À 10 h, ponctuel à l'entrevue, Alexandre Taillefer entre dans sa spacieuse cuisine où nous l'attendons en sirotant un espresso préparé par sa femme de ménage. En tenue de sport, il vient de terminer une séance d'entraînement, une série d'entretiens téléphoniques et trois heures de travail devant son ordinateur. C'est que M. Taillefer a une cause, l'électrification des transports, et qu'il en tire la motivation nécessaire pour faire un grand retour, lui qui depuis cinq ans se contentait d'investir dans les projets des autres.
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«Je suis persuadé que l'engagement social va sauver notre génération, lance M. Taillefer avec la ferveur du nouveau converti. Ce que je veux dire, c'est qu'on a la responsabilité de mesurer autre chose que le rendement de l'investissement d'un actionnaire.»
Les impacts sur l'environnement ou la culture par exemple. Ces enjeux suscitent l'engouement de M. Taillefer. Depuis deux ans, il boude la voiture au profit des transports en commun et du taxi. Quant à sa sensibilité pour la culture québécoise, elle n'est un secret pour personne. Collectionneur d'art moderne, l'homme d'affaires est président du conseil d'administration du Musée d'art contemporain de Montréal. Et c'est sans compter qu'il a investi récemment dans l'hebdomadaire culturel Voir.
M. Taillefer n'est pas le premier millionnaire à se découvrir une vocation pour les causes sociales. Ce qui le distingue, c'est qu'il n'est pas en train de lancer une fondation, mais une société privée, le projet de taxis électriques Taxelco, qu'il compte financer par l'intermédiaire d'investissements privés. Même si plusieurs s'attendent à ce qu'il se casse les dents, d'autres y croient et le financent. Il vient en effet de boucler le financement de son deuxième fonds, XPND 2, de 50 millions de dollars, qui devrait être consacré en grande partie à des projets d'électrification des transports, dont celui de Taxelco, évalué à 220 M$.
Le taxi
Toutefois, rien n'est gagné pour Taxelco. Sa réussite dépend beaucoup de la réponse policière à UberX ainsi que d'un éventuel assouplissement de la réglementation du secteur du taxi.
«Il va falloir que le gouvernement arrive avec une réponse aux 4 000 personnes qui ont emprunté 150 000 $ pour acheter un permis de taxi, car la Ville [de Montréal] leur a dit qu'ils en avaient besoin pour exploiter un service de transport», lance M. Taillefer. Sans surprise, il s'agit d'un commentaire intéressé. En effet, le rendement de son investissement dans Taxi Hochelaga - acquise en août par Taxelco - est intimement lié au sort d'UberX, qui offre un service de voiturage moins cher de 30 % que le tarif imposé par le Bureau du taxi.
Quant à la réglementation, Alexandre Taillefer a besoin qu'elle change, car il n'a jamais eu l'intention de se contenter de faire de la répartition. Dans les faits, il vise à posséder sa propre flotte de taxis électriques. Or, au Québec, il n'existe pas de grandes flottes de taxi comme à Toronto ou à New York, parce qu'un même propriétaire ne peut posséder plus de 20 permis de taxis ni louer des permis pour en faire la sous-location.
Or, l'entrepreneur dit avoir besoin d'une flotte d'au moins 1 500 taxis et autant de permis, qu'il compte louer auprès de propriétaires, pour que Taxelco soit rentable. Les taxis électriques de Taxelco seraient ensuite loués à des chauffeurs.
Rien ne dit que la réglementation du taxi sera modifiée de manière permanente pour accommoder Taxelco. Toutefois, Alexandre Taillefer dit avoir l'appui du ministre des Transports Robert Poëti pour lancer un projet-pilote, en novembre 2015, avec 50 taxis électriques. Le projet de loi 36 adopté par l'Assemblée nationale le 12 juin donne désormais au ministère des Transports la latitude nécessaire pour autoriser la tenue de projets-pilotes dans l'industrie du taxi.
La rentabilité du projet reste aussi à démontrer, puisque Taxelco devra générer une marge bénéficiaire beaucoup plus élevée que la norme de l'industrie sur chacun de ses taxis, puisque M. Taillefer promet plus d'argent aux propriétaires de permis et aux chauffeurs, tout en garantissant des rendements aux investisseurs de Taxelco.
Il croit être capable de générer des marges plus élevées en économisant sur l'essence, mais surtout, en s'assurant de mieux gérer la demande de taxis. Pour ce faire, il souhaite lancer une application mobile similaire à Uber, mais sur ce front, le répartiteur Taxi Diamond l'a déjà devancé.
