Qu'une entreprise vende du pain, des vêtements, des bijoux, du chocolat ou des livres, sa réussite en affaires relève de l'expérience client offerte aux consommateurs. Huit acteurs du commerce du détail ont accepté de discuter de leurs pratiques lors d'une table ronde organisée par Les Affaires, en collaboration avec Rogers, en octobre dernier. La discussion était animée par notre journaliste, Denis Lalonde.
Règle 1 - Savoir ce que l'on vend
Les entreprises peuvent déployer toutes sortes de stratégies pour mieux servir leurs clients. Mais elles doivent au préalable savoir ce qu'elles vendent. «Nos sondages le démontrent, on vend du bonheur. L'expérience client constitue, par conséquent, un enjeu primordial pour notre succès», dit Mathieu Trahan, directeur du marketing, Est du Canada, pour les librairies Chapters. Le livre, dit-il, est un objet très personnel. Il est au coeur d'une relation particulière avec le client. «Lorsqu'on développe un programme d'aide à l'achat, il est important qu'on l'établisse en toute crédibilité. Le client doit s'y reconnaître», dit-il.
Même réalité chez Chocolats Favoris, où la copropriétaire de l'entreprise, Virginie Faucher, vient d'être nommée au nouveau poste de vice-présidente, expérience client. «Après seulement quatre ans d'existence, l'entreprise compte déjà 13 boutiques. On ne peut pas banaliser l'expérience client par un simple document à remettre à tous nos gérants. Cela nécessite des rencontres, des visites régulières de notre part.»
«En fait, peu importe la nature de nos produits, chacun de nous vend de l'émotion», enchaîne Richard Caron, vice-président, marketing, de la chaîne Aubainerie. D'où l'importance de valoriser le consommateur, poursuit le marchand de vêtements. «Toutefois, la tâche n'est pas facile. On fait face à une concurrence de plus en plus internationale qui dispose de technologies multimédias dans ses boutiques. Cela nous pousse aussi à innover et à réaliser des investissements qui s'annoncent exponentiels au cours des prochaines années», mentionne-t-il.
Penser au client, c'est essentiel, mais il ne faut cependant pas oublier le soutien au personnel. «Une caissière de mauvaise humeur qui ne porte pas attention au client finit par nuire au meilleur des plans marketing et des stratégies qu'on élabore», rappelle M. Caron.
Règle 2 - Privilégier l'attitude au moment de l'embauche
Connaître le produit, c'est bien. Accueillir le client avec le sourire, c'est encore mieux. Chez FGL Sports (Sports Experts, Atmosphère), on a compris ce principe depuis cinq ans. «Il fut un temps où l'on recrutait nos employés essentiellement en fonction de leurs connaissances sur la pratique d'un sport ou d'une activité de plein air. On s'est rendu compte qu'il fallait changer de formule», explique Jean-Stéphane Tremblay, vice-président exécutif chez FGL Sports, une filiale de Canadian Tire.
«L'attitude de nos vendeurs est beaucoup plus importante que leurs connaissances, poursuit-il. Nous voulons des gens qui aiment le monde. Cependant, cette bonne attitude ne s'inculque pas ; la connaissance des produits, oui.»
L'entreprise, qui regroupe quelque 3 000 vendeurs et commis partout au pays, dispose d'une académie afin de former son personnel. Une méthode, ajoute M. Tremblay, qui contribue aussi à la fidélisation de la main-d'oeuvre.
Pour Tristan, en revanche, à la fois manufacturier et commerçant de détail de vêtements, la connaissance du produit par le personnel reste essentielle. «C'est ce qui nous distingue de la concurrence. Non seulement nos employés doivent être en mesure de bien connaître nos vêtements, mais ils se doivent de bien saisir tous les efforts que nous mettons à les produire», indique Lili Fortin, directrice du développement des affaires.
Nathalie Nasseri, Bleu Lavande. [Photo : Christian Blais]
Établir des critères d'embauche pour le personnel de vente n'est pas donné à toutes les entreprises. Bleu Lavande, qui commercialise des produits de soins corporels et d'ambiance à base de lavande, peut en témoigner : «Nous disposons de plus de 700 points de vente au Québec, principalement dans les pharmacies et les marchés d'alimentation. Toutefois, ce n'est pas nous qui embauchons le personnel. Ce sont ces établissements», précise Nathalie Nasseri, directrice générale de Bleu Lavande.
«Notre défi consiste donc à transmettre toute l'information concernant notre marque, notre historique, nos produits et leurs ingrédients à ces employés ayant un fort taux de roulement. Une tâche colossale», insiste Mme Nasseri.
Éric Champagne, Birks. [Photo : Christian Blais]
Règle 3 - Apprendre à mieux connaître sa clientèle
Chez Birks, où une journée moyenne se solde en général par huit transactions, connaître la clientèle revêt une très grande importance.
«Le cycle de vie de nos bijoux n'est pas l'affaire d'une saison ou d'une tendance. C'est l'affaire d'une série d'événements tels le baptême, la cérémonie de fin d'études, les fiançailles, le mariage, les anniversaires de mariage. Il est donc important de pouvoir récolter et conserver les dates de ces événements majeurs pour manifester notre présence en temps opportun», explique Éric Champagne, vice-président, technologie de l'information et innovation des processus.
«Néanmoins, nous sommes conscients que nos clients ne veulent pas être constamment dérangés par des infolettres et des courriels. Nous devons donc composer avec un énorme défi en matière de communication», ajoute-t-il.
