonds), à financer les activités courantes de la société immobilière et à réinvestir dans d'autres unités. Si un propriétaire procède à des améliorations de sa propriété, il conserve 100 % de la plus-value issue de celles-ci. «Il existe déjà des programmes d'accès à la propriété, reconnaît Louise Hodder, présidente et responsable des opérations pour Vivacité. Mais leur impact positif ne se fait sentir que sur le premier acheteur. Les acheteurs suivants subissent la spirale de la spéculation. Vivacité modifie la donne en créant un bassin de propriétés perpétuellement abordables pour assurer une mixité des quartiers et permettre à la classe moyenne et aux jeunes d'accéder à une première propriété.»
DES AVOCATS ET UN OSTÉOPATHE D'IMPACT
L'ostéopathe Jean-Félix Perreault, de la Clinique Sera, et les avocats Ryan Hillier et Sophie Tremblay, du cabinet NOVAlex, ont tous les trois injecté de l'impact social à leur modèle d'entreprise. Ces entrepreneurs visent la même finalité : augmenter l'accessibilité de leurs services. La clinique Sera, de Rouyn, laisse à ses clients le choix de payer de 65 $ à 85 $ par traitement. Les paiements de plus de 65 $ défraient les patients à faible revenu du coût des traitements. Ces derniers sont référés par l'OBNL la Ressourcerie, avec qui Jean-Félix Perreault a noué un partenariat. Le cabinet montréalais NOVAlex, lui, a implanté le modèle 1 pour 1. Ainsi, pour chaque heure de travail rémunérée, les avocats de ce cabinet offrent une heure de consultation juridique bénévolement à des OBNL, des particuliers à faible revenu et des entreprises en démarrage.
TANYA WOODS ET RONALD JEAN-GILLES, RÉVÉLATEURS D'IMPACTS
Ronald Jean-Gilles est ingénieur et fondateur de Projets écosociaux, à Montréal. Tanya Woods est avocate et fondatrice de Kind Village, à Ottawa. Ils ne se sont jamais rencontrés. Pourtant, Projets écosociaux et Kind Village ont une mission similaire : aider les entreprises à augmenter leur impact positif intégré.
Deux types d'organisations approchent Ronald Jean-Gilles. Les PME qui ont atteint une certaine rentabilité et dont l'entrepreneur a la tête un peu plus libre pour réfléchir à la portée sociale de son entreprise. Et celles qui ont déjà une stratégie de responsabilité sociale d'entreprise (RSE) ou de développement durable et qui souhaitent y ajoute une composante. «À l'une comme à l'autre, je propose le partenariat social, explique l'ingénieur. Une approche qui consiste à sous-traiter certaines activités régulières d'une organisation à une entreprise d'économie sociale. Et ce, au même coût et avec le même degré de qualité.»
Projets écosociaux a développé une approche en trois volets. D'abord, elle noue des partenariats avec des entreprises d'économie sociale, comme Coforce, de ville d'Anjou, qui embauche de la main-d'oeuvre handicapée pour offrir des services d'entretien ménager, de logistique et des solutions de classement. Ensuite, le consultant passe en revue les étapes du processus de production de son client. Enfin, il détermine l'activité qui pourrait être sous-traitée.
Prenons le cas du fabricant de produits ménagers Baleco. La rencontre avec Ronald Jean-Gilles a révélé que cette PME de Montréal passe à côté d'occasions d'affaires parce que son personnel a beaucoup à faire et manque de temps pour emballer les pastilles pour lave-vaisselle qu'elle reçoit en vrac. Baleco pourrait vendre davantage de ce produit très populaire. C'est fait, depuis que le personnel de Coforce emballe les pastilles pour Baleco. Projets écosociaux tire ses revenus d'une redevance sur les contrats que les entreprises d'économie sociale décrochent. Les PME, elles, n'ont rien à débourser au consultant.
L'Ontarienne Tanya Woods, quant à elle, a lancé, à la fin de 2015, la certification «Kind business» pour les entreprises et «Kind professionnal» pour les individus. Pour l'instant, on trouve une centaine de membres sur la plateforme kindvillage.com. «J'ai mis trois ans de recherche avant de lancer la formule, raconte la jeune femme. Je voulais un processus léger, accessible à tous.» L'application se fait en ligne. L'adhésion coûte 100 $ par année. La certification est accordée pour un an, renouvelable si on respecte toujours les critères. On peut afficher le logo dans sa vitrine, sur ses produits, dans ses communications et sur son site.
«Nos membres sont souvent de très petites entreprises, comme cette propriétaire de salon de coiffure qui amasse les cheveux coupés pour qu'ils servent à absorber le pétrole, ou d'autres produits toxiques, lors des déversements. Ces entreprises ont souvent l'impression qu'elles sont trop petites pour contribuer socialement. Kind Village ouvre leurs horizons», raconte Tanya Woods.
Tanya Woods a mené sa carrière d'avocate dans le secteur des technologies et elle compte sur celles-ci pour déployer Kind Village. «Je veux créer une carte qui indique l'impact social des entreprises dans chaque communauté afin que l'on voie les besoins surcomblés et les besoins négligés.»
Kind Village cherche des investisseurs. Pour l'instant, une dizaine de professionnels y travaillent bénévolement, dont Tanya. L'avocate rêve du jour où elle pourra se consacrer à temps plein à son entreprise.
GARE AU SOCIOBLANCHIMENT
«Une entreprise peut bien accorder une valeur sociale à ses actions. Le vrai test consiste à se demander si ces actions ont une valeur aux yeux de la société», dit Jean-Philippe Shoiry, chef de la stratégie et du contenu pour l'agence de création de contenu Republik. L'impact se définit par rapport aux parties prenantes. Pour éviter le socioblanchiment, il faut repérer ces groupes et leurs influenceurs, et valider sa stratégie d'impact auprès de ceux-ci. «Alors seulement, on peut livrer une valeur sociale pertinente», dit Jean-Philippe Shoiry. Pour se soustraire au socioblanchiment, il ne faut pas précipiter les choses, estime Ronald Jean-Gilles, fondateur de Projets écosociaux qui conseille les entreprises dans leur démarche vers l'impact. «Il faut éviter les annonces si on n'a pas encore de projet. Ne pas employer de messages abstraits ni d'affirmations trop fortes, du genre "nos produits améliorent le sort de l'humanité". Et puis, on doit choisir avec soin le temps des verbes : savoir si nous parlons d'une action accomplie, planifiée ou désirée.» Il ajoute : «Il y a beaucoup de gris dans le socioblanchiment. Plusieurs entreprises sont animées de bonnes intentions, mais elles s'y prennent mal.»
Adhésion sociale ou acceptabilité sociale ?
Simon Robert est directeur de la responsabilité sociétale chez Loto-Québec. Auparavant, il travaillait chez Rio Tinto. Il a traversé, et connaît encore, son lot de controverses. De son expérience, il a tiré un modèle qui illustre l'équilibre délicat entre la gestion de l'image et la gestion de l'impact.
1. Impact positif + image négative = enjeu de communication
2. Impact négatif + image négative = campagne d'acceptabilité sociale
3. Impact négatif + image positive = gestion de risque
4. Impact positif + image positive = adhésion sociale
«Aucune entreprise n'occupe une position statique. La notion d'impact positif est mouvante. C'est une démarche qu'il faut constamment peaufiner», résume Simon Robert.