«Le comité exécutif note que le professeur Winterkorn n'a pas eu connaissance de la manipulation des données sur les émissions. Le comité exécutif a un énorme respect pour sa volonté d'en assumer néanmoins la responsabilité et d'ainsi envoyer un signal fort tant à l'interne qu'à l'externe.»
Ces deux petites phrases sont extraites d'un communiqué de presse publié par Volkswagen (VW) le 23 septembre dernier. Donc, avant même que toute enquête, interne ou externe, n'ait été lancée sur le scandale du logiciel tricheur de VW. Ainsi, Martin Winterkorn, président démissionnaire du constructeur automobile, a dit au comité exécutif : «Je ne savais pas !» Et ce comité aurait accueilli cette affirmation comme une vérité, sans se donner la peine de vérifier ? Si c'est le cas, on a vu plus rigoureux comme gouvernance.
Victime, mais pas coupable
VW devra payer des milliards de dollars d'amendes, aux États-Unis et ailleurs. Des millions de propriétaires de véhicules diesel construits par le groupe réclameront d'autres milliards de dollars en dommages et réparations. Mais VW est-elle «coupable» pour autant ?
Je ne crois pas. À la différence de la responsabilité, la culpabilité implique une intention. Une entreprise est incapable d'intention. La culpabilité ne repose pas sur les épaules de VW, mais sur celles de personnes en chair et en os.
Au moment d'écrire ces lignes, on sait que la «manipulation de données» a été réalisée grâce à un logiciel installé dans 11 millions de voitures d'au moins quatre marques du groupe (VW, Audi, Skoda, Seat), en Europe comme en Amérique. Le logiciel en question aurait été acquis de Bosch, qui affirme avoir averti VW du caractère illégal d'un usage autre qu'à des fins de tests internes. On sait surtout que la motivation derrière le délit était hautement stratégique : respecter les normes d'émission aux États-Unis et dans d'autres pays. Il est facile de déduire que la décision a été prise au niveau supérieur de la hiérarchie. Toute enquête qui n'entraînerait pas la sanction d'un ou de plusieurs cadres du sommet de la hiérarchie de VW serait d'emblée très suspecte.
Pourtant, l'entreprise comme telle est une victime. VW n'est pas une entité abstraite. Elle est le point de jonction de nombreuses parties prenantes, au premier chef les actionnaires sans contrôle (notamment Teachers et ses 900 000 actions), lesquels écoperont des factures et ont déjà vu la valeur de leur investissement fondre de 35 % en une semaine. VW, c'est aussi des centaines de milliers d'employés dans le monde, dont certains sont susceptibles d'être mis à pied pour peu que le scandale se répercute sur le rythme de vente (donc de production) des voitures de la marque. VW, c'est également des milliers de concessionnaires, inquiets des répercussions de ce scandale sur leurs ventes et leur réputation.
Quand une entreprise commet des délits aussi importants que celui que VW a commis pendant huit ans, il faut habituellement la conjonction de deux facteurs : d'une part, des personnes qui prennent des décisions de poser ou de faire poser ces gestes, soit un délit d'action ; d'autre part, une culture d'entreprise qui encourage de tels gestes, ou qui ne les décourage pas, soit un «délit de management». Même si Martin Winterkorn ignorait vraiment l'existence du logiciel coupable, il a au minimum commis un tel délit de management. Si les délits de management ne sont pas sanctionnés par la justice, les délits d'action peuvent l'être, et espérons qu'ils le soient en cette occurrence. En Allemagne, VW a porté plainte contre X. Et il y aura enquête judiciaire sur les événements qui ont mené au scandale. C'est à souhaiter que la volte-face des autorités, qui ont finalement décidé de ne pas enquêter spécifiquement sur M. Winterkorn, n'annonce pas que l'enquête sera bâclée.
Quoi qu'il en soit des procédures en Allemagne, les dirigeants de VW seront assurément inquiétés par les autorités américaines. Coïncidence, le 9 septembre dernier, la sous-procureure générale des États-Unis, Sally Q. Yates, expédiait justement à ses subordonnés une note de service de sept pages bien tassées portant sur «l'imputabilité individuelle des méfaits d'entreprises». Cette note enjoint au ministère de la Justice de ne pas se contenter d'établir la responsabilité des entreprises fautives, mais aussi de ne rien épargner pour repérer les personnes responsables et obtenir des sanctions contre elles. Aux États-Unis du moins, le «voile corporatif» est en voie de se déchirer. Selon toute vraisemblance, les autorités américaines travailleront à cette fin en étroite collaboration avec les autorités allemandes, comme elles l'ont fait avec les autorités suisses dans le cas des dirigeants de la FIFA.
Restaurer la culture
Le successeur de M. Winterkorn, Matthias Müller, doit rapidement relever des défis immenses : mettre en place des procédés (rappels, neutralisation ou élimination du logiciel fautif) qui rendront 11 millions de voitures dans le monde aussi conformes que possible aux normes environnementales ; obtenir l'assentiment des autorités de dizaines de pays quant à la validité de ces procédés ; négocier des règlements avec tous ceux qui réclameront des milliards à VW.
Mais plus fondamentalement encore, Matthias Müller doit s'attaquer à une culture qui a mené à des décisions aussi aberrantes que celle-là. Ce travail sera la moins visible de ses missions. Mais la plus importante.
Pendant plus de 20 ans, il a été président et chef de la direction de Rona. Sous sa gouverne, l'entreprise a connu une croissance soutenue et est devenue le plus important distributeur et détaillant de produits de quincaillerie, de rénovation et de jardinage du Canada. Après avoir accompagné un groupe d'entrepreneurs à l'École d'entrepreneurship de Beauce, Robert Dutton a décidé de se joindre à l'École des dirigeants de HEC Montréal à titre de professeur associé.