Nicolas Lesur a travaillé 15 ans dans le secteur de la finance. Aujourd'hui, il a migré vers l'univers du financement participatif. Il y a 16 mois, il a lancé la plateforme de prêts Unilend. L'entrepreneur français considère l'univers de la finance traditionnelle et celui du financement participatif comme complémentaires plutôt que concurrents.
Diane Bérard - En avril, le Québec autorisera le financement participatif en capital. La France l'autorise depuis octobre 2014. De quoi s'agit-il ?
Nicolas Lesur - L'Autorité des marchés financiers (AMF) française a créé le statut de «conseiller en investissement participatif» pour les plateformes qui permettent aux particuliers d'acheter des actions et des obligations en ligne. Ces plateformes, et les entreprises qu'on y trouve, doivent être autorisées par l'AMF et enregistrées auprès de celle-ci.
D.B. - Comme président de l'association Financement participatif France, quelles balises vous paraissent essentielles pour éviter les dérapages, en France comme au Québec, de ce secteur émergent ?
N.L. - Il importe de gérer les risques liés aux projets et ceux liés à la plateforme. Du côté des projets, il faut que l'information disponible en ligne soit précise et objective. L'investisseur doit connaître la situation financière passée et présente de l'entreprise dans laquelle il investit, ainsi que ses actifs et ses dettes. La plateforme, elle, doit démontrer qu'elle a séparé l'argent des investisseurs du sien. Elle ne doit en aucun cas pouvoir avoir accès aux sommes investies. En France, l'AMF exige que tous les paiements des investisseurs soient réalisés par l'intermédiaire d'un établissement de paiement régulé par la banque centrale.
D.B. - Au Québec, l'AMF imposera des plafonds par investisseur et par année sur ces plateformes. La France n'a en pas imposé. Pourquoi ?
N.L. - La France a choisi d'encadrer la plateforme plutôt que l'investisseur. Celle-ci doit s'assurer que le client ne met pas tous ses oeufs dans le même panier, qu'il diversifie ses investissements. Il n'est pas question d'imposer un investissement maximum ou un seuil de revenu minimum. Dès nos premiers échanges, le gouvernement français s'est montré très favorable au financement participatif. Il désire que celui-ci soit accessible à tous.
D.B. - Le financement participatif suppose généralement de petites sommes et des investisseurs moins aguerris. Comment ceux-ci sont-ils protégés ?
N.L. - Prenons l'exemple de la plateforme que j'ai lancée il y a 16 mois, Unilend. Celle-ci propose du financement participatif sous forme de prêts plutôt que d'actionnariat. Tout investisseur qui navigue sur notre plateforme a accès à un premier niveau d'information sur les entreprises et les projets pour lesquels elles sollicitent du financement. La suite des informations apparaît à l'investisseur de façon progressive à mesure qu'il s'enregistre, s'il se qualifie. Il doit divulguer des informations personnelles et présenter des pièces d'identité. Il doit aussi dévoiler l'origine des sommes qu'il investit ainsi que son patrimoine financier et remplir un questionnaire établissant ses connaissances de l'investissement. Des mises en garde relatives au risque d'investir lui seront aussi présentées. Dans les 48 heures, il saura s'il se qualifie. Quant aux plateformes, pour être enregistrées, elles doivent déposer à l'AMF un document de 200 à 300 pages détaillant leurs processus ainsi que toutes leurs mesures de sécurité.
D.B. - Où la responsabilité de plateformes comme Unilend débute-t-elle et s'arrête-t-elle ?
N.L. - Nous devons nous assurer que les entreprises qui s'affichent sur notre site sont bien réelles. Tout comme leurs projets. Et qu'elles seront en mesure de rembourser leurs prêts. Nous ne retenons que 3 % de tous les projets qui désirent s'afficher sur notre site. Tous les autres ne passent pas au travers de nos filtres. Du côté des prêteurs, nous nous assurons qu'ils sont légitimes, qu'ils ne sont pas engagés dans une opération de blanchiment d'argent, par exemple.
D.B. - Unilend a conclu une entente avec le groupe financier Groupama. De quoi s'agit-il ?
N.L. - Groupama est un assureur qui a ajouté des activités bancaires il y a 10 ans. Groupama pourra prêter jusqu'à 20 % sur chacun des projets proposés sur Unilend.
D.B. - Certains critiquent l'infiltration des banques sur les plateformes de financement participatif, estimant que c'est une dérive du concept. Que répondez-vous ?
N.L. - Il fallait s'attendre à ce que les institutions financières veulent y être. Leur métier change. Les institutions financières sont conscientes que des plateformes comme Unilend constituent une partie de l'avenir de leur industrie. Il revient aux acteurs du financement participatif d'encadrer la participation des institutions financières afin qu'elles n'écrasent pas les prêteurs individuels. Et, bien sûr, de nous assurer que les banques n'ont accès à aucune information privilégiée sur les projets d'investissement.
D.B. - Vous estimez même que la présence des banques sur ces plateformes profite aux investisseurs individuels. Expliquez-nous.
N.L. - En effet, n'oubliez pas que les investisseurs du financement participatif sont généralement peu expérimentés. Savoir qu'une banque s'intéresse au même projet de financement qu'eux peut les rassurer.
D.B. - Et que cette présence profite aussi aux entreprises qui sollicitent du financement sur ces plateformes...
N.L. - J'ai vécu deux krachs boursiers, celui de 2001 et celui de 2008. J'en ai retenu qu'en présence d'un choc, tous les investisseurs ne se comportent pas de la même façon. Certains s'accrochent, d'autres partent. Pour limiter les dégâts, une entreprise a tout avantage à avoir plusieurs catégories d'investisseurs.
D.B. - Pourquoi les banques financent-elles ces projets sur les plateformes de financement participatif plutôt que par l'intermédiaire de leur propre réseau ?
N.L. - Les entreprises qui affichent des projets sur des plateformes comme la nôtre ne s'adresseraient pas au réseau financier traditionnel. Ces projets échappent donc aux banques, parce que le processus qu'elles imposent est trop lourd. Sur notre site, l'investissement est réuni en deux à trois semaines. Auprès des banques, il faudrait deux à trois mois. Les banques nouent donc des partenariats avec les plateformes pour récupérer des projets qui leur échappent.
D.B. - Qui sont les prêteurs de votre plateforme ?
N.L. - Unilend a 4 000 prêteurs qui ont financé 115 entreprises. La moitié d'entre eux ont moins de 40 ans et les trois quarts, moins de 50 ans. Ils prêtent, en moyenne, 300 euros (environ 400 $) par projet. Cette formule, simple et souple, s'inscrit dans le comportement des investisseurs plus jeunes.
D.B. - Unilend était la seule plateforme de prêt participatif il y a 16 mois. Aujourd'hui, en France, une dizaine d'entre ellesattendent leur enregistrement. Quelle est la prochaine étape ?
N.L. - Dans notre secteur, le succès exige une masse critique. Il faut suffisamment de projets pour attirer des investisseurs et vice versa. Nous amorçons une phase de multiplication des acteurs qui sera suivie d'une consolidation. Seules quelques plateformes resteront. Et ce seront des acteurs européens plutôt que nationaux. Depuis un an, la Commission européenne mène des consultations afin de définir un cadre européen pour le financement participatif.