(Photo: Aditya Vyas pour Unsplash)
CLASSE D'ACTIFS. Le phénomène des sociétés d’acquisition à vocation spécifique (« Special Purpose Acquisition Company », ou SPAC) a pris de l’ampleur ces dernières années. Ces coquilles vides cherchent à fusionner avec des entreprises privées pour faciliter leur entrée en Bourse. Le jeu en vaut-il la chandelle ?
Placer notre argent auprès d’un dirigeant qui l’investira comme il l’entend, cela n’a rien de rassurant. C’est le pari optimiste que lancent les promoteurs des SPAC. « C’est comme si on payait un courtier immobilier pour nous magasiner un immeuble à revenus sans savoir ce qu’on achètera, ni dans quelle ville ou même quel prix on déboursera », illustre Maxime Dubé, gestionnaire de portefeuille à Claret. Si les SPAC existent depuis une trentaine d’années, leur popularité a véritablement explosé récemment. « Ces sociétés ont récolté plus d’argent en Bourse en 2020 que durant la dernière décennie », précise-t-il.
« Cette relance des appels publics à l’épargne par l’entremise des SPAC survient après une décennie où les rachats d’actions ont été en croissance, alors que les émissions d’actions se sont faites plus rares et que les marchés privés ont gagné en popularité », explique François Bourdon, associé directeur de la société montréalaise Sustainable Market Strategies et ancien chef des placements mondiaux à Fiera Capital.
De quoi s’agit-il exactement ? Une SPAC est une entreprise sans activité commerciale, d’où son surnom de coquille vide. Son unique but est de recueillir des fonds afin d’acquérir une société privée pour la faire entrer en Bourse. « Les plus grands gagnants d’une SPAC sont les fondateurs, également appelés promoteurs. Ils organisent l’entrée en Bourse et trouvent l’entreprise à acheter. En échange, ils obtiennent généralement 20% des actions de la SPAC, et ce, presque gratuitement. Et puisqu’ils n’ont presque pas injecté d’argent eux-mêmes, ils ont intérêt à prendre énormément de risques », souligne Maxime Dubé. Cela entraîne un effet de dilution que sous-estime le petit investisseur qui en paie bien souvent le prix lorsqu’il achète la SPAC sur le marché secondaire (voir encadré).
Dans le cas d’un premier appel public à l’épargne traditionnel (PAPE, ou IPO en anglais), l’entreprise privée va vendre ou émettre de nouvelles actions, parfois avec l’aide d’un preneur ferme, afin de les inscrire à la Bourse. Dans une transaction impliquant une SPAC, la société ciblée va ouvrir son capital en fusionnant avec la coquille cotée en Bourse, soit la SPAC.
Un jumelage qui a fait couler beaucoup d’encre chez nous est la fusion de la SPAC Northern Genesis Acquisition et de Lion Électrique, un constructeur québécois d’autobus et de véhicules électriques. La transaction a permis d’amasser près d’un demi-milliard de dollars (G $) à la Bourse de New York. Soulignons qu’un processus d’achat par une SPAC est généralement de plus courte durée et également moins coûteux pour l’entreprise émettrice que pour un PAPE classique.
On mise par ailleurs sur la capacité du promoteur de la SPAC à dénicher une entreprise prometteuse grâce à son réseau de contacts et son expertise. « On va cibler des secteurs en vogue avec une croissance élevée, mais qui sont aussi difficiles à évaluer », remarque François Bourdon. Le secteur des nouvelles technologies, par exemple. Plusieurs de ces entreprises privées n’ont pas encore réalisé de ventes ou ne sont pas rentables.
Marché à prédominance américaine
De nombreuses célébrités américaines associent leur nom à des SPAC, contribuant à cet engouement. Pensons à des gens d’affaires comme le fondateur du groupe Virgin, Richard Branson, mais aussi à des athlètes tels que Shaquille O’Neal, Serena Williams, ou encore le rappeur Jay-Z.
