Les livres de Malcolm Gladwell deviennent tous des succès. Sa capacité à raconter des histoires accrocheuses et à en tirer des théories universelles plaît. Certains trouvent sa recette facile, mais ses fans en redemandent. Au début de mai, David et Goliath arrive dans les librairies québécoises.
Diane Bérard - Nous pensons connaître le récit de la bataille de David contre Goliath. Pourquoi dites-vous que nous nous trompons ?
Malcolm Gladwell - David était plus fort qu'il n'y paraît et Goliath, plus faible. Contrairement à la croyance populaire, la fronde était une arme redoutable. Rien à voir avec un jouet d'enfant. Les guerriers d'expérience s'en servaient régulièrement. David ne s'est donc pas présenté à cette bataille avec un tire-pois. Quant à Goliath, sa taille démesurée serait due à une maladie, l'acromégalie. Cette maladie aurait pour effet secondaire fréquent des troubles de la vue. Goliath aurait demandé à David de s'approcher de lui, non pas pour le défier, mais bien parce qu'il ne le voyait pas bien.
D.B. - Croyez-vous que la plupart d'entre nous s'identifient à David ?
M.G. - Probablement. Nous sommes conscients que le pouvoir n'est pas distribué également dans la société. Il est concentré.
D.B. - Possédons-nous tous ce qu'il faut pour triompher comme David ?
M.G. - Non. Tout le monde ne peut pas vaincre Goliath. Prenez les dyslexiques. Certains sont devenus des sportifs émérites, comme Tigers Woods, ou des entrepreneurs à succès, comme le fondateur d'Ikea. C'est la théorie de la «difficulté souhaitable». Tiger Woods et Ingvar Kamprad ont transformé leur handicap, la dyslexie, en avantage. Ce n'est pas donné à tous.
D.B. - Comment savoir si on possède ce qu'il faut pour vaincre Goliath lorsque nous le rencontrons ?
M.G. - Nous sommes peu doués pour prévoir nos émotions face à une situation donnée. Le courage vient lorsqu'on l'a affronté et découvert qu'elle s'avérait moins terrifiante que prévue.
D.B. - Qu'ont les David de ce monde en commun ?
M.G. - Ils ont compris que les armes intangibles triomphent généralement des armes tangibles. Le courage, la persévérance, la foi et l'expérience vous confèrent souvent le dernier mot.
D.B. - David a une autre arme, il sait être désagréable...
M.G. - En effet, la force de David tient aussi au fait qu'il n'a pas besoin de l'approbation des autres. C'est probablement parce qu'il n'a rien à perdre. On tire une grande force de ne rien avoir à perdre.
D.B. - David doit-il avoir connu l'adversité pour triompher de Goliath ?
M.G. - Non, mais les épreuves que nous traversons accélèrent notre courbe d'apprentissage. Vous n'avez pas besoin d'avoir perdu un parent pour devenir un politicien accompli. Mais la perte d'un parent vous force à développer certaines compétences plus tôt que la moyenne de vos congénères. Vous les maîtrisez donc mieux. L'expérience fait partie des armes intangibles qui confèrent un avantage aux David de ce monde.
D.B. - Pourquoi avons-nous besoin de survivants autour de nous ?
M.G. - Ils nous enseignent que l'adversité peut être surmontée. Ils sont allés là où nous avons peur de nous aventurer.
D.B. - Qu'est-ce que Lawrence d'Arabie peut apprendre aux David du monde des affaires ?
M.G. - L'armée de Lawrence d'Arabie était peu nombreuse et peu outillée. Elle a misé sur sa connaissance du terrain etla ruse pour gagner la bataille du port d'Aqaba. Plutôt que d'attaquer par la mer, comme les Turcs le prévoyaient, les hommes de Lawrence d'Arabie ont marché des kilomètres dans le désert. Une stratégie que personne n'aurait été assez fou pour déployer. Elle a valu une victoire à Lawrence d'Arabie.
D.B. - Et quelle leçon tirer de la stratégie marketing des peintres impressionnistes du 19e siècle ?
M.G. - Parfois, il vaut mieux être un gros poisson dans un petit étang qu'un petit poisson dans un grand étang. Au 19e siècle, pour connaître la célébrité, il fallait exposer ses toiles au «Salon», la plus importante exposition d'oeuvres d'art de l'Europe. Les oeuvres sélectionnées respectaient des règles précises d'exécution, que les impressionnistes ne respectaient pas. Après des discussions déchirantes, ces peintres ont choisi de créer leur propre exposition. Loin du Salon, ils ont bâti leur identité et exploré leur créativité. On attache beaucoup d'importance au fait d'être reconnu par les grandes institutions. Mais cette reconnaissance est-elle avantageuse pour nous ?
D.B. - Pourquoi n'est-il pas toujours avantageux pour un élève doué de s'inscrire dans les meilleures écoles ?
M.G. - Il a été démontré que notre position relative au sein de notre groupe de référence nous motive davantage à persévérer que notre position absolue au sein de la société. Imaginons un élève doué en science qui s'inscrit dans une école de surdoués. Ce fut le cas de Caroline Sacks. Dès le second semestre, elle traîne la patte. En deuxième année d'université, elle quitte la faculté, découragée de sa performance. Pourtant, Caroline Sacks adorait les sciences et demeure convaincue qu'elle y aurait fait carrière si elle n'avait pas visé l'université la plus réputée.
D.B. - En affaires, Goliath est toujours bien plus riche que David. Comment lutter contre le pouvoir de l'argent ?
M.G. - L'argent constitue un avantage à court terme.Mais pas nécessairement plus tard. Microsoft est l'une des sociétés les plus riches, mais est-ce la plus innovante ? Certaines ressources suivent une courbe en U : elles donnent l'avantage au début, moins par la suite. On verse dans le confort, on cesse d'innover.
La traduction de David et Goliath est publiée par Les Éditions Transcontinental, propriété de TC Media (propriétaire de Les Affaires), tandis que la version originale est publiée par Little, Brown and Company