Les femmes ont encore du mal à se tailler une place dans les grandes chaînes d'approvisionnement. Cette réalité touche aussi d'autres acteurs minoritaires dans le milieu des affaires. Pour remédier à ce déséquilibre, diverses initiatives voient le jour.
«Ah ! Vous tombez sur mon sujet préféré !» Au bout du fil, Ruth Vachon, du Réseau des femmes d'affaires du Québec (RFAQ), a réellement à coeur l'accès des femmes aux chaînes d'approvisionnement. C'est même l'objectif numéro un du RFAQ, selon sa pdg.
Tandis que le nombre d'entreprises à propriété féminine est en pleine croissance, l'accès aux chaînes d'approvisionnement pour les femmes est un réel problème. Moins de 5 % des achats des grands acteurs commerciaux sont faits auprès d'entreprises qui appartiennent à des femmes. «Nos études indiquent même que c'est plutôt 1 %, mais c'est moins gênant de parler de moins de 5 %», lâche Ruth Vachon.
Aider les femmes au démarrage de leur entreprise ou à la recherche de financement, c'est bien, mais il faut des mesures concrètes pour leur permettre d'atteindre des marchés difficilement accessibles.
Aux États-Unis, par exemple, le gouvernement demande aux entreprises de s'approvisionner à hauteur de 5 % auprès de fournisseurs en position de minorité dans le monde des affaires : des entreprises détenues par des femmes, mais aussi par des personnes ayant un handicap, des vétérans, etc.
«Les entreprises qui ne le font pas ne seront pas pénalisées, mais celles qui le font seront avantagées fiscalement», explique Ruth Vachon.
Plusieurs entreprises américaines ont donc mis en place des programmes de diversification de leur approvisionnement. À titre d'exemple, Walmart a un programme intitulé Women's Economic Empowerment, et IBM, le Global Supplier Diversity and Supplier Connection.
Mais pour se faire connaître de ces grands groupes, les entreprises à propriété féminine (ou toute autre entreprise de groupe minoritaire) ont besoin de soutien.
Coup de pouce aux Québécoises
Au Québec, le RFAQ aide les entrepreneures d'ici à accéder à des marchés internationaux par l'intermédiaire de WEConnect International, un organisme mondial qui émet une certification aux entreprises à propriété féminine et qui inclut ces entreprises dans des banques de données pour les grandes chaînes d'approvisionnement.
Au Canada, aucune initiative gouvernementale n'a encore été mise en place afin d'encourager l'achat dans les entreprises appartenant à des femmes. Au Québec, le RFAQ travaille à ce que le Conseil du trésor accorde plus de points aux entreprises à propriété féminine, à compétences égales, dans ses appels d'offres. «C'est une idée bien reçue jusqu'à maintenant», estime la présidente du Réseau.
Pas du favoritisme
«Certaines entrepreneures sont réticentes à ce genre d'initiatives et ne voudraient pas être choisies comme fournisseur uniquement parce qu'elles sont des femmes, dit Ruth Vachon. Mais ce n'est pas du favoritisme ! Les femmes ont moins accès à certains marchés ; on veut leur ouvrir des portes.»
«Nous sommes en 2015, et 1 % des achats sont faits auprès d'entreprises à propriété féminine, ajoute-t-elle. Quand j'entends parler de réticences sur la "discrimination positive", j'ai envie de répondre qu'on en reparlera quand les entreprises détenues par des femmes représenteront 45 % des achats des chaînes d'approvisionnement.»
À compétences équivalentes entre un homme et une femme, de telles mesures ne font qu'encourager à choisir une entreprise à propriété féminine, affirme André Tchokogué, professeur agrégé au Département de gestion des opérations et de la logistique de HEC Montréal. «On n'exclut pas les hommes de la chaîne d'approvisionnement, on met l'accent sur les femmes. C'est un positionnement de dire qu'on a un intérêt particulier pour l'émancipation des femmes entrepreneures.»
Des bénéfices pour les grandes entreprises
Mais quels sont les avantages de ce genre de positionnement ? En présentation devant des entreprises susceptibles de diversifier leur approvisionnement, Ruth Vachon cite par exemple la baisse des coûts d'achats en raison de l'augmentation de la concurrence ou encore le reflet de la diversité des clients et des employés de l'entreprise même.
En apposant l'année dernière son logo Women Owned sur certains de ses produits, Walmart faisait le pari que des consommatrices seraient plus enclines à choisir un produit provenant d'une entreprise détenue par une femme.
L'amélioration de l'image de marque d'une chaîne n'est effectivement pas à négliger. «Du point de vue de l'image sociétale de l'entreprise, c'est très vendeur, croit le professeur Tchokogué. C'est une marque de commerce pour l'entreprise, d'une certaine façon.»
Bien qu'il n'existe aucune mesure au pays pour favoriser l'achat auprès des entreprises à propriété féminine, le gouvernement a mis en place la Stratégie d'approvisionnement auprès des entreprises autochtones, un groupe qui a aussi du mal à rejoindre les grandes chaînes. Les ministères et organismes fédéraux sont encouragés à participer à cette initiative.
Comme dans le cas du soutien à l'entrepreneuriat féminin, ce genre d'initiative peut avoir des effets plus larges que pour son public cible, croit André Tchokogué : «Les retombées sont intéressantes pour les autochtones ; mais si cela permet à leurs communautés de se développer, on a alors des retombées pour la société en général.»
L'accès à des chaînes spécialisées
Les femmes sont également ciblées dans certaines chaînes spécialisées, comme les chaînes d'approvisionnement éthiques, de plus en plus importantes, estime André Tchokogué. «Pour une marge bénéficiaire moindre, on choisit de miser sur du développement durable, local, et on souhaite que les partenaires de la chaîne soient bien rémunérés.»
L'organisme FEM International, établi à Montréal, a pour objectif l'accès des femmes entrepreneures à ces réseaux d'approvisionnement éthiques, principalement dans le textile.
Pour sa directrice Lis Suarez Visbal-Ensink, les milieux d'affaires éthiques offrent des occasions intéressantes pour les femmes. D'un point de vue opérationnel, on y trouve souvent une plus grande flexibilité, notamment en ce qui a trait à la conciliation travail-famille.
Et puisque le marché éthique est en expansion, Mme Suarez Visbal-Ensink y voit un avantage pour les femmes qui veulent s'y positionner. «Cette préoccupation éthique est de plus en plus forte dans les grandes entreprises, et les femmes peuvent en profiter pour pénétrer de nouveaux marchés.