L'homme d'affaires souhaite aussi baisser ses prix pour créer de la demande durant les périodes creuses ou pour créer des promotions, mais il rejette l'idée d'imiter UberX en haussant les prix en période achalandée. Pour avoir le droit de baisser les tarifs de ses taxis, il devra, une fois de plus, obtenir une modification de la réglementation.
De plus, M. Taillefer veut rehausser le service en se détournant de la pratique de l'industrie, selon laquelle les propriétaires louent leurs taxis à la semaine. Il planifie de louer ses taxis par courts blocs de 4, 8 ou 12 heures, jusqu'à un plafond de 60 heures par semaine. «Le problème, c'est qu'en louant les taxis à la semaine, l'industrie attire des gens qui ont 70 heures libres et qui n'ont pas de vie sociale», dit-il.
Martin-Luc Archambault, un collègue de l'émission Dans l'oeil du dragon, ne partage pas l'opinion de M. Taillefer sur UberX, mais reconnaît que son plan d'affaires est bien constitué. «Sur papier, les chiffres se tiennent, mais ça reste un pari politique, lance l'ange financier et entrepreneur. C'est pour ça que moi, je ne me lancerais pas dans ce projet, mais lui, il est capable de gérer des politiciens, et il a la patience nécessaire.»
L'autre obstacle au projet de M. Taillefer est l'autonomie de ses taxis électriques, dont la batterie devra subir le rude climat québécois. «À part la Tesla, disons que les tests que j'ai faits sur des voitures électriques n'étaient pas très concluants, soutient Jean Auger, un ami d'enfance d'Alexandre Taillefer, qui a testé des voitures électriques pour Taxelco. Cela dit, cela n'empêche pas de préparer un plan d'affaires en sachant que l'autonomie des véhicules électriques va augmenter.»
Entrepreneur depuis toujours
M. Taillefer n'a jamais attendu d'avoir tout réglé pour foncer. Pour lui, tout a commencé à 10 ans, lorsqu'il s'est mis à vendre des produits ménagers du catalogue Primes de luxe de Regal, une entreprise ontarienne dont le modèle s'apparente à celui de Tupperware. «J'achetais 100 catalogues, puis j'envoyais ça à mes tantes et à ma famille, je prenais les commandes et j'allais chercher le stock, raconte-t-il. Il fallait que j'achète les produits avant de me faire payer, alors c'est ma mère qui avançait l'argent.»
Jamais à court d'idées, le jeune Alexandre Taillefer brasse des affaires tout au long de sa scolarité. À 14 ans, alors qu'il fréquente le Collège Stanislas, à Montréal, il lance une discothèque mobile baptisée Klaxon. Peu après son entrée au Collège Jean-de-Brébeuf, il lance une marque t-shirts avec Jean Auger, un camarade d'un an son aîné rencontré dans un camp de vacances. Ce dernier y était moniteur, et Alexandre Taillefer, vacancier. Rapidement, les t-shirts griffés Witloof deviennent populaires sur le campus. «Quand j'apercevais des gens qui portaient nos t-shirts, c'était ça pour moi, la tape dans le dos, se souvient M. Taillefer. J'ai dû faire 4 000 ou 5 000 $ avec ce projet.»
Après Brébeuf, les deux amis partent chacun de leur côté. M. Taillefer étudie l'administration à l'Université du Québec à Montréal, installe des réseaux informatiques dans des entreprises et trouve le temps de s'inscrire en informatique à l'Université de Montréal. Trois semaines après le début de ses cours d'informatique, il abandonne, car il n'apprend rien. «Je suis resté suffisamment longtemps pour me rendre compte que je n'étais pas pire, évoque l'entrepreneur. Humblement, je n'étais pas un mauvais programmeur.»
Prise 1
Il décide alors de se lancer en affaires... une fois de plus. À nouveau avec Jean Auger, de retour de ses études en Europe. Les deux anciens camarades de Brébeuf s'associent dans le lancement d'une entreprise de multimédia. En 1993, l'aventure d'Intellia commence dans les bureaux du père de M. Taillefer, un assureur spécialisé dans le marché des productions de télé et de cinéma.
Alors que rares sont ceux qui connaissent Internet à l'époque, M. Taillefer en parle déjà comme de quelque chose qui va tout changer. Quoique visionnaire, il tarde à définir la mission d'Intellia, ce qui fait tiquer M. Auger. «J'ai vendu mes parts après 12 mois, car nous avions des divergences quant à l'approche, relate M. Auger. On était rendu à une dizaine d'employés, et moi j'aurais préféré avoir une stratégie avant d'aller de l'avant. Lui, il changeait de modèle d'affaires chaque jour, tandis que moi, je regardais le compte de banque.»
