Agent de changement — Ouvrir le marché des crédits carbone aux particuliers pour financer des projets à impact environnemental. C'est la mission de la plateforme norvégienne Chooose, soutenue par Richard Branson.
Diane Bérard - Comment le chef du contentieux de la division norvégienne d'une société pétrolière russe, Lukoil, devient-il entrepreneur en développement durable ?
Andreas Slettvoll - Près de 40 % des exportations norvégiennes se composent de pétrole et de gaz naturel. Imaginez les citoyens que cette industrie emploie. Ce fut mon cas. Et lorsque j'ai quitté cette pétrolière pour travailler en cabinet, on ne m'a donné que des clients du secteur pétrolier. Un soir, au bar, avec des amis, on parlait climat. L'un d'eux a lancé : « Vous trouvez ça normal qu'on skie sur de la neige artificielle en Norvège ? » On en est rendus là.
D.B. - Le modèle d'affaires Chooose repose sur deux constats, lesquels ?
A.S. - L'enjeu climatique souffre d'un problème d'image auprès de la population. On répète : « Ne faites pas ceci ou cela. » Faire la morale ne suscite pas l'engagement. Le second constat est que les entreprises, elles, ont un outil d'engagement positif : les crédits carbone. Et si on permettait aux citoyens d'y avoir accès aussi ?
D.B. - Pourquoi Richard Branson vous a-t-il reçu sur son île privée ?
A.S. - Chooose a remporté le prix de la start-up nordique dans le cadre de l'Extreme Tech Challenge coorganisé par Richard Branson. Le prix était une rencontre privée avec lui pour discuter des projets d'avenir de notre organisation. Il s'est engagé à nous ouvrir des portes pour faciliter notre expansion internationale. Il juge notre modèle d'affaires simple et efficace pour créer de l'engagement par rapport au changement climatique.
D.B. - Avec Chooose, un individu peut donc compenser ses émissions de CO2 pour 9,99 $ US/mois...
A.S. - Chooose repose sur un modèle d'abonnement. Il existe plusieurs catégories. Pour 4,50 $ US/mois, vous compensez l'empreinte carbone moyenne d'un terrien. Pour 9,99 $ US, vous compensez celle spécifique à un habitant de votre pays. Pour 19,98 $ US vous en compensez le double et pour 39,90 $ vous multipliez la réduction par quatre. Vous pouvez aussi débourser 49,50 $ US pour toute votre famille. Pour chaque abonnement, nous conservons 99 cents pour couvrir nos frais d'exploitation. Le reste de votre argent sert à acheter des crédits carbone. Nous les retirons du marché pour qu'ils ne soient pas achetés par des entreprises qui veulent compenser leur pollution. L'argent des souscripteurs de Chooose est plutôt investi dans des projets qui réduisent les émissions de CO2.
D.B. - Comment choisissez-vous les projets à impact environnemental positif financés par les abonnements à Chooose ?
A.S. - Nous les choisissons parmi la banque de South Pole, qui propose 700 projets vérifiés par les Nations Unies selon 17 objectifs de développement durable. South Pole vend à la fois les crédits carbone et investit l'argent dans des projets de réduction de CO2.
D.B. - Vous n'êtes pas tout à fait satisfait de cette méthode de sélection. Expliquez-nous.
A.S. - Elle est perfectible. Le système actuel de crédits carbone exclut plusieurs types de projets, les plus petits, entre autres. Il nous faut donc trouver des organisations fiables pour vérifier les projets environnementaux dont les Nations Unies ne s'occupent pas. Toutefois, décentraliser la vérification comporte ses risques. Il faudra développer un système d'accréditation d'organisations qui nous fourniront l'information sur les projets à l'extérieur de radar. Mais cet enjeu ne nous arrête pas. On ne peut pas compter uniquement sur les institutions établies pour résoudre les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Elles ont des préoccupations politiques qu'on ne peut ignorer. Cela les empêche d'endosser certaines solutions. D'où la nécessité de solliciter aussi de nouveaux collaborateurs.
D.B. - Chooose propose des abonnements d'entreprises. En quoi cette formule consiste-t-elle ?
A.S. - Une entreprise peut offrir la compensation de l'empreinte carbone comme avantage social à ses employés. Elle peut aussi compenser l'empreinte d'un événement de sa communauté ou auquel elle participe. La banque Santander, par exemple, a rendu carbopositive l'empreinte carbone des 30 000 participants du tournoi de soccer Norway Cup. Le DJ norvégien Matoma a fait de même avec l'empreinte de sa tournée mondiale 2018.
D.B. - Votre modèle ne dédouane-t-il pas les entreprises et les particuliers ?
A.S. - Les entreprises qui achètent nos abonnements sont aussi celles qui posent des gestes concrets pour réduire leur empreinte. Et Chooose ne remplace pas les efforts des particuliers. C'est une solution temporaire pour les émissions inévitables pour l'instant. Mais ça demeure une solution de transition.