Alors que l'entrepreneuriat décline, que le nombre d'entreprises de taille moyenne chute, que la création d'emplois stagne, la ministre québécoise Élaine Zakaïb part à la chasse aux gazelles, ces PME considérées comme les plus prometteuses du Québec.
Son objectif : constituer un club de 300 entreprises, déjà considérées comme des championnes de la croissance, à qui le gouvernement du Québec réservera un traitement VIP pour leur permettre d'atteindre au plus vite leur plein potentiel de croissance.
«Nous voulons les aider à connaître une croissance rapide, les mettre sur une fast track [voie rapide] qui leur permettra, espère-t-on, de devenir nos Bombardier de demain», a résumé la ministre déléguée à la Politique industrielle et à la Banque de développement économique du Québec, au cours d'une entrevue exclusive avec Les Affaires.
C'est que le tissu économique du Québec, comme celui d'autres pays industrialisés, se compose essentiellement de petites et de moyennes entreprises. Seulement 4 % des quelque 220 000 entreprises que compte la province emploient de 50 à 249 personnes, et moins de 1 % seulement dépassent le cap des 250 employés.
Si le Québec est riche en petites entreprises, il demeure par contre pauvre en entreprises de taille moyenne, capables de maintenir, voire de dynamiser, le tissu industriel du Québec. On déplore en outre une trop faible productivité, des investissements insuffisants en matière d'équipement de production et un niveau d'exportation trop faible. Une situation que le gouvernement du Québec veut changer.
D'où sa décision de se tourner vers les gazelles, ces entreprises aux dents longues, reconnues pour leur capacité à courir et à sauter plus haut que les autres. Les études, de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) notamment, tendent à démontrer que, malgré leur faible nombre (10 % de l'ensemble des entreprises), les membres de ce club d'élite sont responsables bon an mal an de 40 à 70 % des emplois créés.
Le pari de la croissance
Le gouvernement Marois fait le pari qu'en repérant ces entreprises et qu'en leur offrant un accompagnement personnalisé, elles parviendront à accroître leur taille, à s'imposer sur la scène nationale ou internationale et à devenir des donneurs d'ordres, pas seulement des exécutants, susceptibles d'entraîner dans leur sillage des dizaines d'entreprises de toutes les régions du Québec.
Pour y parvenir, en s'inspirant de son projet de Banque de développement économique du Québec, la ministre Zakaïb s'apprête à mettre à leur disposition un tout nouvel écosystème de service aux entreprises, où des fonctionnaires du ministère des Finances et de l'Économie du Québec, les Centres locaux de développement (CLD) et Investissement Québec travailleront ensemble pour faire aboutir les projets des 300 gazelles.
«Chaque entreprise se verra assigner un chargé de projet, un porteur de ballon, qui aura comme unique mandat de faire en sorte que ses projets se réalisent, promet la ministre. L'appareil de l'État se simplifie, mais il reste complexe pour quiconque, en particulier pour les entrepreneurs, nos créateurs d'emplois.»
Finie, donc, promet la ministre, la course à l'obtention de permis, aux changements de zonage, à la recherche de prêts ou de subventions aux entreprises qui ont trop souvent pour effet de ralentir, sinon de décourager l'élan des dirigeants d'entreprises performantes. «On croit que les fonctionnaires de carrière, qui connaissent bien le fonctionnement de l'État, seront les mieux placés pour faire aboutir les choses.»
Les entreprises profiteront également de l'aide de spécialistes pour définir avec elles un plan de développement qui devrait s'étaler sur trois ans, au minimum. Des formations sur mesure de l'École d'entrepreneurship de Beauce ainsi que des services de veille et d'aide aux acquisitions d'entreprises par Investissement Québec seront également offerts.
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Appel de candidatures
Avant toute chose, le gouvernement du Québec prévoit lancer d'ici la fin du mois un vaste appel de candidatures par Internet, au terme duquel il espère rapidement déceler quelque 300 entreprises à fort potentiel de croissance.
D'ici au lancement de la période de candidatures, les entrepreneurs qui souhaitent faire partie des 300 gazelles peuvent s'adresser à leur direction régionale du ministère des Finances et de l'Économie.
Les 300 gazelles seront sélectionnées par un «comité national d'experts» en fonction de quatre critères : le rayonnement, l'effort d'amélioration de la productivité, la performance financière et le dynamisme de l'entreprise, ainsi que sa capacité à soutenir la croissance. «Ce sera du sérieux ! Le processus d'inscription ne prendra pas 10 minutes, prévient la ministre Zakaïb. Les données financières que nous fourniront les entreprises seront examinées de près. Et pour nous, le passé sera garant de l'avenir... Il faut comprendre que ce que nous avons à offrir n'est pas un plan de redressement d'entreprise.»