Chez Chapters, on envoie aux consommateurs des infolettres ciblées en fonction de leurs choix de lecture. «On a tout avantage à marier des suggestions de produits avec le style de vie et les goûts de nos clients», indique Mathieu Trahan. À quoi sert, dit-il, d'envoyer des listes de livres d'horreur à un client qui manifestement préfère les histoires romantiques ? «Le consommateur qui se sent inondé d'informations a développé des techniques pour nous ignorer.»
Jean-Stéphane Tremblay, FGL Sports. [Photo : Christian Blais]
Règle 4 - Rendre la transaction agréable en boutique
Comment faire en sorte que les transactions en magasin deviennent des relations émotionnelles ?
«Au-delà de l'aspect mercantile, nous sommes dans une industrie où les gens rêvent de performer dans leurs activités. Nous avons donc commencé à installer dans nos boutiques des tableaux communautaires où les clients peuvent partager de l'information à propos de ligues sportives, de calendriers de courses à pied ou de conférences sportives», souligne Jean-Stéphane Tremblay.
La future boutique Sports Experts qui ouvrira sous peu au Carrefour Laval bénéficiera de technologies interactives dernier cri, dont l'implantation de puces dans toutes les chaussures présentées sur les étagères murales. En passant devant un capteur, le client pourra savoir instantanément quelles sont les grandeurs disponibles en stock.
La question des points de vente mobiles a également été soulevée par les participants. Une solution qu'analysent FGL Sports, Chapters et les bijouteries Birks. «Actuellement, une transaction peut prendre jusqu'à 40 minutes dans notre boutique du centre-ville. Plutôt que d'investir des milliers de dollars dans l'aménagement d'un poste de caissier, on est en train de considérer l'achat d'une douzaine de tablettes qui permettrait la réalisation des transactions à n'importe quel endroit dans la boutique», rapporte Éric Champagne.
Chez Première Moisson, on reconnaît que le temps d'attente aux caisses demeure un des principaux défis. «On sert 665 clients à l'heure du lunch au cours d'une journée normale à notre boutique du Marché Atwater. Les files d'attente sont impossibles à éviter», rapporte Manon Kirouac, directrice des communications chez Première Moisson.
Manon Kirouac, Première Moisson. [Photo : Christian Blais]
L'entreprise, qui compte 22 boutiques, travaille à améliorer la perception de l'attente. «À l'approche des fêtes, une période très achalandée, on ajoutera du personnel mobile qui offrira des dégustations comme dans un cocktail dînatoire», explique Mme Kirouac.
Depuis la fin d'octobre, Première Moisson a également instauré un microsite qui permet de commander en ligne avant d'aller chercher ses produits en magasin. «On l'a essayé au printemps dernier. L'initiative a bien fonctionné pour réduire le temps d'attente. Toutefois, comme il nous serait impossible de répondre aux demandes de façon instantanée, on fixe un délai minimum de 48 heures pour les commandes en ligne», poursuit Mme Kirouac.
Virginie Faucher, Chocolats Favoris. [Photo : Christian Blais]
Règle 5 - S'inspirer de la concurrence
Et si on allait voir ailleurs ? Pour Richard Caron, de la chaîne de magasins de vêtements Aubainerie, observer les bonnes pratiques de la concurrence reste un bon moyen d'améliorer l'expérience client.
«Chez mon ancien employeur, les Restaurants McDonald's, on avait l'habitude de réunir quelques gérants dans un autobus et d'aller voir ce qui se passait chez les concurrents. Je compte bientôt appliquer la même formule chez nous. En plus de donner des idées et de soulever des discussions, cet exercice permet de tisser des liens entre les marchands de la chaîne Aubainerie», soutient M. Caron.
Et qui dit observer les bonnes pratiques des autres dit aussi recruter du personnel au sein des entreprises qui excellent dans l'expérience client. «Deux de nos cadres proviennent de chez Starbucks», admet Virginie Faucher, de Chocolats Favoris.
Lili Fortin, Tristan. [Photo : Christian Blais]
Règle 6 - Savoir composer avec les médias sociaux
Plusieurs participants à la table ronde considèrent les médias sociaux comme un outil marketing extraordinaire. «Lorsqu'une maman fait circuler sur le web que l'huile de lavande est efficace pour se débarrasser des poux, on ne peut demander meilleure publicité pour notre marque. Et en plus, c'est gratuit», dit Nathalie Nasseri de Bleu Lavande.
Les librairies du groupe Chapters misent sur leurs événements-signatures pour augmenter leur visibilité sur les réseaux sociaux. L'industrie du livre, explique Mathieu Trahan, a la chance de compter sur une foule de vedettes pour organiser des séances-signatures avec photo en compagnie de l'auteur. «Lorsque l'acteur James Franco a été de passage dans notre boutique au centre-ville il y a deux ans, plus de 1000 adolescentes ont eu l'occasion de le rencontrer. Voir le nom de notre bannière circuler sur des milliers de pages Facebook, Instagram et des liens Twitter constitue un bon retour sur l'investissement», indique le représentant de Chapters.
Chez Chocolats Favoris, Facebook représente un allié essentiel pour la sélection des saveurs qui plaisent à la clientèle. «Notre page compte plus de 120 000 fans très actifs en suggestions et commentaires», dit Virginie Faucher. Certes, l'utilisation des médias sociaux par les consommateurs donne lieu à des situations cocasses. Récemment, un client, qui a été mal servi, s'est plaint sur Facebook en direct dans le magasin, plutôt que de demander au commis de corriger immédiatement son erreur. «Raison pour laquelle ça prend des gestionnnaires de contenus, présents en tout temps, afin de pouvoir réagir instantanément à ce type de commentaires», réplique Mathieu Trahan.