Il y a sept ans, le Forum économique mondial a créé une deuxième rencontre de l’économie, en plus de Davos. On y rassemble les nouveaux champions dont les idées assureront la croissance future.
Tous les mois de janvier, depuis 43 ans, le Forum économique mondial (WEF) organise le rendez-vous culte des rois de l'économie. C'est le très fameux forum de Davos, en Suisse. Ce qu'on sait moins, c'est que tous les mois de septembre, depuis sept ans, le WEF organise un autre événement tout aussi imposant, baptisé Meeting of the New Champions, en Chine cette fois. Le WEF y convie les dauphins de l'économie mondiale.
Pendant trois jours, la relève d'affaires de 90 pays se mêle aux membres des gouvernements, aux chercheurs, aux professeurs et aux leaders de la société civile. Le but : déterminer les futures sources de la croissance et les tendances qui l'influencent.
Les Affaires était le seul média francophone présent à l'événement.
Il y a sept ans, le Forum économique mondial a créé une deuxième rencontre de l'économie, en plus de Davos. On y rassemble les nouveaux champions dont les idées assureront la croissance future.
La formule
À Tianjin, les 1 500 participants sont à la fois spectateurs et acteurs, grâce à de nombreux ateliers participatifs. La série «Défi», par exemple, réunissait des groupes de 15 personnes autour d'enjeux tels que le design des villes, les migrations et le vieillissement de la population. Pour la série «Débats», on s'est interrogé notamment sur la valeur ajoutée des machines intelligentes. Et la série «Idées» a permis aux participants d'échanger avec des chercheurs universitaires sur la gestion du risque ou l'impression 3D, par exemple.Les idées
Finance: La désintermédiation des banques
Les sociétés chinoises Tencent et Alibaba - reines du commerce en ligne - ont toutes les deux des permis d'institutions financières. Et en Afrique, les plus grandes sociétés financières sont des entreprises de télécommunications. «Normal, celles-ci se trouvent au coeur des nouvelles habitudes des consommateurs, soit l'utilisation du mobile», illustre V.S. Parthasarathy, chef de la direction financière du conglomérat indien Mahindra & Mahindra. Alors que d'autres acteurs que ceux de la finance investissent le paiement, quel rôle reste-t-il aux banques ? Le dépôt. Mais si l'on paie avec notre téléphone, il ne reste qu'un pas à franchir pour qu'il nous serve aussi à investir. Deux questions : le risque associé aux nouveaux acteurs quasi financiers non réglementés vaut-il les bénéfices qu'en tirent les consommateurs ? Comment les États interviendront-ils pour protéger les citoyens sans étouffer l'innovation ?
TI: La révolution 5G
Plus de connexions à partir de plus de réseaux et moins de latence, telle est la promesse de la future technologie 5G. Par exemple, un système reposant sur le 5G réagira 50 fois plus rapidement que la version 4G. Pour certaines applications, dont celles liées à la santé ou la sécurité, cela pourrait faire la différence entre la vie et la mort. Pour d'autres applications, le fait d'être supportées par la techno 5G se traduira par plus de flexibilité et plus de productivité. «Si tout se déroule comme prévu, les normes 5G seront prêtes en 2016-2017, estime Ken Hu, vice-président de Huawei, le plus grand fournisseur d'équipement de télécommunication du monde. Les essais débuteront en 2018, et le déploiement mondial, en 2020-2021.»
Consommation: La santé avant le goût
«Dans les pays émergents, la sûreté et la qualité l'emportent désormais sur le goût quand il s'agit d'acheter les aliments», souligne Tim Wang, directeur de la filiale chinoise de la multinationale Ecolab, spécialiste des technologies propres. Cela s'explique par la croissance de la classe moyenne, pour laquelle le défi n'est plus de se nourrir, mais de bien se nourrir. D'ailleurs, les pays émergents commencent à publier des palmarès de la confiance envers les marques. Le nouvel enjeu des entreprises du secteur alimentaire : bâtir une chaîne d'approvisionnement «froide» robuste. La question : une organisation peut-elle faire de la sécurité alimentaire un avantage concurrentiel, ou est-ce devenu une simple affaire de gestion de risque ?Manufacturier: Délocalisation prise 2
Le retour du secteur manufacturier en Occident n'est peut-être qu'une étape. Après tout, où se trouvent les marchés les plus prometteurs ? Dans les pays émergents. À mesure que les entreprises y cumuleront des clients, il sera plus rentable de produire sur place. Mais cette fois, plutôt que de parler de délocalisation, il serait plus juste d'évoquer la distribution de l'activité industrielle en fonction des consommateurs. Et la simplification de la chaîne d'approvisionnement et de distribution.