Cela dit, le gouvernement peine encore à estimer les sommes que requerra cette initiative. Le directeur de cabinet de la ministre, Pierre Langlois, affirme que 30 millions de dollars sont prévus pour l'accompagnement des entreprises et que les mesures de financement qui suivront proviendront d'Investissement Québec ou de mesures comme le programme d'appui à l'innovation, visées par la Politique industrielle. La ministre, elle, se contente de rappeler le milliard de dollars promis pour la Politique industrielle. «Chose certaine, tranche-t-elle, il ne manquera pas d'argent pour les gazelles.»
La priorité sera accordée aux entreprises du secteur manufacturier. Mais le gouvernement ouvre quand même la porte aux entreprises de services. Pour l'heure, on prévoit que le quart (25 %) des 300 entreprises choisies pourrait faire partie de ce que les spécialistes qualifient de tertiaire moteur.
Généralement, une activité est considérée comme motrice lorsqu'elle exerce un effet d'entraînement sur une autre activité, comme les télécommunications, les services aux entreprises et les intermédiaires financiers.
Sélection apolitique
Officiellement, la sélection des entreprises sera également libre de toute pression politique, jure la ministre, qui a dirigé diverses instances du Fonds de solidarité FTQ pendant plus de 10 ans avant d'être élue députée de Richelieu en 2012. Ainsi, l'importance démographique de chacune des régions, leur taux de chômage ou encore l'allégeance politique de leur population ne devraient aucunement dicter ou influencer le choix des 300 gazelles.
«Soyons clairs, dit-elle. Ça ne donne rien d'appeler votre député [dans l'espoir de faire partie des happy few]. La politique n'aura aucune influence là-dedans.»
Cela dit, elle ajoute néanmoins souhaiter que le comité d'experts trouve le moyen de sélectionner au moins trois entreprises dans chacune des 17 régions du Québec, dont une par région si possible serait dirigée par une femme.
L'échéancier fixé paraît serré, ambitieux même. «Si tout se passe bien, la sélection des entreprises sera chose faite à Pâques [20 avril], ou à tout le moins avant la fin du mois d'avril», dit la ministre. Au moment d'écrire ces lignes, la composition du comité d'experts n'était pas encore établie.
À terme, le gouvernement souhaite que les 300 entreprises augmentent leur chiffre d'affaires de 20 % en moyenne sur cinq ans, que 6 atteignent un chiffre d'affaires de 200 M$ d'ici 2017 et que 20 y parviennent après 10 ans.
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Gazelle, souris et cie
On appelle gazelle ces entreprises qui ont l'habitude de doubler leur chiffre d'affaires et le nombre de leurs employés tous les cinq ans. Elles représentent moins de 10 % des entreprises, mais sont tout de même responsables de 40 à 70 % des nouveaux emplois. Pierre-André Julien, professeur à la retraite de l'UQTR et grand spécialiste du domaine, ajoute que le nom de gazelle a été attribué à ces entreprises afin de les distinguer des souris, firmes qui croissent peu et dont près de 50 % disparaissent dans les cinq ans suivant leur création. Finalement, il y a les éléphants, moins nombreuses encore, mais «dont plusieurs ne se développent qu'à coup de déductions fiscales et d'aides diverses de l'État».
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Répartition des entreprises selon leur taille au Québec
95,5 % Petites (1 à 50 employés)
3,7 % Moyennes (50 à 249 employés)
0,7 % Grandes (250 employés et plus)
Source : Ministère des Finances et de l'Économie, selon les critères définis par l'OCDE
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1 % - Pourcentage des entreprises de taille moyenne au Canada.
Source : Banque de développement du Canada, 2013
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- 17 % - La chute, en pourcentage, du nombre de moyennes entreprises au Canada, entre 2006 et 2010. Leur nombre a diminué de 9 370 à 7 814.
Source : Banque de développement du Canada, 2013
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20 % - Les gazelles ont la capacité de connaître une croissance moyenne de 20 % par année pendant cinq années consécutives.
Source : OCDE
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Critères de sélection des gazelles
- Rayonnement de l'entreprise
- Effort d'amélioration de la productivité
- Performance financière
- Dynamisme et capacité à soutenir la croissance
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