Des histoires à succès alimentent également les conversations. Comme celle de l’ancien banquier Michael Klein, qui a utilisé une SPAC en 2019 pour introduire en Bourse la société de données Clarivate Analytics, récoltant au passage des dizaines de millions de dollars (M $) pour un investissement initial de 25 000 $.
Pourtant, plusieurs de ces promoteurs se retrouvent aujourd’hui sur la sellette. La société de Bill Ackman, Pershing Square Tontine Holdings, a été poursuivie en justice par un actionnaire. Cette SPAC, qui vaut quelque 4 G $, pourrait être démantelée.
En juillet dernier, le régulateur américain des valeurs mobilières (Securities and Exchange Commission, ou SEC) a porté plusieurs chefs d’accusation contre la SPAC de Brian Kabot (Stable Road Acquisition) et l’ex-PDG de l’entreprise de transport spatial Momentus, Mikhail Kokorich, concernant des affirmations mensongères à propos de leur technologie de propulsion.
La SEC a également publié, en mai, un bulletin explicatif sur les SPAC, soulignant l’importance pour les investisseurs de bien comprendre comment évaluer ce véhicule de placement, incluant les intérêts financiers et les motivations des promoteurs et des autres joueurs impliqués. « Dans ce genre de transaction, tout joue en faveur de l’investisseur institutionnel et non de l’acheteur ordinaire », croit François Bourdon.
Qu’en est-il des SPAC inscrites en Bourse au Canada? Mentionnons d’abord la petitesse de ce marché chez nous lorsqu’on le compare à celui des États-Unis. Selon des données de SPAC Analytics, on dénombrait l’an dernier 248 transactions ayant récolté plus de 83 G $ US aux États-Unis, alors qu’au Canada, un article de Bloomberg estime que 25 SPAC ont fait un appel public à l’épargne en 2020, récoltant au total 727,7 M $ CA. D’après l’AMF, les défis réglementaires soulevés par les SPAC américaines ne sont pas de même nature que chez nous. « Au Canada, ils portent sur la conformité à certaines obligations de la réglementation en valeurs mobilières. Par exemple, une SPAC a obtenu une dispense de certaines exigences liées aux états financiers qu’elle devait inclure dans son prospectus », souligne son conseiller stratégique aux affaires publiques et aux communications, Jean-Maurice Bouchard.
De plus, au moins 90 % des montants recueillis par une SPAC au Canada sont mis de côté dans des titres liquides ou à faible risque jusqu’à ce que l’acquisition d’une société privée soit finalisée. « Cette acquisition doit avoir lieu durant une période définie, généralement un maximum de trois ans. Si l’acquisition n’est pas finalisée au terme de cette période, au moins 90 % des fonds obtenus et des rendements qu’ils ont pu générer sont redistribués aux investisseurs », précise le porte-parole de l’AMF. Une SPAC au Canada doit réunir au minimum 30 M $, selon le site web de la Bourse de Toronto, alors que ce montant est habituellement d’au moins 100 M $ aux États-Unis.
Quant aux actions d’un SPAC, elles se négocient généralement à 10 $ ou moins lors de leur introduction en Bourse. Des bons de souscription y sont également attachés. Ils donnent le droit, et non l’obligation, d’acheter des titres supplémentaires de la société à un prix fixé d’avance et pour une période déterminée.
De plus, la valeur des actions de la SPAC peut fluctuer à la hausse avant l’achat de la société ciblée si les rumeurs sont favorables. Les investisseurs seront enfin appelés à voter afin d’approuver ou non le choix de la société que la SPAC souhaite acquérir.