Revoir le produit au lieu du procédé
On a longtemps accusé les processus manufacturiers d'être des sources de gaspillage. Mais qu'en est-il du produit ? Et si repenser le design générait moins de pertes ? La designer américaine Natalia Allen en est convaincue. Elle a conçu une ligne de vêtements tous fabriqués d'une seule pièce et s'est classée en 2014 parmi les 100 individus les plus «créatifs», selon Fast Company. La gamme Natalia ne nécessite ni coupe ni assemblage, donc pas de rejets. Ni main-d'oeuvre. «La situation pénible des employés du secteur du vêtement me préoccupe, dit la jeune entrepreneure new-yorkaise. Il faut éliminer l'être humain du processus manufacturier. Il est plus intéressant de dessiner la machine que d'être la machine.» Mais pour cela, il faudra repenser le système d'éducation et former la main-d'oeuvre adéquatement.
Éducation: Les limites de la techno
Plus accessible, plus flexible, moins coûteuse... la technologie démocratise l'éducation. Reste qu'il faut toujours motiver les gens à apprendre. D'autant plus que quand l'apprentissage devient un acte solitaire, on ne peut compter que sur soi. On parle de la nécessité d'environnements propices à l'apprentissage. C'est possible lorsqu'il s'agit d'une maison d'enseignement. Mais comment intervenir lorsque l'apprentissage se fait dans un appartement, un café Internet ou une hutte africaine ?Internet: Du contenu local, svp !
Plus du cinquième des Internautes se trouve en Chine, de même que plusieurs des principales sociétés Internet mondiales. Pourtant, la langue d'Internet est toujours l'anglais. «Internet n'est pas aussi démocratique qu'on le croit, commente Anne Bouverot, directrice générale de GSMA, l'association internationale des opérateurs de téléphonie mobile. Plusieurs citoyens estiment encore qu'Internet ne leur est pas destiné, parce qu'on n'y parle pas leur langue. Qu'on n'y trouve pas assez de contenu local.» C'est ce qui a convaincu la jeune entrepreneure turque, Rina Onur, de lancer la plateforme de jeux Peak Games, qui fait tout un tabac dans le monde arabe.
Le risque d'un Internet fragmenté
Internet ne connaît pas de frontières. Sa gestion doit-elle être aussi libre ? On ne s'entend pas. «Si les États n'établissent pas certains principes communs, nous courons le risque d'un Internet fragmenté, ce qui le dénaturerait complètement», soulève Fadi Chehade, pdg de l'ICANN, l'agence qui attribue les noms et les numéros de domaine. Peut-être faut-il cesser de voir Internet comme un tout, avance Anne Bouverot, de GSMA. «Certaines sections doivent être réglementées [le commerce en ligne, l'Internet des objets, l'Internet de la santé]. Le reste doit rester indépendant.»
Renseignements personnels : une question de contexte
Dans un monde hyperconnecté, le concept de renseignements personnels ne répond plus à une définition unique et immuable. Il varie selon le contexte social et culturel. Et la valeur des données résulte de leur usage. Ainsi, la façon dont les entreprises recueillent et utilisent celles de leurs clients doit changer. L'approche «J'autorise ou Je n'autorise pas l'utilisation de mes données personnelles» ne tient plus. Il y a trop de zones grises. Le contexte d'utilisation des données personnelles doit être mieux défini et circonscrit. On migre de la transparence - balancer des pages de jargon légal au consommateur - à la pertinence. Et du consentement passif du client à son autonomisation.Transports: La Chine à l'heure de covoiturage
Le gouvernement chinois a longtemps interdit le covoiturage. «Il estimait qu'il s'agissait de services de taxi illégaux. Que ceux qui offraient ce service contournaient la loi et voulaient éviter de demander un permis», explique Xu Heyi, président de Beijing Automotive Group, constructeur, entre autres, de la marque Hyundai et Mercedes pour le marché chinois. Ce n'est plus le cas. Le gouvernement chinois a modifié la loi. Le covoiturage est désormais permis et encouragé. La majorité des citoyens chinois aspirent toujours à posséder un véhicule. Et de plus en plus de Chinoises (16 millions) détiennent un permis de conduire. Mais les bouchons monstres des mégalopoles forcent ce peuple à adapter ses aspirations à la réalité. Ainsi, 40 % des habitants de Beijing utilisent le transport en commun.
Gestion du risque: De la prévention à la résilience
La culture du «zéro accident» et du «zéro défaut» n'est pas soutenable. «Tous les systèmes sont faillibles, et les êtres humains encore plus», souligne Wolfgang Kröger, directeur du ETH Risk Center de l'université ETH Zurich. Il faut donc revoir la définition de la résilience. Un système résilient n'est pas à l'épreuve des failles, mais il est conçu pour récupérer solidement en cas de faille. Une nuance importante.
Recrutement: La stratégie de «l'expat inversé»
Voilà des années qu'on envoie des gestionnaires occidentaux gérer les filiales à l'étranger. Avec des résultats plus ou moins heureux, commente Jeffrey Joerres, président de Manpower Group : «Essayez plutôt la stratégie de "l'expatrié inversé". Envoyez vos managers locaux doués en stage à vos sièges sociaux pour qu'ils intègrent la culture. Puis rapatriez-les. Ils sont bien mieux placés pour gérer leurs compatriotes.»