Intellia a beau tarder à se définir, l'entreprise connaît une belle croissance, notamment en raison du pouvoir de persuasion de M. Taillefer, qui réussit à vendre sa vision enthousiaste du potentiel d'Internet auprès du Québec inc. Au tournant des années 1990, Intellia surfe sur la fièvre techno qui s'empare du monde, et en 1998, elle passe dans le giron de Québecor, qui en deviendra l'actionnaire majoritaire. M. Taillefer demeure actionnaire et président de l'entreprise qui, au terme d'une série d'acquisitions, serait renommée Nurun. L'entreprise fait aujourd'hui partie de Publicis, qui a acquis Nurun pour 125 M$ en 2014.
Pendant que les acquisitions se succèdent, M. Taillefer voit des occasions d'affaires partout. Pour lui, la révolution de l'information est en cours et tout est à refaire. «J'arrivais au bureau, puis il me disait qu'il avait convaincu tel pdg de se lancer dans tel projet», évoque Martin Le Sauteur, directeur des opérations de Nurun/Intellia entre 1998 et 2001.
À l'époque, M. Le Sauteur s'occupait des choses terre-à-terre, tandis que M. Taillefer s'occupait de la stratégie, des acquisitions - de concert avec Pierre Karl Péladeau (PKP) - et de la vision d'entreprise. «C'est beau d'avoir une bonne idée, mais ça prend des gens pour livrer. La force d'Alex, c'est qu'il a toujours su s'entourer des bonnes personnes pour livrer la marchandise.»
Alexandre Taillefer fait partie des jeunes prodiges devenus millionnaires grâce à Internet durant les années folles qui ont précédé l'éclatement de la bulle. Il est alors la figure publique de Nurun et donne beaucoup d'entrevues dans les médias. Lorsque le gouvernement du Québec décide de lancer la Cité du multimédia, Intellia est première en lice pour bénéficier de son généreux programme de subvention.
Le 3 juillet 1998, Bernard Landry et PKP participent à un événement durant lequel on annonce l'attribution de l'aide gouvernementale. «Bernard Landry a fait son speech, PKP a fait son speech, puis Alex est arrivé sur la scène et c'est lui qui a volé le show, relate M. Le Sauteur. Il faisait un discours à la Elvis Gratton, il disait qu'on allait planter les Américains.»
Intellia n'a pas manqué de remplir sa promesse de devenir une entreprise internationale en multipliant les acquisitions. Le hic, c'est que l'entreprise est devenue trop grande pour M. Taillefer, qui aujourd'hui reconnaît qu'il n'était pas un bon gestionnaire. «À cette époque, je ne savais pas lire un état des résultats, je ne savais pas lire un bilan financier ; des erreurs, j'en ai fait plein.»
Toujours est-il qu'à l'époque, il voit les choses d'un oeil différent. S'il accepte initialement de travailler sous un nouveau pdg en 1999, il espère revenir à la tête de Nurun, dont la croissance n'est pas de tout repos. Les pdg s'y succèdent, et à chaque départ, il espère que l'heure de son retour a sonné. Lorsque Jacques-Hervé Roubert est nommé pdg de Nurun, en 2000, M. Taillefer, devenu riche sur papier grâce à ses actions, décide de passer à autre chose. «Il se positionnait pour avoir la job de pdg, et il ne l'a pas eue, dit M. Le Sauteur. Alors, quand Jacques-Hervé a été nommé, Alex est parti.»
Prise 2
M. Taillefer ne chôme pas longtemps. Très vite, il jette son dévolu sur un studio de jeux pour appareils mobiles en faillite qu'il renomme Jeux Hexacto. Il s'associe au vice-président de Gameloft, Alex Thabet, qui jonglait déjà avec l'idée de lancer son propre studio.
Chez Hexacto, M. Taillefer retombe vite dans ses vieilles habitudes. Brillant stratège, il a du mal à s'en tenir à un plan. «Alexandre arrivait avec beaucoup d'idées et de nouvelles initiatives et il était un peu impulsif dans son processus de décision, dit M. Thabet, aujourd'hui pdg de Ludia. Il pouvait arriver avec 12 idées par semaine, mais on arrivait à le convaincre que 8 d'entre elles n'étaient pas très réalistes. Par contre, les quatre autres idées amenaient beaucoup à l'entreprise.»
Hexacto, qui ne génère aucun revenu à ses débuts, éprouve rapidement des problèmes financiers. «Je me souviens de ne pas avoir reçu de chèque de paye pendant un temps, dit M. Thabet. J'avais caché à mon épouse que je payais l'hypothèque avec la carte de crédit.»