Les investisseurs initiaux d’une SPAC, souvent des institutions ou des fonds spéculatifs, reçoivent des unités qui sont divisibles en actions et en bons de souscription. Certains vont spéculer sur une hausse du prix ou espérer qu’il y aura beaucoup de volatilité sur le titre après l’annonce d’une acquisition. « Ils ont alors l’option de vendre l’action et de garder seulement le bon de souscription, ce qui limite leur risque », explique Maxime Dubé. L’investisseur secondaire qui achète une action du SPAC une fois cotée en Bourse aura rarement accès au bon de souscription gratuitement : « Une transaction par l’entremise d’une SPAC peut être rentable si on réussit à acheter des actions de la coquille vide sous sa valeur liquidative, par exemple 10 $, et qu’une frénésie boursière survient à la suite de l’annonce d’une fusion », ajoute François Bourdon. On pourrait alors revendre le titre à profit.
Les rendements au rendez-vous?
À ce jour, la performance des SPAC n’a rien de spectaculaire, malgré quelques coups de circuit ici et là. « Il y a peu d’études sur le sujet vu le court historique de rendements des SPACS, mais selon la firme de recherche Renaissance Capital, en moyenne, la plupart de ces coquilles vides échouent à créer de la valeur pour les actionnaires », remarque Maxime Dubé. Les auteurs de l’étude ont analysé 313 SPAC entre janvier 2015 et l’automne 2020. Sur ce lot, seulement 93 ont acheté une entreprise et finalisé une introduction en Bourse. Ces transactions ont généré en moyenne une perte de 10 % et seules 29 de ces SPAC ont généré des rendements positifs.
Certains fonds négociés en Bourse (FNB) vont agir comme arbitragistes entre les SPAC et des titres visés par une fusion. C’est le cas du fonds Arbitrage Accelerate (ARB, 27,29 $), qui a connu du succès depuis son lancement en avril 2020. Ce FNB alternatif de Calgary acquiert des unités ou des actions de SPAC à la valeur liquidative ou en deçà de ce prix afin de dégager un rendement à la revente du titre lors de l’annonce d’une fusion par la SPAC, ou en demandant un remboursement à la valeur liquidative plus l’augmentation des intérêts avant le vote des actionnaires ou lors de la liquidation du SPAC. « Ça nécessite d’analyser chaque transaction des SPAC et demande une expertise, observe François Bourdon. Mais on n’améliore en rien le comportement ou la liquidité des marchés financiers. »
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L’effet de dilution mal compris
Le site d’information financière Morningstar mettait en garde, au printemps, l’investisseur de détail contre les risques des SPAC. On se référait en particulier à un article de la Harvard Law School Forum on Corporate Governance («A Sober look at SPAC»). Selon les chercheurs universitaires, l’investisseur sous-estime ou ne comprend pas bien l’effet de dilution de ces émissions. Bien que les SPAC émettent généralement des actions à un prix unitaire de 10$ et que ces titres sont égale- ment évalués au moment de la fusion ou de l’acquisition, la valeur médiane par action de ces SPACS, lorsqu’on considère les flux de trésorerie (liquidités), serait plutôt de l’ordre de 6,67$ par action. Le coût de dilution serait ainsi de 3,33$ par action. Ce coût résulte notamment de la compensation que se versent les promoteurs sous forme d’actions, ce qui équivaut à 20% environ de l’actionnariat postfusion. Ces frais de dilution sont donc assumés par les investisseurs, qui achètent les titres sur le marché secondaire à 10$ et se traduisent par les piètres rendements médians, souligne l’étude. Ainsi, trois mois suivant une fusion, on observe des rendements médians négatifs de 14,5% et ceux-ci sont bien pires après six mois (-23,8%) et un an (-65,3%), constatent les chercheurs. Morale de l’histoire? Investir dans une SPAC n’est pas une décision à prendre à la légère. On souhaite faire les vérifica- tions nécessaires en évaluant, par exemple, l’expertise des promoteurs, on veut mesurer l’effet de dilution potentielle, en plus d’effectuer un examen financier des entreprises candidates pour la fusion, conclut Morningstar.