L'accès au financement constitue un frein majeur à l'essor de l'entrepreneuriat des Premières Nations. «Il faut avoir les reins solides pour durer», souligne l'entrepreneur innu de Schefferville et copropriétaire de Construction Tshiuetin, Serge McKenzie.
Les Autochtones étant insaisissables sur le territoire des réserves, en vertu de la Loi sur les Indiens, les prêteurs sont réticents. Les aspirants entrepreneurs doivent se tourner vers des sociétés destinées aux Premières Nations, telles la Société de crédit commercial autochtone (SOCCA) ou la Corporation de développement économique montagnaise (CDEM), qui imposent des taux d'intérêt plus élevés pour pallier l'absence de garanties.
Pour Serge McKenzie, dont l'entreprise effectue des travaux de construction et de rénovation résidentiels et commerciaux depuis 2009, le cautionnement traditionnel, nécessaire au dépôt de soumissions, s'avère un obstacle supplémentaire. Le partenariat avec des entreprises allochtones permet de le contourner, mais là encore, cela entraîne un prix de soumission plus élevé et écarte souvent l'entreprise de l'appel d'offres.
«Il faut être créatif pour surmonter ce genre d'embûches, reconnaît le directeur général de la CDEM, Guillaume Vincent. En 25 ans, nous avons développé tout un éventail de produits pour aider les entrepreneurs autochtones : prêts temporaires, microcrédit, capital de risque en partenariat avec d'autres organismes comme Investissement Premières Nations du Québec.» L'an dernier, la CDEM a prêté près de 3 M$.
Certains misent sur l'exportation pour favoriser leur expansion. Les Algonquins de Kitigan Zibi, qui exploitent une érablière de 1 700 entailles près de Maniwaki, dans l'Outaouais, ont fait parvenir en avril plus d'une centaine de litres de sirop d'érable aux Maoris de la Nouvelle-Zélande. Leurs partenaires autochtones s'occuperont de la commercialisation. «Nous attendons de voir la réponse du marché néo-zélandais. Si cela fonctionne bien, nous songeons à percer d'autres marchés, dont l'Asie», dit le chef du conseil de bande, Gilbert Whiteduck.
Les secteurs dans lesquels les entrepreneurs autochtones peuvent investir restent toutefois limités, indique Guillaume Vincent. La technologie et la transformation sont bien souvent exclus pour ces collectivités, pour la plupart isolées des grands centres urbains. Certaines communautés misent sur des partenariats avec des entreprises non autochtones pour développer des filières. Le Groupe UMEK, par exemple, qui appartient majoritairement aux Innus de trois communautés de la Côte-Nord, exploite le crabe des neiges. Son usine de Sept-Îles embauche une cinquantaine de travailleurs, dont plus de la moitié sont autochtones, et transforme chaque année plus d'un million de livres de produits bruts.
Autre défi à l'expansion de l'entrepreneuriat autochtone : la fuite des cerveaux. Les jeunes qui décrochent un diplôme universitaire - 8,7 % de toute la population des Premières Nations du pays, selon Statistique Canada - sont peu nombreux à revenir travailler sur la réserve, les possibilités d'emplois y étant moins nombreuses qu'en ville. Lorsqu'une occasion d'affaires se présente, il n'y a donc pas assez de main-d'oeuvre qualifiée pour mener à bien le projet.
Cela ne veut pas dire que le développement des compétences soit inaccessible. La venue de projets miniers ou forestiers, par exemple, permet aux Autochtones de se familiariser avec la gestion d'une entreprise et de développer une culture de l'entrepreneuriat.