IGA y est depuis 1996. Loblaw y pense, mais pas Metro. La vente en ligne d'épicerie, service pourtant offert par 50 % des chaînes en Amérique du Nord, selon eMarketer, tarde à percer au Québec et au Canada. Autrement dit, le marché reste à conquérir, et les raisons de s'y attaquer ne manquent pas.
La bataille des épiceries changera bientôt de terrain. Elle deviendra virtuelle, mais n'en sera pas moins féroce. Sur Internet comme en magasin, face aux enseignes québécoises et canadiennes se dressent les géants américains.
«Pour le moment, Wal-Mart et Amazon offrent seulement des produits courants [non périssables, depuis octobre], mais pourraient éventuellement bonifier leur offre avec des produits frais. Ces géants américains ont les moyens de s'offrir des solutions technologiques pour mieux cerner les besoins de leur clientèle et leur offrir des promotions personnalisées», souligne Guillaume Brunet, spécialiste en stratégie numérique et conférencier du plus récent congrès annuel du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD), tenu en mars.
Malgré cette menace sérieuse, on observe peu de mouvements de troupes de ce côté de la frontière. À l'exception d'IGA, qui expérimente la vente en ligne depuis 1996. Et qui pourrait bientôt en faire profiter l'ensemble des enseignes de Sobeys, sa société mère, dévoile Alain Dumas, directeur principal, affaires publiques de Sobeys Québec. «IGA documente son expérience en ligne afin de faciliter la tâche de toutes les enseignes de Sobeys, comme Safeway, Rachelle-Béry, Marché Bonichoix et Les marchés Tradition, lorsqu'elles voudront adopter le commerce électronique», dit-il. Actuellement selon lui, IGA et Thrifty Foods en Colombie-Britannique, deux propriétés de Sobeys, sont les principaux épiciers du pays à offrir la possibilité à leurs clients de passer leur commande en ligne. Ces ventes progressent en moyenne de 20 à 30 % par année chez IGA depuis le lancement et pourraient doubler d'ici trois ans, prévoit le gestionnaire. Il évalue la valeur des ventes en ligne de l'épicier à quelques centaines de milliers de dollars par semaine.
Toutefois, Alain Dumas reconnaît que l'épicerie en ligne reste une niche au Québec. «D'autres régions du monde ont des ventes en ligne beaucoup plus importantes que les nôtres. Cela s'explique de deux façons : la densité de la population et la difficulté de stationnement aux abords des commerces, problèmes qui n'existent pas ici.»
Le défi du service à la clientèle
Chez IGA, on constate qu'«en 1996, offrir l'épicerie en ligne représentait un défi technologique. Aujourd'hui, c'est devenu un défi de service à la clientèle.» Les épiciers qui adoptent le commerce en ligne doivent y mettre de l'énergie. Il ne s'agit pas d'installer des logiciels pour être prêt : «Il doit y avoir des employés chargés de la prise de commandes, de leur assemblage et de la coordination des livraisons. Il faut aussi respecter les normes d'emballage des produits», explique Alain Dumas.
«Sans vouloir être pessimiste, si les épiciers canadiens se lancent dans une guerre technologique avec des leaders comme Amazon et Walmart, le combat est perdu d'avance», juge de son côté M. Brunet, vice-président stratégies numériques et associé chez Substance Stratégies et Radiance Media, des agences offrant des services de stratégie et de visibilité numériques.
Selon lui, une possible stratégie à adopter serait de laisser Amazon s'occuper du volet technologique et de devenir un fournisseur de l'entreprise américaine lorsqu'elle décidera de bonifier son offre au Québec. «Une autre option est de desservir le marché des produits de luxe ou des paniers-cadeaux, qui offrent des marges plus élevées que les produits courants», dit-il.
Chez IGA, on voit l'épicerie en ligne comme une façon de rester pertinente pour la clientèle. «C'est ce qui fait la différence entre une entreprise qui a du succès et une qui n'en a pas. Pour nous, l'épicerie en ligne, c'est être à l'écoute de notre clientèle», affirme M. Dumas.
Chez Metro, on ne voit pas les choses de la même manière. L'épicier québécois mise plutôt sur un «écosystème» mobile pour stimuler les ventes en magasin. Depuis septembre, la société a lancé un site Internet revampé et une application mobile qui en est déjà à sa quatrième mise à jour, sans oublier le programme de fidélisation Metro&Moi, offert depuis 2010. «Nous avons développé une stratégie de personnalisation auprès de nos clients. Nous voulons leur simplifier la vie tout en les faisant économiser et en leur proposant des rabais personnalisés», explique la conseillère aux communications de Metro, Geneviève Grégoire, qui précise que le commerce électronique n'est pas sur la table à dessin pour le moment.
«L'épicerie en ligne ne fait pas partie de leurs demandes [d'après les études et les sondages effectués par la chaîne québécoise]. Toutefois, si la situation venait à changer, nous aurions le devoir d'être à l'écoute de nos clients», dit-elle.
Chez Loblaw, on se prépare au lancement d'un projet-pilote qui concernera trois établissements de la grande région de Toronto. Les clients pourront commander leur épicerie en ligne et aller récupérer leurs sacs en magasin.
