Je n'ai jamais rencontré d'entrepreneur digne de ce nom qui n'utilise pas les mots «rêve» ou «vision» avec des étoiles dans les yeux et une certaine surdose d'enthousiasme, lorsqu'il ou elle parle de son plan d'affaires. Cette catégorie de personne carbure à l'idée de construire quelque chose qui n'a jamais été fait ou d'emprunter un chemin inédit. Elle espère également, avec impatience, l'argent et la gloire qui découleront de ce pari audacieux. Ses atouts les plus précieux sont la créativité, le courage et un petit côté anticonformiste : elle a vu quelque chose que la grande majorité n'a pas su imaginer et a pris des risques que la grande majorité n'a jamais osé considérer.
L'ennui le plus important pour ce type d'entrepreneur, c'est que la créativité et l'anticonformisme ne sont d'aucun secours durant les longues années de mise en oeuvre d'un plan d'affaires. L'attente du succès est longue, pénible et implique des tâches répétitives qui sont à des années-lumière du concept de créativité. On demande essentiellement à ces personnes fonceuses et imaginatives de devenir des gestionnaires constants qui doivent soudainement minimiser les risques et gérer les processus. Cette transition est très pénible mais pourtant nécessaire, car seules la rigueur et la persévérance mèneront à la réussite du projet d'affaires. Il existe heureusement des manières de garder sa motivation et de rendre ce passage à vide moins pénible.
Se fixer des objectifs réalistes
Une première démarche pour compenser le spleen de l'entrepreneur devenu gestionnaire est évidemment d'aller chercher de l'aide, de recruter un nouveau collègue dont les intérêts et les champs de compétences sont opposés et complémentaires aux siens. A priori, l'entrepreneur peut avoir une certaine réticence à affecter son bottom line pour pallier à des tâches qu'il pourrait autrement faire lui-même. Toutefois, il doit calculer qu'il lui est bien plus profitable de développer l'entreprise que de gérer l'inépuisable et interminable «poutine» interne.
Une seconde technique éprouvée est de se fixer plusieurs objectifs des plus raisonnables possibles. Les entrepreneurs ont souvent un profil quelque peu hypomaniaque qui les amène à se fixer des objectifs démesurés dans des délais impossibles, ce qui, par la suite, leur laisse un sentiment d'échec, alors même que l'entreprise évolue dans la bonne direction. En se fixant plusieurs objectifs réalistes et atteignables et, surtout, en s'assurant de célébrer ces réussites, l'entrepreneur garde une vue d'ensemble positive sur la trajectoire de l'entreprise.
S'entourer d'entrepreneurs
Une autre technique classique consiste à s'entourer périodiquement d'autres entrepreneurs, pour discuter de stratégie bien sûr, mais surtout pour prendre conscience que plusieurs autres entrepreneurs à succès ont vécu exactement le même genre de défis ou de passages à vide. Compte tenu de la solitude qui peut parfois atteindre l'entrepreneur, un tel réseau ponctuel de discussion peut s'avérer très utile pour relativiser les choses et faire le plein de motivation.
Une autre stratégie, souvent négligée par plusieurs, consiste tout simplement à s'assurer d'avoir des sources de satisfaction à l'extérieur de la réalisation de son plan d'affaires. Les entrepreneurs sont souvent des tenants de la manière tout ou rien, ils s'investissent entièrement dans leur entreprise en négligeant tous les autres aspects de leur vie. Une telle façon de faire fonctionne bien dans le cadre d'un sprint, mais n'est pas viable dans le contexte d'un marathon comme celui de la quête de la réussite en affaires.
L'entrepreneur en panne sèche doit également envisager la formation continue pour rester motivé. L'apprentissage est une source de stimulation qui peut se révéler un excellent substitut à l'adrénaline ressentie lors du démarrage d'une entreprise. À défaut de faire croître son entreprise aussi rapidement qu'il le voudrait, l'entrepreneur peut veiller à croître sur le plan des connaissances et des compétences. L'apprentissage d'un nouveau sport ou d'une nouvelle discipline artistique fonctionne tout autant, l'important est d'apprendre quelque chose de stimulant.
Le mot persévérance est rarement mentionné lorsqu'il est question d'entrepreneuriat, parce qu'il s'agit d'un concept beaucoup moins glamour que le fait d'être visionnaire ; pourtant, il s'agit de la plus importante qualité pour un entrepreneur. Nul besoin d'une recette magique pour être persévérant ; il s'agit simplement d'améliorer au quotidien son niveau de motivation et de satisfaction par de petits gestes.
Biographie
Paul St-Pierre Plamondon est vice-président de Delegatus services juridiques, une firme de 25 avocats issus des grands cabinets, dont la mission est de servir le Québec inc. Il est chroniqueur politique. En 2007, il a cofondé l'organisme Génération d'idées, qui se donne pour mission d'intéresser les 20 à 35 ans au débat public.