M. Taillefer, pour sa part, n'était pas en bien meilleure position. Millionnaire sur papier au début de l'aventure, sa solvabilité s'amincissait de jour en jour durant cette période, l'action de Nurun s'effondrant jour après jour au cours des années 2000 et 2001. Garant de prêts accordés à Hexacto, il passe près de la faillite personnelle. «J'ai mis beaucoup d'argent dans Hexacto, et à un moment donné, j'ai été transféré aux créances spéciales de la CIBC, car j'avais une dette personnelle et je devais pas mal d'argent que je garantissais pour Hexacto, explique-t-il. Être transféré aux créances spéciales, c'est une expérience dans la vie, car tu apprends ce que sont les finances et la gestion du cash flow.»
Il échappe à la faillite grâce à un financement d'urgence de 250 000 $ d'amis et de parents, mais ses problèmes de liquidités n'étaient pas réglés. En 2013, il voit une importante ronde de financement déraper après trois mois de négociations avec la Banque de développement du Canada. C'est alors que le studio américain Jamdat Mobile dépose une offre d'achat pour Hexacto et que M. Taillefer se résigne à l'accepter. S'il considère avoir vendu trop tôt, soit bien avant que la popularité des jeux pour mobiles explose, il s'en est assez bien tiré. En tant que président de la branche canadienne de Jamdat, il obtient des options qu'il a pu exercer après l'inscription de l'entreprise à la Bourse Nasdaq en 2004.
Prise 3
En 2007, il avait appris de ses erreurs. Désormais, il n'était plus question de se lancer dans les créneaux d'avenir évidents. Après tout, se lancer dans ces secteurs, c'était courir le risque de faire face à une concurrence féroce et de dépendre de l'humeur des investisseurs en capital de risque. Alexandre Taillefer partage ce constat avec l'entrepreneur en série Eric Boyko. Ensemble, ils commencent à jongler avec différentes idées d'entreprises.
Les deux hommes cherchent des créneaux peu attrayants à première vue, mais susceptibles de générer une belle croissance. Ils décident que le marché de l'ornithologie et celui du karaoké sont les secteurs qu'ils tenteront de conquérir dans leur prochain projet.
Grâce à l'appui financier de Telesystem, le holding de Charles Sirois, Stingray commence sa chasse à l'aubaine en 2007 en mettant la main sur le Karaoke Channel. M. Taillefer, chef de la direction de Stingray, et Eric Boyko, son président, enchaînent les acquisitions dans le secteur de la musique, si bien que l'ornithologie est vite balayée sous le tapis. Sur le plan des affaires, tout semble bien aller, mais en 2010, un conflit éclate entre les deux dirigeants. «À un moment donné, c'était lui ou moi, et le conseil d'administration a choisi Eric, dit M. Taillefer. Et ce, malgré le fait que c'était mon projet de A à Z, et ça, ça a été très difficile.»
Le nouvel Alexandre Taillefer
Sa plus grande ambition n'a rien à voir avec son compte en banque ni même avec l'électrification des transports. Il semble avoir un oeil sur la politique, et ses derniers investissements, y compris celui qu'il a fait dans le journal Voir, semblent prendre tout leur sens quand on les regarde sous l'angle de ses ambitions politiques.
Sur la question de Voir, M. Taillefer maintient qu'il y voit une occasion d'affaires en raison du succès de la boutique Voir, mais ses arguments sociaux sont plus convaincants que ses arguments économiques. De son propre aveu, Voir ne perd pas d'argent, mais n'en fait pas non plus. Avec des revenus annuels de 3 M$, dont 800 000 $ découlent des ventes publicitaires, l'entreprise est loin de l'époque où elle générait 25 M$ de recettes publicitaires. «Si on n'avait pas la boutique Voir, ce serait déjà fini. L'idée, c'est de créer une relation tripartite gagnante entre un annonceur, un média et un lecteur, et d'éviter que nos annonceurs n'envoient leur argent à des géants étrangers comme Facebook, Google et Groupon.»
François-Xavier Souvay, pdg de Lumenpulse, a été témoin de l'évolution des aspirations d'Aleandre Taillefer, qui a investi dans son entreprise avant son entrée en Bourse. «Quand tu es investisseur, tu mises sur la profitabilité, mais ce n'est pas la seule chose qui te motive quand tu te lèves le matin. Ultimement, tu veux avoir un impact positif. Je pense qu'il en est à cette étape la dans sa vie. On l'a vu évoluer au fil du temps et je ne serais pas surpris qu'il se lance un jour en politique.»
