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Les organismes à but non lucratif (OBNL) ont toujours compté sur le soutien de leur communauté pour boucler leur budget. Le principe demeure, mais les méthodes pour exprimer son soutien financier évoluent. Voici trois nouvelles approches.
Événements P2P
«Une grande tendance qui fonctionne très bien présentement, ce sont les événements pair-à-pair [P2P]. Les individus touchés par une cause vont mobiliser leur entourage et se faire commanditer dans le cadre d'un défi», note Nathalie Boudreau, directrice générale de la Fondation Hôpital Charles-LeMoyne.
Mme Boudreau donne l'exemple du Grand Défoulement contre le cancer, qu'elle a mis sur pied avec son équipe alors qu'elle travaillait à la Fondation québécoise du cancer. «Nous avons décidé de prendre la rage que les gens éprouvent quand ils reçoivent un diagnostic et de la transformer en occasion de se défouler tout en collectant des fonds, résume-t-elle. Chacun choisit son activité - rafting, parachute, etc. -, l'organise, mobilise son entourage, se fait commanditer selon l'objectif qu'il se fixe. Tout ce que fait la fondation, c'est de créer le buzz en publicisant l'événement et en développant l'image de marque.»
Si la méthode a plusieurs avantages, dont le développement du bassin de donateurs potentiels et la notoriété accrue, elle comporte un certain risque pour les organisations, qui doivent arriver à créer l'événement qui va plaire et dont le côté original va mobiliser suffisamment de personnes.
Certains OBNL ont également la chance de compter sur ce que Mme Boudreau nomme des initiatives communautaires. «Des gens décident d'organiser eux-mêmes des évènements, puis de nous remettre les fonds, explique-t-elle. C'est étonnamment lucratif et ça ne coûte rien à l'organisme, sauf un peu d'accompagnement et le temps de participer aux événements.» Le tournoi de golf Omnium Marie-José Champagne a ainsi remis 256 000 $ depuis quatre ans à la Fondation Hôpital Charles-Lemoyne. La Fondation du cancer du sein du Québec a quant à elle reçu 650 000 $ en six ans de la part des Évènements Victoire, une série de soirées organisées par un groupe de femmes de la Rive-Sud de Montréal.
Obligations communautaires
Depuis l'automne, trois OBNL montréalais expérimentent une technique de financement encore méconnue : l'émission d'obligations communautaires. «L'organisme propose à sa communauté de soutien des titres de créances. Celle-ci va donc lui prêter une somme d'argent durant une période donnée en échange d'un rendement pour lui permettre de réaliser son projet», résume Vanessa Sorin, chargée de projet aux Territoires innovants en économie sociale et solidaire (TIESS), qui accompagne ces projets. «L'article 3 de la Loi sur les valeurs mobilières dispense les OBNL de produire un prospectus et de s'inscrire comme courtier. Ça enlève une lourdeur et un coût faramineux aux organismes.»
Le Cinéma du Parc, qui cherchait à compléter le montage financier de sa deuxième phase de rénovations, a tenté le coup. «J'aurais très bien pu aller frapper à la porte d'un banquier et emprunter, admet son pdg, Mario Fortin. Mais c'était une façon pour nous de dire aux 175 000 personnes qui viennent voir des films chaque année qu'elles pourraient nous donner ce coup de main, à des conditions bien meilleures qu'un banquier.» La valeur des obligations est fixée à 500 $, avec une échéance de 5 ans et un rendement de 2 %. Elles ne sont pas rachetables avant terme, mais peuvent être transférées après trois ans, et ce sont des créances de dernier rang.
Les cinéphiles ont répondu à l'appel. «Cela a été un grand succès, se réjouit Mario Fortin. À quelques jours de la fin de la campagne, le conseil d'administration a accepté d'augmenter le nombre d'obligations, parce que l'argent entrait trop rapidement. Le 31 janvier, nous avons atteint 148 500 $ avec 145 personnes.»
Les deux autres projets pilotes, le Grand Costumier et le Bâtiment 7, ont aussi rempli leur objectif. «Quelques balises sont nécessaires, rappelle Mme Sorin. Une communauté de soutien prête à embarquer, un organisme qui inspire confiance et qui est capable de transmettre les informations sur son projet, et une structure financière solide qui lui permettra de rembourser sa dette.»
Sans oublier les ressources humaines pour renseigner les investisseurs et gérer leurs prêts. «Nous avions sous-estimé la quantité de travail de suivi que ça pouvait représenter, admet M. Fortin. Répondre à toutes les questions et traiter tous les formulaires, c'est beaucoup d'ouvrage !» Cette tâche sera bientôt facilitée par le guide explicatif et la trousse d'outils que prépare le TIESS à l'intention des OBNL, dont un certain nombre a déjà manifesté son intérêt. «Nous espérons que la trousse - qui contiendra les gabarits des principaux documents et qui sera accessible en ligne - sera prête cet été», précise Mme Sorin.
De son côté, le Cinéma du Parc travaille à s'assurer qu'il pourra rembourser ses investisseurs dans cinq ans. À court terme, le CA de cet OBNL qui gère aussi le Cinéma Beaubien jongle avec l'idée d'y retenter l'expérience. «Cela a bien fonctionné au Parc, alors nous essayons de déterminer comment le Beaubien pourrait en profiter», conclut Mario Fortin.
Régimes de retraite
Même si le rapprochement n'est pas instinctif, il semble que les OBNL en recherche de financement auraient tout intérêt à entrer en contact avec les gestionnaires des régimes de retraite, et inversement. «Nous avons défini un double besoin : celui du milieu de l'économie sociale d'accéder à des capitaux d'envergure et celui des régimes de retraite de diversifier leurs investissements, que ce soit pour des raisons financières ou pour répondre aux préoccupations grandissantes de leurs cotisants en matière de responsabilité sociale», explique Émilien Gruet, conseiller en transfert au TIESS. Ce dernier a entamé en décembre 2015 une synthèse des connaissances ainsi qu'une compilation d'expériences du genre au Canada et aux États-Unis.
L'objectif était d'encourager les acteurs du milieu à poursuivre une réflexion qui pourra éventuellement déboucher sur de nouveaux outils d'intermédiation. «Ce qui est ressorti de nos travaux est que le secteur où on a le plus de chance d'arriver à effectuer l'arrimage entre les deux besoins est l'habitation à visée sociale, résume M. Gruet. Quasiment toutes les expériences que nous avons recensées sont en lien avec l'immobilier, car celui-ci remplit les critères de temporalité moyenne ou longue, de faible risque et de gros volumes recherchés par les régimes de retraite.»
L'une des initiatives présentées consistait en des prêts hypothécaires indexés pour financer des coopératives d'habitation canadiennes. «Ils permettaient aux caisses de retraite de bénéficier d'un taux de rendement réel garanti et protégé des effets de l'inflation, tout en encourageant la naissance de nouvelles coopératives avec un financement qui réduisait les charges hypothécaires dans les premières années, qui sont souvent les plus difficiles.»
Dans le cadre d'un séminaire en mai dernier, le TIESS a présenté ses conclusions. «Maintenant, nous essayons de rester présents pour soutenir les acteurs du domaine, affirme Émilien Gruet. Les modes d'intermédiation n'ont pas encore été développés, mais certains y travaillent. Un quart de 1 % de plusieurs dizaines de milliards de dollars, ça fait énormément d'argent disponible !»