Les gens
> Cherrie Atilano, 27 ans, cofondatrice d'Agricool, Philippines
Le Québec n'est pas seul à connaître un problème de relève en agriculture. Les Philippines affrontent le même défi. «Il faut rendre l'agriculture cool et sexy», déclare Cherrie Atilano, elle-même diplômée en agriculture. Son entreprise, Agricool, recense les occasions d'affaires pour l'agriculture philippine. «Nous avons du cacao, mais il sert à fabriquer du chocolat suisse. Nous avons des vaches, mais nous ne fabriquons pas de yogourt», cite-t-elle en exemple. Chaque week-end, Agricool organise des séminaires payants pour présenter ces projets à un auditoire composé de jeunes adultes afin de faire naître des vocations. «Il faut changer l'image de l'activité solitaire et pénible associée à l'agriculture. Agricool la présente plutôt comme une industrie où l'on peut innover et créer de la valeur» résume la jeune femme.
> Mingxia Lu, 26 ans, fondatrice de CareerFrog, Chine
Depuis 2010, CareerFrog a formé près de 40 000 jeunes professionnels. «Notre modèle consiste à accompagner chaque client tout au long de sa vie professionnelle, explique la jeune femme. Depuis la première entrevue d'embauche jusqu'à la dernière. Nous voulons être à ses côtés chaque fois qu'il a besoin de perfectionnement ou de coaching pour progresser dans sa carrière.» Elle ajoute que «la formation dispensée dans les universités chinoises n'est pas arrimée aux besoins des employeurs. Les diplômés ne sont pas prêts. CareerFrog comble ce vide. D'ailleurs, nous étions seuls en 2010. Aujourd'hui, la concurrence se développe.»> Feleg Tsegaye, 26 ans, fondateur d'ArifMobile, Éthiopie
Alors qu'il travaillait aux États-Unis, Feleg Tsegaye a conçu la plateforme de suggestions destinée aux milliers d'employés de la Réserve fédérale américaine (Fed). Établi à Addis Abeba depuis un an, l'entrepreneur lance une version éthiopienne du site de commande en ligne et de livraison à domicile À la Carte Express. Tout un défi. «Ici, la plupart des domiciles n'ont pas d'adresse, dit-il. Il a fallu développer un système de repérage basé sur la géolocalisation. Le client entre ses coordonnées dans Google Map.» Feleg compte élargir son offre de livraison à l'épicerie et à la buanderie, autant de services réclamés par la nouvelle classe moyenne. Et par la diaspora qui rentre au pays. «La plupart des gens associent encore l'Éthiopie aux images de famine des années 1980, poursuit-il. Les régions rurales abritent encore des citoyens pauvres, mais en ville c'est une autre histoire.»
> Hang Do, 30 ans, directrice, service de réservations en ligne de Groupe TMG, Viêtnam
Née à Hanoï, Hang s'est expatriée aux États-Unis pour travailler (chez Lehmman Brothers) et étudier (au MBA à Harvard) avant de rentrer au bercail. La jeune femme dirige le service de réservation en ligne de la plus grande agence touristique vietnamienne, le Groupe TMG. TMG est aussi l'une des 20 sociétés asiatiques cernées comme «prochain acteur mondial» par le Forum économique mondial. De quoi rêve Hang ? «Je voudrais devenir ministre du Tourisme du Viêtnam ! Le tourisme est une industrie importante. Il joue un rôle social en créant des emplois. Il joue un rôle économique. Au Viêtnam, il génère de 5 à 10 % du PIB. Et il joue un rôle stratégique, car il contribue à l'image positive d'un pays face à la communauté internationale.» Comment sa génération conjugue-t-elle ambitions et traditions ? «Comme plusieurs Asiatiques dans la trentaine, nous ressentons le besoin - la responsabilité aussi - de recréer un pont entre les valeurs traditionnelles, comme la famille et le sens de la collectivité, et les valeurs contemporaines. La technologie et le progrès ne doivent pas nous faire tourner le dos à notre culture. Il faut simplement trouver une façon plus moderne de l'incarner.»Quatre idées pour Montréal
La présence québécoise à Tianjin était assurée par Dominique Anglade, pdg de Montréal International. Voici ce que la conférence des Nouveaux Champions lui a inspiré.
1> Profiter davantage de la présence de la diaspora québécoise en Chine et ailleurs pour faire connaître les possibilités d'investissement à Montréal. En faire un réseau d'ambassadeurs officiels, les tenir informés de l'actualité économique montréalaise. «Ces Montréalais veulent redonner à Montréal, mais ils ne savent pas comment. Il faut les guider.»
2> Profiter du virage innovation de la Chine, de son désir de migrer d'une image manufacturière à celle d'un créateur de produits à valeur ajoutée, pour nouer des partenariats avec des universités montréalaises et des start-ups. «Les Chinois ont entendu parler de l'écosystème start-up montréalais, il faut maintenant approcher directement des sociétés chinoises.»
3> Mettre davantage en valeur l'offre intégrée de Montréal, à titre de ville où il faut bon investir et vivre.
4> Surveiller les régions à forte croissance et voir comment l'expertise de Montréal pourrait les attirer. «Abu Dhabi, par exemple, mise sur le secteur de la santé. Nous pourrions les inviter à investir dans nos trois centres universitaires.»