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Un marché à fort potentiel
Le fondateur du salon eComMTL, Stéphane Ricoul, se demande pourquoi le Québec et le Canada tardent à prendre le virage de l'épicerie en ligne, alors qu'en Europe et aux États-Unis, on innove énormément dans le secteur.
M. Ricoul cite l'exemple du constructeur Volvo, qui a mis en place un prototype permettant aux clients de se faire livrer leur épicerie dans le coffre de leur voiture. Selon ce procédé, un message texte est envoyé au client lorsque sa commande est prête à être livrée, afin de connaître l'emplacement exact de la voiture. Lorsque le livreur s'approche du véhicule, Volvo génère une clé électronique valable une seule fois qui permet de déverrouiller le coffre. Une fois le travail terminé, il ne reste qu'à refermer le coffre et la clé électronique se désactive. «C'est absolument génial. Cela permet d'éliminer tous les problèmes de livraison», dit Stéphane Ricoul.
Dans un communiqué publié en février, le constructeur suédois affirmait que plus de 60 % des consommateurs ayant effectué leur épicerie en ligne avaient connu des problèmes de livraison en 2013, estimant que les premières livraisons ratées coûtaient globalement 1 milliard d'euros par année à l'économie mondiale.
M. Ricoul soutient que les épiciers ne veulent pas adapter leur modèle commercial à l'épicerie en ligne. «Quand on va chez IGA, il n'y a pas de place de stationnement ou de point de collecte réservés aux clients qui ont réalisé leurs achats en ligne, comme en Europe. Si on veut faire gagner du temps aux clients, il faut le faire jusqu'au bout», dit-il. Le site Internet de l'épicier précise que les clients désirant aller cueillir leurs emplettes en magasin doivent prévoir un délai de quatre heures suivant la conclusion de la transaction, comparativement à six heures pour une livraison à domicile.
IGA teste depuis janvier la stratégie du point de collecte dans son magasin de la Place Longueuil, ce qui permet aux cyberclients de faire livrer leur commande dans le coffre sans avoir à descendre de leur voiture.
Le coeur du commerce en ligne
«Ajouter une fonction de commerce électronique à un site Internet, c'est la pointe de l'iceberg. Avant tout, l'entreprise doit faire en sorte que la commande soit au coeur du modèle commercial. Par la suite, il faut entre autres lier la commande à la gestion des stocks, au service à la clientèle et au marketing», soutient Martin McNicoll, président d'ERP Guru, une entreprise montréalaise qui réalise tous ses revenus en ligne, dont 80 % sur le marché américain. ERP Guru conçoit des applications pour le progiciel de gestion intégré NetSuite, qui vient d'acheter le logiciel Retail Anywhere, lequel donne la possibilité aux détaillants d'avoir une stratégie de vente multicanal.
À son avis, un système centralisé permettra de recueillir un maximum de données sur chaque client, ce qui facilitera la mise en place d'une éventuelle stratégie de marketing personnalisée.
M. McNicoll, récent finaliste au prix PDG de l'année Investissement Québec, ajoute que le succès d'une stratégie de commerce en ligne repose aussi sur l'uniformisation de l'expérience client sur toutes les plateformes (téléphone intelligent, tablette ou ordinateur).
«Un autre élément primordial de satisfaction de la clientèle est le clavardage en direct», note Charles Desjardins, vice-président, ventes et marketing, chez Absolunet, une agence Web qui offre des solutions numériques. Celui-ci ajoute que les entreprises doivent s'assurer d'avoir suffisamment de ressources en place pour pouvoir répondre aux questions des clients en temps réel sur tous les canaux de communication, car ceux-ci désirent finaliser leur transaction rapidement.
M. Desjardins souligne également l'importance d'avoir une politique de gestion des retours cohérente et simple à comprendre pour ne pas rebuter la clientèle.
11 % - En ce qui concerne le panier d'épicerie, les ventes en ligne grugeront les ventes en magasin de 11 % d'ici 10 ans, une prévision jugée prudente.
Source : strategy&
26 % - La population serait prête à prendre le virage de l'épicerie en ligne : en 2012, 26 % des répondants d'une étude de Nielsen projetaient d'acheter des aliments et des boissons en ligne «au cours des trois à six prochains mois», comparativement à 18 % deux ans plus tôt.
Source : «How digital influences how we shop around the world», Nielsen, 2012 ; étude portant sur plus de 28 000 personnes originaires de 56 pays, dont le Canada.
4 % - En 2013, 4 % des cyberclients québécois ont acheté des produits dans la catégorie «épicerie et autres produits alimentaires». Plus généralement, 70 % des internautes québécois, dont 59 % des adultes, ont effectué au moins un achat en ligne cette année-là.
Source : CEFRIO ; échantillon de 454 répondants
17,8 % - Près de 18 % des internautes de 16 ans et plus ont acheté des aliments ou des boissons en ligne en 2012, par rapport à 10,8 % deux ans plus tôt. Ces chiffres comprennent toutefois les commandes de repas effectuées dans les restaurants.
Source : Statistique Canada
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