D'ailleurs, si M. Taillefer participe à l'émission Dans l'oeil du dragon, ce n'est pas pour les occasions d'affaires, mais pour faire la promotion de l'entrepreneuriat au Québec. «Le développement du Québec va passer par l'entrepreneuriat, souligne-t-il. À ce titre, je pense que les émissions comme les Dragons ont un rôle à jouer. Par exemple, grâce à l'émission Les Chefs, le nombre d'inscriptions à l'Institut de tourisme et d'hôtellerie du Québec a explosé. C'est important d'avoir des chefs, mais avoir des entrepreneurs, c'est bien plus important.»
Avec Alexandre et les conquérants, la nouvelle émission de la chaîne Explora dont il est la vedette, il souhaite aller plus loin et montrer au public qu'il ne suffit pas de présenter une idée à des investisseurs pour bâtir une entreprise. Dans cette série, l'entrepreneur accompagnera trois start-ups pendant neuf mois. Alexandre Taillefer ne cache pas que la notoriété qu'il a acquise à la télé l'aide à faire avancer son projet de taxis : «Ma participation aux Dragons nous a certainement aidés dans le dossier du taxi, parce que ça te donne de la crédibilité. C'est sûr que c'est une crédibilité qui est montée par les médias, mais si tu es capable de l'utiliser à bon escient, pourquoi pas.»
L'entrepreneur en série considère que la notoriété est aussi un atout en politique, une arène qui l'attire beaucoup : «Aujourd'hui, j'ai 10 ans devant moi, car on vient de clôturer le deuxième fonds et c'est un fonds de 10 ans, lance-t-il. Ensuite, est-ce que je vais créer un nouveau fonds ou aller changer le monde dans un rôle politique ? On verra, mais c'est une chose à laquelle je pense beaucoup.»
Le retour
Dans les faits, les investissements qu'il a réalisés dans le cadre de Dans l'oeil du dragon viennent de sa poche, et non de XPND Capital, le fonds de 17 M$ qu'il a mis sur pied en 2011. Meurtri d'avoir été écarté de Stingray, M. Taillefer avait alors décidé d'accrocher son bâton d'entrepreneur et de se limiter à appuyer les projets des autres.
«J'ai la chance d'avoir beaucoup de cicatrices dans le dos et il y a encore une couple de poignards qui restent, dit-il. Et ce genre de blessures, ce genre de cicatrices, je pense que je peux en faire profiter les entrepreneurs et les aider à éviter certains écueils.»
D'une taille lilliputienne selon les normes de l'industrie, XPND Capital a réussi à réaliser de bons rendements (son taux de rentabilité interne s'élèverait à environ 30 %) grâce aux relations de M. Taillefer. En effet, ce dernier a investi dans des entreprises qui, contrairement à celles présentées à Dans l'oeil du dragon, avaient souvent l'embarras du choix pour trouver du financement.
Maintenant à la tête d'un fonds de 50 M$, il est de retour dans la grande ligue du milieu des affaires québécois. Si son pari sur l'entrepreneuriat social semble une commande difficile à remplir, Alexandre Taillefer n'a jamais été aussi bien préparé.
Toujours aussi créatif, il est maintenant rompu à la finance. «Il connaît ses chiffres sur le bout des doigts quand il prend des décisions et il est très fort sur les modèles d'affaires», affirme Rémi Racine, pdg du studio de jeux vidéo Behaviour, au conseil duquel M. Taillefer siège. Un trait qu'a aussi noté Martin-Luc Archambault, qui soutient que c'est vers lui que ses collègues se tournaient pour calculer la rentabilité des projets sur le plateau de Dans l'oeil du dragon.
Alexandre Taillefer, pour sa part, ne doute pas de la faisabilité de son projet de taxis, malgré tous les obstacles qui devront être franchis pour le mener à bien. «Alex, il croit beaucoup en lui, mais je te dirais que c'est plus fort que ça, note Martin Le Sauteur. Il a foi en lui. Il ne croit pas en ses moyens ; il a foi en ses moyens.»
Le principal intéressé, du reste, admet qu'il y a une part de naïveté dans le fait de se croire capable de réinventer une industrie. «Tu n'as pas idée à quel point j'ai été naïf et à quel point j'ai été chanceux dans ma carrière. Aujourd'hui, j'ai 43 ans, ça fait 21 ans que je suis en affaires et j'ose croire que ce que je fais aujourd'hui nécessite beaucoup moins de chance et que le niveau de naïveté est plus bas, mais ça en prend un petit peu. Pour être entrepreneur, il faut vouloir changer le monde. Ça prend toujours ce petit côté naïf.»